Combiner cyclo-cross et route comme Mathieu van der Poel et Wout van Aert : bientôt la norme ?
STRADE BIANCHE - Mathieu van der Poel et Wout van Aert reviennent déjà sur le devant de la scène, respectivement samedi pour les Strade Bianche et lundi lors de Tirreno-Adriatico. Ils n’ont même pas eu le temps de nous manquer, forts d’un hiver spectaculaire en cyclo-cross. Au point que l’on se demande pourquoi plus de coureurs ne font pas ce choix des sous-bois. Est-ce concrètement envisageable ?
Un combat énorme, pour un final exceptionnel : le résumé du duel Van der Poel - Van Aert
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Ils sont exceptionnels et c’est tant mieux. Mais l’exception peut influencer la norme, à défaut de fusionner avec elle. De retour, à l’occasion des Strade Bianche ce samedi pour l'un, puis de Tirreno-Adriatico lundi pour l'autre, Mathieu van der Poel et Wout van Aert ont un tel pouvoir d’attraction, en menant une carrière tout-terrain, que la question pourrait un jour se poser et se susurre déjà : la majorité des coureurs du peloton doivent-ils s’aventurer dans les sous-bois ?
Notre consultant Steve Chainel plaide pour cela, avec un parti pris assumé. "J’ai l’impression qu’il y a une remise en question de l’utilité du cyclo-cross, avance-t-il en prenant l'exemple de Tadej Pogacar, qui le pratique modestement. Cyrille Guimard défend ça depuis 50 ans, je défends ça depuis 20 ans. On va peut-être revenir à la base : pendant l’hiver, les marathoniens font du cross et les routiers font du cyclo-cross." Quand on lui rétorque l’aisance sur un vélo que cela requiert, il propose de "retourner le problème."
"Jumbo-Visma peut faire le constat du grand nombre de chutes de Primoz Roglic et, soit : le mettre en école de vélo avec des pupilles (9/10 ans, NDLR) ; soit : le mettre sur des cyclo-cross régionaux, dans un premier temps", argue ainsi Chainel. "Si tu n’as jamais fait du cyclo-cross et que tu veux t’y mettre à 22/23 ans, c’est mission impossible de le faire à un certain niveau", enchaîne Nicolas Fritsch, plus sceptique et dont la carrière sur route n’était pas accompagnée d’une telle polyvalence : "J’étais trop mauvais techniquement pour l’envisager."
Invité de Bistrot Vélo le 13 février, Clément Venturini insiste sur la différence en termes "d’agilité" qu’il perçoit dans le peloton : "Un cyclo-crossman est rarement par terre. Cela arrive qu’on chute, on n’est pas à l’abri, mais on parvient parfois à ne pas tomber… alors que certains routiers sont plus rigides, moins habiles. Je ne veux offenser personne, mais on voit de sacrés phénomènes sur un vélo de route." Le champion de France en titre de CX, 10e des Mondiaux, se sent en ce sens avantagé, quand il renoue avec l’asphalte.
Plaisir et explosivité
"En cyclo-cross, sur la ligne de départ, on est tous à quelques millimètres, c’est comme un sprint massif, tous les week-ends, à chaque départ", estime le coureur d’AG2R Citroën. Autre atout qu’il considère tenir de sa double casquette : "Il y a cette faculté à relancer à chaque sortie de virage (…) J’ai pu voir qu’en pratiquant moins j’avais perdu de l’explosivité, de la tonicité." Fabien Doubey (TotalEnergies), son dauphin lors des "France" cette année et son successeur dans notre émission vélo du lundi, a pour "but ultime" de décrocher le maillot tricolore.
Lui aussi, compile deux cyclismes : "C’est assez limpide. Je vais continuer ce double projet avec beaucoup plus de route, c’est vraiment le fil conducteur." L’hiver, c’est préparation… et épanouissement pour Doubey : "Le cyclo-cross me donne la forme en début de saison, me permet de passer des petits caps et d’avoir des objectifs personnels, c’est aussi ça qui fait vibrer en tant qu’homme et donne le plaisir d’aller s'entraîner tous les matins."
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Venturini fait céder Doubey et décroche son 5e titre de champion de France
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"Le cyclo-cross, c'est ce qui m'a fait. Je suis devenu un routier grâce au cyclo-cross, il ne faut pas l'oublier, dit encore un Venturini reconnaissant. Une heure à haute intensité, si on arrive à le reproduire en fin de course, cela peut faire de grosses performances sur la route." Selon Chainel également, cet aspect bénéfique est crucial. Rien de mieux que l’adrénaline de la compétition pour se surpasser : "A l’entraînement, tu te fais 'mal à la gueule'… mais est-ce que tu te fais aussi mal qu’en course ? De mon côté, non… et j’imagine que pour beaucoup de coureurs c’est non aussi."
