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Tour d'Italie 2024 | Dopés, coupables et victimes

Benoît Vittek

Mis à jour 05/05/2024 à 11:34 GMT+2

À l’image de Marco Pantani, dont le Giro réveille la légende avec une 2e étape en direction d’Oropa ce dimanche, la lutte antidopage est marquée par des athlètes au moins autant victimes que coupables des dérives du sport. Les cas des anciens sportifs du bloc de l'Est ou plus récemment de la jeune patineuse Kamila Valieva sont des bons exemples.

Marco Pantani sur le Giro d'Italia 1999

Crédit: Getty Images

Le Giro d’Italia, qui connaît son 107e printemps, ne manque jamais l’occasion de célébrer sa légende et ses icônes. Dimanche, la "Carovana Rosa" prend la route d’Oropa et invoque donc Marco Pantani. Sur les pentes menant au sanctuaire de la Vierge Noire, le grimpeur martyr a signé en 1999 un exploit incontournable, "l’un des plus beaux de la courte mais électrisante carrière du Pirate", selon la chronique de RCS, organisateur de l’épreuve.
Au sommet de son art, Pantani ne pouvait qu’enflammer la montée d’Oropa (11,8km à 6,2%). Le Romagnol était une légende en puissance, l’auteur du doublé Giro-Tour l’année précédente à force d’envolées irrésistibles. À la veille de cette 15e étape, il avait repris la Maglia Rosa et s’apprêtait à la faire briller de milles feux devant les tifosi acquis à sa gloire. Un problème de chaîne l’a bien stoppé au pied de l’ascension… Le coup du destin venait magnifier l’envolée du Pirate, qui a remonté et distancé plus de quarante coureurs pour s’imposer au sommet.
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Marco Pantani sur le Giro d'Italia 1999

Crédit: Getty Images

Grand soleil sur l’Italie : le Pirata rayonnait en Rosa… La foudre s’abattra une semaine plus tard, à la veille du triomphe attendu à Milan. Le Giro repartait de Madonna di Campiglio, où Pantani s’était offert une quatrième victoire d’étape en trois semaines. Le soir venu, il s’était également assuré, à l'aide d'une centrifugeuse, que son hématocrite (le volume de globules rouges dans le sang) était inférieur à 50% (une norme arbitraire imposée par les autorités antidopage pour limiter l’usage d’EPO, indétectable).

Une lutte déséquilibrée et des règles incertaines

Le Pirate n’en était que plus "abattu" lorsqu’au petit matin, son contrôle affichait 52% et entraînait son exclusion retentissante de la Corsa Rosa (remportée par Ivan Gotti, qui se retrouvera dans la tourmente antidopage quelques mois plus tard). Pantani niera toujours. Il se relèvera, gagnera à nouveau, sans retrouver tout son lustre passé, et s’abîmera jusqu’à une mort sordide, le 14 février 2004, dans une chambre d’hôtel de Rimini.
Il est largement établi que Pantani s’est dopé au long de sa carrière. L’Italien était coupable, comme les dizaines de sportifs pris par la patrouille antidopage chaque année et comme ceux, plus nombreux encore, qui fraient dans les zones grises, voire franchement obscures, sans trébucher. On peut également penser que Pantani était victime, moralement, et très concrètement : un procureur a rassemblé un certain nombre de témoignages selon lesquels la Camorra a faussé le contrôle pour sauver les mises engagées dans des paris contre le Pirate, mais les faits étaient prescrits selon les révélations de La Gazzetta dello Sport en 2016.
Du temps de Pantani comme aujourd’hui, les moyens de la lutte antidopage restent limités : 46 millions de dollars en 2022 pour l’AMA (Agence mondiale antidopage), 11 millions d’euros pour l’AFLD (l’agence française). Les membres de l’Association des fédérations internationales des sports olympiques d'été (athlétisme, cyclisme, natation, mais aussi football, tennis, rugby…) annoncent pour leur part y avoir consacré 51,4 millions de dollars en 2022. Le pactole en jeu se compte plutôt en milliards.
La lutte est déséquilibrée et les règles incertaines. Les champions épinglés multiplient les excuses pour justifier un résultat sanguin malencontreux. Certains évoquent les médicaments de leur chien ou de leur belle-mère. D’autres plaident un abus d’alcool à la veille du contrôle… Chris Froome avait lui mobilisé une armada d’experts juridiques et scientifiques pour faire accepter sa consommation de salbutamol sur la Vuelta 2017. Dans la même situation, Diego Ulissi avait été jugé coupable de "négligence", avec une suspension de neuf mois à la clef.

