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Tour d'Italie | 21 jours de course à 21 ans : "Un mythe est cassé"

Benoît Vittek

Mis à jour 05/05/2023 à 08:46 GMT+2

TOUR D'ITALIE - Dans la lignée des exploits d'Egan Bernal et Tadej Pogacar, les jeunes coureurs sont rapidement jetés dans le grand bain des Grands Tours. "Ça va être magique", se projette Hugo Toumire (Cofidis) à l'aube de son premier Giro. "Si je mets le dossard, c'est pour aller jusqu'au bout", ajoute-t-il. Et il s'en est donné les moyens.

Le peloton du Tour d'Italie 2022, lors de la 9e étape

Crédit: AFP

Les roues tournent, c'est leur fonction depuis l'Antiquité, et le talent n'a jamais attendu le nombre des années, comme Corneille le faisait déclamer à Rodrigue quatre siècles avant les exploits de Remco Evenepoel (Soudal Quick-Step), leader irisé de la foule de jeunes prétendants qui se pressent au départ du 106e Giro d'Italia, samedi. À 23 ans et 3 mois, on peut même dire que le prodige belge a de la bouteille. Il a fait ses gammes (douloureusement) sur le Giro 2021, a triomphé sur la Vuelta 2022 et repart en conquête ce printemps fort d'un nouveau triomphe à Liège, maillot arc-en-ciel sur le dos.
Evenepoel est un talent rare. Et il vient de sortir de la catégorie Espoirs, ce qui n'est pas le cas d'une demi-douzaine de coureurs nés après le 1er janvier 2001 et prêts à affronter trois semaines de course sur la Corsa Rosa : Hugo Toumire (Cofidis), Alex Baudin et Valentin Paret-Peintre (AG2R Citroën), Matthew Riccitello (Israel Premier Tech), Alessandro Verre (Ark-Samsic), Edoardo Zambanini (Bahrain Victorious), Michel Hessmann (Jumbo-Visma)… Autant de champions en devenir qui auraient eu toute leur place sur le prochain Tour de l'Avenir, mais qui roulent déjà au milieu des plus grands. Et encore, Andrii Ponomar n'est finalement pas au rendez-vous d'une troisième participation à 20 ans !

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Le tracé des 21 étapes en vidéo

Nibali : "À l'époque, quand tu passais pro, tu avais encore tout à apprendre"

Cela semble presque naturel depuis qu'Egan Bernal et Tadej Pogacar ont rafraîchi les records de précocité sur les plus hautes marches des podiums de Grands Tours. Mais envoyer de jeunes coureurs au front pendant trois semaines passait pour une hérésie il n'y a pas si longtemps. Seuls les joyaux les plus éclatants étaient lancés dans le grand bain la vingtaine tout juste passée, et encore…

Vainqueur du Tour, du Giro et de la Vuelta, Vincenzo Nibali aurait-il pu relever un tel défi dès ses débuts professionnels, l'année de ses 21 ans ? "Non !", s'exclame le fuoriclasse italien, désormais conseiller et ambassadeur de Q36.5. "Je n'étais pas prêt. J'ai dû faire mes preuves deux ans avant de faire mon premier Grand Tour [le Giro 2007]. Ça se passait comme ça à l'époque. Quand tu passais pro, tu avais encore tout à apprendre."
À l'aube de son dix-huitième Grand Tour, Mikael Chérel (AG2R Citroën) estime qu'un "mythe est cassé" : celui selon lequel il fallait "préserver les jeunes coureurs", loin des épreuves de trois semaines qui pourraient gripper leurs moteurs encore en développement. "Aujourd'hui, il est bon d'envoyer un jeune assez tôt dans sa carrière", observe le grimpeur de 37 ans. "Ça permet vraiment de passer un palier."

À l'aube de son premier Grand Tour, Hugo Toumire (Cofidis) est enthousiaste et "plus que prêt. Ça fait un petit moment que je me lève chaque matin en pensant à ça. C'est un rêve d'enfant." Cinquième du Tour de l'Avenir en 2021 ("toute l'équipe avait eu une intoxication alimentaire puis je m'étais senti de mieux en mieux et j'avais vraiment bien fini"), le Normand de 21 ans rêve de "passer une étape de montagne en tête" et de rallier Rome : "Ça va être magique, je pense, et si je mets le dossard, c'est pour aller jusqu'au bout. Dans ma tête, je veux y arriver coûte que coûte."

