Remco Evenepoel - Tadej Pogacar, différentes lignées d'Eddy Merckx

LIÈGE-BASTOGNE-LIÈGE - Cannibale des temps modernes, Tadej Pogacar (UAE Team Emirates) trouve sur sa route du succès ardennais Remco Evenepoel (Soudal Quick-Step) pour ce qu’on annonce comme le premier grand duel entre les deux prodiges, ce dimanche autour de Liège. Au-delà de l'issue de cet affrontement, l'un d'eux a-t-il des allures d'héritier d'Eddy Merckx ?

Fritsch : "Mon prono ? Pogacar va se coucher face à Evenepoel"

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Comparaison n’est pas raison, surtout à travers les âges. Eddy Merckx, Remco Evenepoel et Tadej Pogacar pratiquent-ils véritablement le même sport ? Un demi-siècle sépare les exploits gloutons du Cannibale de ceux de ses successeurs en herbe. Dans ce large intervalle, on s’était peu à peu fait à l’idée qu’on ne verrait plus un champion cycliste dominer sa discipline et ses rivaux comme l'Ogre de Tervuren le faisait au tournant des années 1960 et 70, en partie parce qu’il appartient à une classe à part, en partie parce que son sport a évolué.
Les coureurs se sont spécialisés. La discipline s’est ouverte à des athlètes aux origines bien plus diverses, dont certains n’auraient pas eu voix au chapitre il y a quelques décennies. La densité de champions se fait plus étouffante que jamais. Et il n’y a qu’un seul Eddy Merckx, une réalité implacable que même les Belges devaient accepter jusqu’à l’arrivée d’un nouveau prodige, identifié dès ses premiers succès juniors en 2017. Le plat pays s’est rapidement emballé pour Remco, qui a répondu avec des exploits épars et une saison 2022 à ranger parmi les grands millésimes de l’histoire de la Petite Reine.
Dans le même temps, un jeune Slovène mettait le monde à ses pieds, avec ses jambes de feu, son sourire espiègle et sa mèche rebelle. Virevoltant sur tous les terrains, Pogacar est une nouvelle incarnation de la figure du Cannibale, dont l’appétit de victoires ne s’est que rarement confronté aux grandes ambitions d’Evenepoel. Ce sera le cas dimanche lors de Liège-Bastogne-Liège, où le Belge défendra son sacre de l’an passé face à un Pogi qui veut conclure son printemps avec une étourdissante ribambelle de succès, de Paris-Nice à Liège, en passant par le Tour des Flandres, l’Amstel Gold Race et la Flèche Wallonne.
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Un an et un monde d'écart : Pogacar s'est envolé là où il avait craqué en 2022

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Printemps gargantuesque

Ce début de saison (complété par une poignée de succès andalous, sur Jaen Paraiso Interior et la Ruta del Sol, pour atteindre le score hallucinant de 12 victoires en 18 jours de course) permet à Pogacar de regarder Merckx droit dans les yeux. Ce qui est un véritable exploit en soi. Mercredi, le Slovène s’est offert la Flèche à 24 ans, 6 mois et 28 jours, un âge que Merckx atteignait à la mi-janvier 1970. Le demi-dieu belge comptait déjà une petite centaine de succès et s’avançait vers le début de saison le plus prolifique de sa carrière, avec 13 victoires jusqu’à la Flèche Wallonne, remportée le 19 avril, 53 ans jour pour jour avant le sacre de Pogacar.
Merckx allait finir la saison avec 36 victoires au compteur, dont deux Grands Tours (le Giro et le Tour) et un Monument (Roubaix). Pogacar aura du mal à tenir ce rythme (encore que…), et ni lui ni Evenepoel ne pourront multiplier les succès par centaines comme Merckx en son temps, sur la route et aussi sur la piste. Mais ils n’ont pas besoin de cela pour s’imposer en héritier du plus grand cycliste de l’histoire.
Être un Cannibale comme Merckx, c’est n’être animé que par la victoire, sur tous les terrains, avec des manières écrasantes, pour imposer un joug absolu dont la concurrence finit par se satisfaire, animée par une admiration et une impuissance qui réduit les opposants à un rôle de faire-valoir. "Les cadeaux, on les fait à Noël et pas lors d'une course cycliste", expliquait-il pendant que Luis Ocaña, rare adversaire qui se refusait à courber l’échine devant Merckx, pestait contre l’élégance résignée de Felice Gimondi.
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Actif dans l'échappée, à l'attaque dans le Keutenberg : la nouvelle démonstration de Pogacar