Valieva, droguée à 15 ans

Selon les règlements antidopage, le sportif est automatiquement coupable lorsqu’une substance interdite est détectée dans son corps. C’est le "principe de responsabilité individuelle". Paul Pogba ne sera jamais innocenté, tout juste peut-il espérer une réduction de suspension en clamant son ingénuité après sa suspension de quatre ans pour un contrôle positif à la testostérone qu’il attribue à un supplément contaminé. Il en va de même pour les obligations de localisation : la "désinvolture" de Pierre-Ambroise Bosse ne vaut rien face au logiciel Adams.
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Paul Pogba - Juventus Turin

Crédit: Getty Images

Charge donc à l’athlète de garantir sa probité, lourde responsabilité héritée des scandales passés. Ce n’est pas toujours évident. Des championnes d’Allemagne de l’Est se sont retournées contre leurs dopeurs et le système dont elles ont été victimes. Dans les sports collectifs, l’innocence individuelle se noie dans le groupe. Lorsqu’il est le seul, l’athlète doit encore faire face à ses entraîneurs et dirigeants. Et, invariablement, les rares remises en cause des protocoles douteux sont étouffés par l’autorité des médecins, dont la présence envahissante est rarement signe de bonne santé pour une discipline.
De quelle culpabilité individuelle doit-on accabler Kamila Valieva, suspendue pour quatre ans en janvier, après deux ans de procédures ? À 15 ans, le corps de la patineuse russe était bourré de médicaments prescrits par son entourage, jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par un contrôle positif à la trimétazidine, la substance aujourd’hui au coeur du scandale lié à la participation de 23 nageurs et nageuses chinoises lors des derniers Jeux Olympiques.

Coupable, manipulé et victime

Le résultat anormal de Valieva lui avait été notifié au lendemain de sa victoire dans l’épreuve par équipes aux Jeux de Pékin 2022 et elle avait pu participer à l’épreuve individuelle en vertu de son âge : le Tribunal arbitral du sport estimait que le code mondial antidopage ne permettait pas de sanctionner provisoirement une mineure. Après la polémique, la jeune patineuse avait multiplié les erreurs sur la glace et quitté la patinoire en pleurs. Son cas nourrit aujourd’hui l’opposition entre les États-Unis, premiers financiers de l’AMA, et la Russie, qui dénonce une "guerre hybride déclenchée par l’Occident contre la Fédération de Russie". De biens grands enjeux pour une athlète qui a fêté ses 18 ans fin avril.
Plus âgés, ses compatriotes Ioulia et Vitaly Stepanov sont devenus des lanceurs d’alerte en dénonçant en 2014 le dopage systémique russe, ce qui leur vaut une vie d’exil. Quelques années plus tôt, un sportif espagnol avait collaboré avec la police de son pays pour faire tomber le réseau du docteur Eufemiano Fuentes, une enquête qui a abouti à la tristement célèbre Operacion Puerto, dont l’ombre porte sur les Jeux Olympiques, le Tour de France, la Liga…
Le dénonciateur faisait partie des malheureux face à la loterie du dopage : son hématocrite naturel approchait déjà les 50%, ce qui empêchait son dopeur de le gaver d’EPO. Fuentes lui prescrivait un effet placebo à prix d’or, sans grand impact sur ses performances… Mais il a été suspendu pour ses fautes. Et quand il est revenu, le milieu a marginalisé cette langue qui s’était déliée. Le dopage avait fait de lui un coupable, un homme manipulable et une victime.
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