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Passation Wiggins-Froome, sponsor, virage international avec Bernal : INEOS sait anticiper

Alexandre Coiquil

Mis à jour 10/07/2020 à 15:14 GMT+2

SAISON 2020 - Alors qu'elle fête ses dix ans dans le peloton, la formation Ineos, ancienne Sky, s'est signalée par un management implacabale sur le plan sportif mais aussi un sens rare de l'anticipation dans sa prise de décisions. La non-prolongation de Chris Froome en est un nouvel exemple.

Egan Bernal en jaune à Val-Thorens

Crédit: Getty Images

Ineos-Sky est une machine parfaite. Tellement parfaite qu'elle aurait pu naître de l’imagination de Michael Crichton, le maître de la science-fiction. Implacable sur les routes et véritable ogre dans le peloton depuis une décennie, la formation britannique née des cendres de la Barloworld lors de l’intersaison 2009-2010, a surtout eu un sens unique de l’anticipation dans sa prise de décisions. Leaders, objectifs, orientation de son projet : l'équipe britannique a toujours eu un temps d'avance.
Ce côté androïde assumé, au goût amer de l'US Postal du duo Johan Bruyneel-Lance Armstrong, lui a coûté son image. Elle a diabolisé ses champions et fait de son cerveau, Sir Dave Brailsford, un sorcier fou. Peu importe au final, il lui a permis de régner en maître sur le peloton et principalement sur le Tour de France (7 victoires finales en 10 participations). Retour sur trois moments charnières de son existence où l’équipe britannique a toujours eu ce coup d’avance qui lui a permis de prospérer.

Wiggins-Froome : la passation de pouvoir de la raison

Le soporifique Tour de France 2012 a été plus important qu’on ne le pense dans la stratégie d’anticipation de chez Sky. Après le gros incident de la montée de La Toussuire, où Froome avait fait officiellement acte de candidature pour être leader, la formation britannique a fait son choix pour la saison 2013 : ce sera lui le nouveau leader sur le Tour. Plus fort en montagne et donc capable d'y accélérer, excellent rouleur, dans la force de l’âge (27 ans), le natif de Nairobi est fin prêt. Et Sir Dave Brailsford a de toute façon tranché : il va sacrifier celui pour qui le projet s'est monté, Bradley Wiggins.
Obligé d’entamer 2013 avec deux leaders, une première en trois saisons, Brailsford manage les égos pendant les premiers mois : Wiggins file sur le Giro qu'il veut dompter, tout en programmant Froome pour Juillet. Engagé avec fracas sur ce Tour d’Italie qu'il ne comprend pas Wiggo va prendre plusieurs claques en ce mois de mai. Car son patron a prévu le coup depuis depuis un moment. Au début du mois, il apprend que c’est Froome qui sera le leader sur la 100e édition de la Grande Boucle. Entre-temps, il abandonne le Giro avant le départ de la 13e étape, à cause d'un virus.
A la fin du mois, alors qu’il avait assuré avoir stoppé le premier Grand Tour de l'année pour être en forme en juillet, Brailsford lui coupe l’herbe sous le pied : non seulement il ne sera pas leader, mais surtout il n’en sera pas pour défendre son titre. Prétextant une infection aux poumons mal soignée, et un genou douloureux, le patron de Sky maquille la passation de pouvoir que tout le monde attendait. Surtout, l'impose. Il ne veut pas d’une nouvelle guerre de clochers dans l’équipe en juillet et d'un aigle à deux têtes. Ce n’est un secret pour personne : Wiggins et Froome ne s’aiment pas depuis la Vuelta 2011 et cela met en péril l'équilibre du train Sky.
Quelques semaines plus tard, Froome s’adjugera sa première Grande Boucle. Wiggins ne le sait pas sur le moment. Mais il a vécu sa dernière journée en tant qu'athlète sur un Grand Tour lors de la 12e étape. Il terminera son aventure chez Sky en participant à des courses d’une semaine, et les Flandriennes, entre 2014 et 2015, avant de repartir sur la piste pour préparer Rio. Froome restera pendant cinq saisons un leader incontesté avant de se retrouver, ironie du sort, dans la même situation que Wiggins en 2018 en voulant doubler Giro et Tour. Mais la transition avec Geraint Thomas et Egan Bernal sera elle beaucoup plus douce, question de personnalités et d’expérience. En tranchant dans le vif assez rapidement, Brailsford a vu juste.

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2012 Tour de France Froome Wiggins