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Remco-mania

Evenepoel le conquérant peut-il être l’antidote face à Pogacar le tout puissant ? C’est le sens du duel mis en avant à l’approche de Liège, l’espoir d’un Wolfpack en quête de sens et peut-être aussi le sens de l’histoire.
Comme Merckx, Pogacar et Evenepoel ne roulent que pour la victoire, l’obsession qu’ils poursuivent toute l’année. Plus âgé de quelques mois, fort d’une émergence précoce qu’aucun malheur n’est venu entraver, Tadej se fait plus tueur que Remco, encore un peu tendre en la matière, comme on a notamment pu le voir face à Primoz Roglic sur la Volta a Catalunya. Le Belge a commencé la saison par deux sorties lucratives, loin des terres traditionnelles du cyclisme, et il est rentré d’Argentine avec une petite leçon d’humilité et des Émirats avec un maillot rouge assorti à La Roja conquise sur la dernière Vuelta.
En 21 jours de course cette année, il a signé quatre succès (dont un contre-la-montre par équipes à Abou Dabi). Il attend toujours la première photo qui l’immortaliserait en vainqueur franchissant la ligne les bras en l’air avec l’arc-en-ciel sur la poitrine (il portait le maillot blanc de meilleur jeune de la Volta à La Molina comme à Barcelone), un luxe que Merckx s’est offert sur les cinq Monuments. Et le public belge attend de le voir évoluer avec sa tunique qui le distingue du commun des cyclistes. Après l’impasse sur la Flèche Brabançonne, la Doyenne devrait être sa seule course à domicile de l’année.
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Evenepoel a fini par faire craquer Roglic : son arrivée victorieuse à La Molina

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La Remco-mania devrait encore battre son plein dans les rues de la Cité ardente qu’Evenepoel connaît si bien. Si certaines de ses attitudes et réactions (qui remontent pour la plupart à ses débuts) divisent encore le public belge, il a su imposer son talent. Au point que Merckx lui-même en a fait un prophète dans son pays. "Ça fait vraiment plaisir de voir quelqu’un qui porte les couleurs belges au plus haut niveau", saluait-il après le sacre de Wollongong, au bout d’une saison marquée par son triplé Liège-Vuelta-Mondiaux. Evenepoel rejoignait ainsi Merckx, Bernard Hinault et Alfredo Binda comme les seuls coureurs de l’histoire à avoir décroché un Monument, un Grand Tour et l’arc-en-ciel la même année.
Les comparaisons qui avaient rapidement fleuri entre Remco et Eddy se retrouvaient partiellement justifiées. Merckx y allait même de sa prophétie : "On peut de nouveau espérer avoir un Belge vainqueur du Tour de France." Le Cannibale originel connaît bien les attentes de ses compatriotes abreuvés de succès cyclistes. Sa première victoire sur le Tour, lorsqu’il "marche sur la Lune" à l’été 1969, mettait fin à une disette de 30 ans pour les Belges, dont la dernière victoire sur la Grande Boucle remontait à Sylvère Maes à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
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De Pogacar à Evenepoel : Top 5 des victoires en 2022

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Pogacar, vainqueur idéal pour ses adversaires

Evenepoel a désormais pour mission de succéder à Lucien Van Impe (vainqueur en 1976), après être devenu en Espagne le premier Belge vainqueur d’un Grand Tour depuis Johan De Muynck sur le Giro 1978. Malgré ses progrès express, il garde certaines limites liées à son arrivée tardive dans le vélo, après ses débuts balle au pied… Mais on rappellera que le jeune Merckx s’était vu adjoindre les services de Vittorio Adorni, notamment pour l’aider dans les descentes, identifiées comme un point faible d’Evenepoel.
En avance, Pogacar s’est déjà imposé comme un cycliste total, rapidement adoubé par Merckx. "Je vois en lui le nouveau Cannibale", affirmait-il déjà en juillet 2021. Vainqueur du Tour, le Slovène s’est également offert les deux Monuments belges, un triplé jusqu’alors réalisé par le seul Merckx dans la longue histoire de la Petite Reine.
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Trois mines d'une puissance rare : Les trois fois où Pogacar a attaqué

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Et le Belge était encore plus impressionné après le triomphe flandrien de Pogi, dans des propos rapportés par la RTBF : "Non seulement il gagne, mais regardez sa façon de rouler, son style, mais surtout son courage pour réaliser une telle attaque. Il entre de plain-pied dans la cour des grands. Il élève le niveau de ce sport comme on l’a rarement fait auparavant. C’est un coureur complet. Il peut tout faire sur un vélo et il a aussi le tempérament pour prendre la course en main." On a rarement fait plus bel éloge et meilleure définition du cannibalisme cycliste.
"Avant la course, j’ai dit que je serais super content de finir 2e derrière Pogacar parce qu’il finira probablement par être considéré comme le meilleur de l’histoire", souriait Mattias Skjelmose, dauphin wallon. Tout le monde veut le voir triompher plutôt qu’un autre : les organisateurs, à l’image de Leo van Vliet et de ses manoeuvres au volant de la voiture de direction de l’Amstel Gold Race, comme les rivaux de l’ogre slovène, bienheureux de pouvoir dire qu’ils ont été battus par Pogacar et personne d’autre.
L’emprise du Slovène sur ses adversaires a des conséquences bien concrètes. "Tout le monde était concentré sur ma roue", observait-il mercredi. "Ça nous a donné plus de place pour manoeuvrer." Pogi a ensuite bondi sur le Mur et ses rivaux l’ont regardé s’imposer. Mais Evenepoel ne compte certainement pas rester passif dimanche. Ce serait indigne de l’héritage de Merckx.
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"L'UCI doit faire quelque chose" : Pogacar a été abrité par une voiture de l'organisation

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