D’où ce combo entre ludisme et praticité, aux yeux du membre des "Rois de la pédale" : "Je pense que c’est un modèle qui marche tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. Parce que les coureurs en ont marre de faire des hivers hyper studieux, sans compétition, avec du volume, des intensités, sans mettre un dossard etc." Il ajoute : "Quand on arrive sur le début de saison sur route, on a l’impression de changer de sport et pourtant on peut retranscrire toute notre préparation physique et technique."
"Il faut que cela rentre dans un cadre précis. Ton effort d’une heure, c’est une course de cyclo-cross au lieu de te monter un col sur un volcan, au fin fond de l’Espagne. Il faut qu’il y ait une logique dans la planification", alerte Fritsch, qui craint que les coureurs générationnels que sont "MVDP" et "WVA" ne "biaisent un peu notre regard". Il leur reconnaît cependant d’avoir cassé une barrière : "Ils ont montré que c’était possible, alors qu’à une époque on disait : l’hiver, pas d’efforts intenses..."
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Van der Poel et Van Aert à couper le souffle : revivez leur incroyable finish à Benidorm
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Vie sociale à préserver
Reste un principal frein : le défi de l’enchevêtrement des calendriers, de courses et d’entraînements, accompagné du risque de surmenage. "Je suis un peu décalé, par rapport à un routier, concède Clément Venturini. J’ai quand même eu un mois de repos. Le stage de l’équipe, je l’ai fait intégralement. Puis j’ai eu une préparation pour le cyclo-cross, avec un peu moins de volume et un peu plus d’intensité, j’ai rejoint l’équipe une semaine en janvier… On arrive à jongler." Cet unique mois de coupure est "peu, mais suffisant", glisse celui qui ambitionne de briller sur les Strade Bianche, "la course qui (le) fait rêver".
Venturini se contente d’opus tronqués en CX, ne se plaint pas de la situation. Il sait pourquoi il a signé chez AG2R : "Pour faire de la route. C’est aussi une volonté de ma part, personne ne m’a poussé à faire ça." Entre 2013 et 2017, avec sa précédente formation, l’équation était différente : "Chez Cofidis, je faisais une saison de cyclo-cross complète. J’avais à cœur de franchir un cap. Je prends énormément de plaisir en pratiquant pendant un mois et demi le cyclo-cross, mais derrière il y a une grosse saison sur route et j’ai aussi besoin d’une vie sociale, de profiter de mes proches, de ma famille."
La carrière qu’il mène sur deux fronts n’est pas donnée à tout le monde. Les structures du World Tour n’ont pas toute une antenne dans les sous-bois. Steve Chainel leur fait d’ailleurs remarquer : "Il faut aussi tenir compte de la visibilité que Van der Poel et Van Aert apportent à leurs sponsors, pendant trois mois. On n’a jamais autant parlé d’Alpecin et de Jumbo-Visma.Il y a aussi INEOS Grenadiers, avec Tom Pidcock, Thymen Arensman, Ben Turner…" Et de noter que la plupart des autres escadrilles du WT "sont en stage en Espagne, dans le même temps", en catimini.
"Quand un sponsor met 25 ou 30 millions sur la table pour douze mois, il préfère qu’on parle de lui douze mois plutôt que neuf", appuie Chainel, qui salue également le côté "laboratoire" de sa discipline de cœur, faisant référence à une tunique de Pidcock sur laquelle la boue semblait glisser : "Je suis persuadé qu’un maillot imperméable peut servir sur des classiques très humides, voire pendant le Giro." Il admet en revanche "un inconvénient" : "Cela demande beaucoup de logistique, du matériel, un staff qui part déjà toute l’année sur les routes. Cela a un coût... qui peut en valoir la peine. C’est soit on investit, soit on n’investit pas."
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Un sprint fou à trois : Van Aert mate Van der Poel et Pidcock
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Un investissement… sans garantie de retour
C’est là où le bât blesse, d’après Nicolas Fritsch. Cet argument de la visibilité lui semble à relativiser, en raison de la domination outrageuse des têtes d’affiche : "Moi le premier, je regarde un cyclo-cross surtout pour Van der Poel, Van Aert, à un degré moindre Pidcock… et parfois ils se détachent tellement vite que tu ne vois même pas le quatrième, qui pourtant est un mec très fort. Lors des Championnats du monde, on n’a vu que deux mecs." Pourquoi donc, du point de vue des marques et des équipes, consentir à des efforts financiers et humains pour être ainsi invisibilisées ?
Quand le duo de superstars tirera sa révérence, il y aura des places à prendre… ou un intérêt trop brutalement décroissant envers le cyclo-cross pour que ces places restent prisées. "On verra quand ils ne seront plus là", résume Fritsch. Wout van Aert et Mathieu van der Poel sont si exceptionnels que l’on ne sait quelles conclusions tirer de leur singularité. N’est-ce pas tant mieux ?
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Van der Poel - Van Aert, un duo de stars fait le départ
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