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Portrait de Matej Mohorič (Bahrain Victorious), un doux dingue du guidon

Benoît Vittek

Mis à jour 15/03/2024 à 08:39 GMT+1

Descendeur révolutionnaire, Matej Mohorič (Bahrain Victorious) retrouve en direction de Sanremo le terrain qui lui a permis d’imposer sa créativité géniale. Le Slovène est prétendant à une nouvelle victoire après une belle prestation sur les Strade Bianche (5e). Mais Mohoric n'est pas qu'un fantastique coureur : c'est un sacré personnage du peloton.

Matej Mohoric

Crédit: AFP

La vie est souvent faite d’incompréhensions. Tout particulièrement quand on s’appelle Matej Mohorič et que, exalté par un numéro aussi flamboyant que singulier, on se laisse aller à des célébrations emphatiques pour couronner des victoires ébouriffantes. Le Slovène est un original, qui se présente souvent à l’état brut. Ses descentes comme ses manières peuvent donner le tournis. Quand tout s’arrête, on retrouve l’intelligence et les émotions simples du prodige qui, avant Primož Roglič et Tadej Pogačar, avait annoncé l’émergence d’une poignée de Slovènes irrésistibles.
Il y a deux ans à Sanremo, Mohoric signait le plus grand exploit de sa carrière : une victoire sur la Primavera après une inspiration géniale. Dès le départ de Milan, il avait averti son compatriote et ami Pogi : "N’essaie pas de me suivre dans la descente du Poggio." Quelques heures lénifiantes et un rush sidérant plus tard, il triomphait sur la Via Roma. Son sourire dévoilait un mélange d’euphorie, nourrie par la hauteur de l’événement, et de satisfaction presque enfantine, après avoir réussi un coup impensable.
Jambe droite dressée, le genou gauche ouvert vers les barrières, Mohoric pointait vers son entrejambes. Voulait-il, à l’image de Peter Sagan, nous expliquer que l’origine de sa force réside dans ses “big balls” ? À moins qu’il montre son vélo, pour mettre en lumière l’équipementier (Merida) de la formation bahreïnienne ? Plutôt qu’à sa virilité et ses attributs supposés, le Slovène devait sa victoire à son esprit d’ingénieur et à son prolongement mécanique : une tige de selle à la hauteur réglable, pour mieux ajuster son centre de gravité et ses trajectoires.
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Rétro 2022 - Mohoric le funambule : revivez son ahurissante descente du Poggio