Crédit: AFP

Ineos, un sponsor mécène trouvé en temps record

Décembre 2018 : séisme sur la Grande-Bretagne et le peloton. La formation Sky annonce par communiqué que Sky justement, son sponsor-titre historique, va se retirer à la fin de l’année 2019. L’onde de choc est énorme. A priori, un tel problème ne pouvait arriver qu’aux autres. Mais non : le plus gros budget du peloton va devoir trouver un nouveau sponsor capable de lui permettre de conserver son train de vie.
Dave Brailsford rassure son monde : il est déjà au travail, en quête d’un nouveau mécène. Là aussi, le sens de l’anticipation fera des miracles car Sir Dave a déjà sa cible en tête alors que les rumeurs envahissent la presse britannique. Les tractations pour récupérer un nouveau sponsor en cyclisme sont souvent longues, au point d'en devenir interminables. Le big boss va donc agiter sa baguette magique. Le timing sera très court. Le 19 mars 2019, l'équipe Sky annonce qu’elle a trouvé son bonheur en la personne d'Ineos, le géant de la pétrochimie détenue par l’homme le plus riche de Grande-Bretagne, Jim Ratcliffe. Après une étude poussée, mais rapide, de l’équipe Sky, soupçonnée de dopage organisé, le milliardaire récupère l’équipe. Brailsford garde lui tous ses pouvoirs.
Le changement est radical. Ineos va remplacer Sky à partir du mois de mai bien avant la fin du contrat entre l'entité et BSkyB, rompu plus tôt. Finie les couleurs sombres intégrales (et blanche sur le Tour 2018), place au rouge et noir, les couleurs du géant de la chimie. La révolution n’est que le début de l’expansion d’Ineos qui a décidé de passer au sponsoring sportif pour nettoyer son image de pollueur. Quelques semaines plus tard, Ratcliffe, personnage discret mais clivant, pro Brexit et exilé à Monte-Carlo, rachètera l’OGC Nice après avoir manqué le coup avec Chelsea.
Sur sa lancée, Ineos a passé début 2020 un juteux contrat avec Mercedes AMG F1 pour s'afficher sur les monoplaces de Lewis Hamilton et Valtteri Bottas. Cycliste, sportif et aventurier accompli, Jim Ratcliffe a quand même choisi d’aller dans le cyclisme en premier, simple question de courant. Ça aussi, c’est un coup de maître marketing de Brailsford qui a usé de sa force diplomatique pour décider Ratcliffe à enfin faire le grand saut et surtout garder le contrôle sur le management général. Le duo Brailsford-Ratcliffe était fait pour s'entendre. Discrets, programmés pour réussir et réunis par l'excellence : les deux cerveaux ne font en fait qu'un. "Dave peut continuer à mettre en place ses plans et sa philosophie. Donc c'est une situation idéale pour lui", commentera Bradley Wiggins lors du "Bradley Wiggins Show" sur Eurosport version UK.

Dans la lignée de Bernal, Ineos va chercher ses futurs leaders hors de Grande-Bretagne

Orchestré pour faire gagner un coureur britannique sur le Tour de France, performance réussie à six reprises avec trois hommes (Bradley Wiggins, Christopher Froome et Geraint Thomas) le projet Sky-Ineos est en phase de transition depuis trois ans. Parvenu avec Froome à remporter la Vuelta et le Giro, le serpent avide de Grande Boucle est devenue une hydre au fil du temps. Pour briller partout, sur plus de terrains, il faut aussi aller voir ailleurs car le cyclisme britannique n'a pas vraiment réussi à sortir autant de talents que souhaité il y a dix ans. Déjà devenue fortement cosmopolite au fil des saisons, Ineos a commencé à aller là où le vent souffle. Le recrutement de Richard Carapaz, vainqueur du Giro 2019, en a été un parfait exemple.
C’est en recrutant Egan Bernal, alors chez les Italiens d’Androni, en plein cœur de la saison 2017, que Sky-Ineos a enclenché la phase 2 de son programme international. Et celui-ci a déjà bien débuté : Bernal est devenu le premier colombien à remporter le Tour de France, il y a tout juste un an. Le succès de Bernal n’a pas été la résultante d’une ultra-domination d’Ineos sur la course, mais plutôt celle de la régularité sur trois semaines et d’un mental en acier trempé. Une force intérieure saluée par Brailsford depuis 2018. Le grand manitou d'Ineos est fou amoureux du grimpeur de Zipaquira.
En s’adjugeant le Tour 2019, le scarabée Bernal, 23 ans tout juste, a remis le cyclisme colombien tout en haut de la pyramide. Avec Nairo Quintana, vainqueur du Giro 2014 et de la Vuelta 2016, et déjà sur le podium à Paris, c’était déjà plus ou le moins le cas. Mais gagner le Tour, c’est autre chose. Ca change une vie. Et Brailsford, s'il ne l'a pas confirmé, a sans doute fait de Bernal son leader absolu pour le Tour 2020. Froome, qui participera à son dernier Tour avec Ineos en septembre et Thomas, auront aussi un statut à part de co-leader, comme cela devait être le cas en 2019. Mais ils devront être à leur meilleur niveau pour bousculer la hiérarchie qui se prépare. A l’heure actuelle, c’est le Colombien le nouveau patron. Car il est le plus fort.
Bernal est installé, mais il n’a pas été le seul à être "scouté" dans la génération 1997. En 2019, le Colombien Ivan Sosa, l’Equatorien Jhonatan Narváez et le Russe Pavel Sivakov, trois potentiels leaders sur les Grands Tours dans quelques années, ont effectué leurs débuts avec le rouleau-compresseur britannique. En novembre dernier, c’est le grand espoir espagnol Carlos Rodriguez Cano, au palmarès bien rempli chez les juniors, qui a signé un beau contrat de quatre ans. Polyvalent, bon grimpeur, l’andalou d’Almuñécar veut tout rafler. Il l’a déjà proclamé haut et fort : il veut lever les bras comme Alejandro Valverde et gagner le Tour de France un jour comme son idole Alberto Contador. Brailsford n’en a pas raté une miette. C'est comme ça que ça marche chez Ineos, en bougeant les pions en premier.
Egan Bernal sur le podium du Tour de France 2019.
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