Confiance et prudence

Tout juste sortis de l'adolescence, les jeunes d'aujourd'hui veulent rapidement se jeter sur les routes d'un Grand Tour, avec une confiance crâne. "Si on m'avait dit en début de saison que je gagnerais une étape sur un Grand Tour, oui, j'aurais pu y croire", expliquait Sergio Higuita sur la Vuelta 2019, quelques mois après son arrivée en Europe et quelques semaines après son 22e anniversaire. Plus jeune vainqueur de l'histoire du Tour de l'Avenir, Cian Uijtdebroeks se projette sur la prochaine Vuelta à 20 ans : "Je me dis simplement : on va rouler à vélo, on va s'amuser et on verra ce qui se passe", nous expliquait-il en début d'année.
"Il faut qu'ils sachent qu'on peut passer par toutes les émotions sur un Grand Tour, avec des journées très difficiles, une chute, une maladie… Il faut savoir passer outre", sourit Chérel, qui a fini 14 Grands Tours. Sa toute première tentative, à 22 ans sur le Giro 2008, fait partie des rares exceptions, avec un abandon pendant la 19e étape. "Un coéquipier me dit : 'Mika, c'est vraiment bien ce que tu fais, mais il te manque une belle échappée'", se souvient-il. "Et là, il y a eu une grosse bataille, je me suis mis à fond, j'ai loupé le coche, le peloton m'a transpercé et j'ai fini par abandonner."

Alexander Kristoff a bien vu Milan à 23 ans, au bout de son premier Giro, en 2011. Mais il est le premier à estimer qu'il n'aurait "pas dû finir. Même le commissaire a eu pitié de moi, il m'a laissé m'accrocher à la voiture. Le parcours était très difficile, Contador était sur une autre planète cette année-là et je n'étais probablement pas assez fort. J'étais jeune et je n'étais pas suffisamment entraîné pour finir un Grand Tour. Mais ça m'a rendu plus fort."
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Alexander Kristoff

Crédit: Getty Images

"L'information a remplacé l'expérience"

Kristoff encadre désormais la jeune bande Uno-X qui s'apprête à découvrir le Tour cet été "Ils sont beaucoup plus professionnels que nous à l'époque, ils sont mieux préparés pour un Grand Tour", assure-t-il. "Les meilleurs jeunes ont déjà un nutritionniste, un entraîneur personnel, ils grandissent beaucoup plus vite qu'avant", abonde Nibali. "À mon époque, en juniors, on faisait entre 14 et 16 000 kilomètres par an, maintenant ils sont plutôt entre 18 et 22, donc ils franchissent beaucoup plus de paliers", enfonce Chérel.

Les jeunes sont en avance physiquement et l'évolution de leur sport les aide à mieux griller les étapes. "L'information a remplacé l'expérience", suggérait en pointant du doigt un ordinateur Matxin Fernandez, dirigeant d'UAE Team Emirates, lorsque Pogacar signait ses premières grandes démonstrations sur la Vuelta 2019, à l'aube de son 21e anniversaire. Traduisez : les données et analyses de performance permettent aux jeunes de percer les mystères des Grands Tours. Ce qu'a confirmé son nouveau poulain Juan Ayuso, 3e de la Vuelta 2022 une semaine avant son 20e anniversaire.

"Juan fait un boulot extraordinaire", saluait alors son compagnon de peloton Marco Brenner (Team DSM), lui aussi auteur à 19 ans de ses débuts en Grand Tour sur cette même Vuelta. "Mais je veux aussi garder à l'esprit que c'est une anomalie, j'ai envie de dire. Il y a toujours des exceptions, il en est une. J'ai aussi l'objectif d'aller au sommet mais il me faudra probablement plus de temps."

À chacun son rythme, même à l'heure où la précocité est particulièrement prisée. Et certains resteront à quai, à l'image de Vojetch Repa, qui disputait lui aussi son premier Grand Tour l'an dernier en Espagne et qui vient d'annoncer sa retraite début mai, à 22 ans. Une carrière cycliste est semée d'embûches, tout comme une épreuve de trois semaines. Heureusement, Toumire a pu compter sur les conseils de son entourage pour honorer son rendez-vous italien. Lequel retient-il en premier lieu ? "Ne pas faire n'importe quoi la première semaine et qu'il n'y ait plus de son, plus d'images après."
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