"Matejpedia" pensait prendre sa retraite à 20 ans

"Si je n’étais pas devenu sportif de haut niveau, je serais probablement allé à la faculté de génie mécanique et je serais devenu ingénieur", expliquait-il à l’automne dernier au média catholique Aleteia, qui l’interrogeait sur sa spiritualité et son parcours. Aîné d’une fratrie de quatre, Matej a grandi “dans la forêt”, à une poignée de kilomètres à l’ouest de Kranj et des terres de Pogačar. "Une vie rude en hiver mais agréable le reste de l’année", décrira-t-il.
Il fait ses premiers tours de roues à 4 ou 5 ans, reçoit son premier VTT à 8 ou 9, et a droit à un vélo de course à 12. Ses notes à l’école sont excellentes. Il s'intéresse à tout : la métaphysique, la psychologie, la nutrition… Il touche aussi aux langues : l’anglais, l’allemand, l’italien, le français… Champion du monde chez les juniors (2012) puis chez les espoirs (2013, l’occasion de montrer au monde entier sa fameuse technique de descente sur le tube, pour résister aux Alaphilippe, Yates, Ewan, Meintjes et autres Van Baarle), il est professionnel à seulement 19 ans.
Dans son esprit, il va courir deux saisons pour garnir son compte en banque, avant de se consacrer à un avenir plus sérieux. "Je me lève chaque matin avec beaucoup d’objectifs et je me couche chaque soir avec la satisfaction d’avoir bien travaillé", expliquait-il à l’été 2014 au média australien Ride. Je ne me sens jamais stressé ou sous pression. Je vois chaque course comme un jeu vidéo où j’essaie d’atteindre 100 points et ensuite ça fait bling, bling, bling… J’adore la vitesse sur un vélo, la lutte pour se placer dans le peloton - il y a beaucoup d’aspects dans la compétition, et chacun m’amuse."
Dans sa première équipe, Cannondale, il détonne. On s’amuse de ce lecteur avide, qui serait trop intelligent pour être cycliste. "Matejpedia" a des connaissances encyclopédiques et un esprit analytique qui va lui permettre de s’imposer sur des étapes des trois Grands Tours, en plus de Milano-Sanremo. À l’aube du printemps 2024, Mohoric en est à sa onzième saison pro et il a découvert la force du sport, une "inspiration pour les jeunes du monde entier", notamment grâce à un équipier qu’il chérissait, Gino Mäder.
On m’a traité comme un criminel
Il ignorait en revanche une des images les plus tristement célèbres de son sport : celle de Lance Armstrong mimant une fermeture éclair sur sa bouche, pour mieux faire régner la loi du silence qui a plongé le cyclisme dans des ténèbres insondables lors des décennies 1990 et 2000. Le 16 juillet 2021, à Libourne, Mohoric réalise le même geste pour signer sa démonstration de force en échappée à l’occasion de la 19e étape du Tour de France. Rien à voir avec le Texan, assure-t-il face aux questions lourdes de sens.
Deux jours plus tôt, l’hôtel et le bus de son équipe avaient été perquisitionnés par les gendarmes dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Marseille pour "acquisition, transport, détention, importation d'une substance ou méthode interdite aux fins d'usage par un sportif sans justification médicale". D’autres perquisitions ont été menées en 2022, sur le Tour et aux domiciles de certains coureurs et membres de l’encadrement de l’équipe, qui a toujours pu continuer à courir.
"J'ai pensé à ce qui s'était passé il y a 48 heures quand on m'a traité comme un criminel, expliquait ainsi Mohoric à Libourne. A mon avis, c'est plutôt une bonne chose. Il y a eu des contrôles mais on n'a rien trouvé (…). C’est toujours compliqué de voir un policier entrer dans la chambre, fouiller, poser des questions. Mais je n'ai rien à cacher, ils peuvent fouiller." Après une nuit agitée, il avait répondu en étant le premier attaquant de la 18e étape (remportée par Pogačar à Luz-Ardiden), avant de survoler la 19e.

Mise à nu

Deux ans plus tard, on retrouvait un Mohoric bien moins flamboyant sur la route de Poligny, pour la 19e étape du Tour 2023. Le terrain lui était favorable mais le baroudeur semblait éteint, malade la saison précédente et désormais envahi par le doute, au point de décliner une sélection pour les Mondiaux de Glasgow (avec le recul, on imagine qu’il s’y serait régalé). Au bout de l’effort, il n'a pas le temps de célébrer : il faut la photo-finish pour le départager de Kasper Asgreen, autre ressuscité de la fin de Tour.
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Un jeter de vélo exceptionnel et Mohoric a coiffé Asgreen : l'arrivée en vidéo

Quand il apprend qu’il s’est imposé, Mohoric s’effondre, emporté par les larmes qui coulent sur ses joues. Il titube, physiquement et moralement. Il pense à "Gino". Il pense à ses propres sacrifices, à ceux de son entourage et de son équipe, coureurs, mécaniciens, cuisinier... Il pense aussi à la cruauté de ce résultat pour ses compagnons et adversaires d’échappée.
Ses émotions sont un tourbillon qu’il traverse avec une lucidité frappante au moment de répondre à la "flash interview", le premier micro tendu au vainqueur pour relayer sa réaction à chaud sur les antennes du monde entier. Mohoric fait mouche, la vidéo devient le contenu le plus visionné cet été-là sur les plateformes du Tour (site officiel et réseaux sociaux), plus encore que les batailles entre Pogacar et Vingegaard ou que le Virage Pinot. Pas de célébration, pas de fantaisie. Le drôle de Slovène a délié sa langue pour une mise à nu tout aussi unique que ses exploits sur la route.
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