Vuelta 2023 - De maillot rouge sympathique à patron incontesté : Les 7 moments du triomphe de Sepp Kuss (Jumbo-Visma)

Jeudi 24 août. La nuit tombe à Barcelone. En marge de la présentation des équipes de la Vuelta, Primoz Roglic s'arrête face aux journalistes pour répondre aux traditionnelles questions d'avant-course. Au micro de Laura Meseguer, pour Eurosport, il avance sans surprise qu'il vise la victoire finale, tout comme son coéquipier Jonas Vingegaard. Mais il conclut, comme une forme de boutade avec regard coquin et petit geste de la main : "Et peut-être que Sepp aussi !" Le Slovène ne pensait pas si bien dire. Voici les sept moments clés qui ont permis à ce scénario improbable de se réaliser au fil des trois semaines.

Troisième larron des Jumbo-Visma au matin de ce 31 août [il avait perdu 12" à Arinsal, le 3e jour, sur Roglic et Vingegaard], Kuss se voit propulser sur le devant de la scène à la faveur d'une échappée royale. L'Américain se glisse dans le coup gagnant qui compte jusqu'à 42 unités. L'arrivée se juge au sommet du Pico del Buitre (11,1 kilomètres à 7,8%). Il cueille facilement en solo sa deuxième victoire d'étape sur un Tour d'Espagne, quatre ans après la première. Il savoure dans les derniers mètres, ce qui permet à Lenny Martinez de prendre le maillot rouge. Mais en se positionnant au 2e rang du général, à 8" du jeune Français et près de trois minutes devant tous les grands favoris, Kuss pressent qu'il a fait un grand coup. Peut-être le jackpot. Le pouvoir lui tend les bras. Ce n'est qu'une question de jours.

Lenny Martinez ne démérite pas. Mais après deux jours en rouge, le Tricolore doit abandonner sa tunique par-delà le terrible mur de Xorret de Cati. Les favoris se disputent la victoire du jour, Sepp Kuss les accompagne jusqu'au bout. La Jumbo-Visma fait coup double. Primoz Roglic lève les bras et l'Américain endosse le maillot de leader. Le début d'un règne qui pourrait durer. Au général, sa marge est de 2'31" sur le premier des cadors, Remco Evenepoel, et de 2'38" sur le premier de ses deux coéquipiers mais toujours leaders sur le papier, Roglic.

Ce contre-la-montre individuel, le seul de cette Vuelta, est plus qu'un test pour Kuss. Ce n'est pas sa tasse de thé. Il n'y a jamais brillé. Hormis sur le dernier Giro (6e), mais il s'agissait d'un chrono en côte. Pas comparable donc. Il y a deux ans, 33,8 kilomètres face à la montre avaient servi de conclusion de la Vuelta. Kuss y a perdu une place au général (7e à 8e) en concédant plus de cinq minutes sur le vainqueur du jour, Roglic... Alors, le grimpeur du Colorado sait que son rêve peut prendre fin ce mardi. Il n'a que 2'22" de marge sur Remco Evenepoel, le nouveau champion du monde sur prolongateurs, avant ces 25,8 km de chrono. Cela suffira pourtant. Et largement. Kuss prend la 13e place à seulement 1'13" du Belge et 1'29" de Filippo Ganna. Il reste en rouge. Sans doute le chrono d'une vie.

L'étape-reine tourne à la démonstration pour les Jumbo-Visma. Jonas Vingegaard, Sepp Kuss (+30") et Primoz Roglic (+33") ont lâché tout le monde, chacun son tour, pour faire 1, 2 et 3 au sommet du géant des Pyrénées. C'est aussi leurs nouvelles places au général. Mais une chose reste en place : Kuss sur le toit de la Vuelta. L'Américain conserve un joli matelas, 1'37" sur Roglic et 1'44" sur Vingegaard. Le collectif jaune et noir est au pouvoir. Et il a éliminé, en parallèle, sa plus grande menace, Remco Evenepoel, en détresse dès l'Aubisque et désormais repoussé à près d'une demi-heure. Un boulevard s'ouvre pour le trio jaune et noir.

Jumbo-Visma verrouille à double cette étape au tracé atypique, 115 kilomètres sans difficulté puis un mur de 5 km à 8,6% pour terminer. La formation néerlandaise veut gagner l'étape. Avec Roglic, pense-t-on. Mais c'est Vingegaard qui dégaine le premier. Le Danois profite du marquage dans le groupe maillot rouge, où personne ne sait quoi faire sans le rythme des Jumbo, pour lever les bras sur la ligne et creuser un bel écart. Il n'a plus que 29" de retard au général sur le maillot rouge, qui a également lâché quatre secondes sur Roglic, également à l'attaque. Kuss laisse quelques plumes dans cette bataille d'ego. Et l'on se met à douter sur la volonté réelle de son équipe. Veut-elle vraiment le faire gagner ?

L'Angliru rappelle aux adversaires des Jumbo la cruelle réalité de cette Vuelta. Les frelons forment un essaim intouchable. Mais une petite guerre semble larver dans la ruche. Roglic, Vingegaard et Kuss ont semé les autres, puis ce dernier n'arrive plus à suivre le rythme du Slovène. Le Slovène insiste pourtant. Et Vingegaard, plutôt que d'attendre Kuss préfère accompagner Roglic. Scène ubuesque : le maillot rouge se fait distancer irrémédiablement par deux coéquipiers. Toutes les cartes semblent rebattues après l'arrivée. Kuss n'a plus que 8" d'avance sur Vingegaard et 1'08" sur Roglic. Tous les adversaires ont certes été éliminés. Mais ceux-là se trouvent peut-être en interne.

Point de trahison, finalement. Les consignes sont passées chez Jumbo-Visma. C'est tout pour Kuss. Dans la montée finale de la Cruz de Linares, qui constitue l'ultime arrivée au sommet de cette Vuelta, Vingegaard se mue en équipier modèle. Le double vainqueur du Tour de France tamponne les attaques de Juan Ayuso et Mikel Landa, en ramenant à chaque fois le maillot rouge au train. Roglic, lui, reste sagement dans les roues. Kuss peut respirer. Y compris sur le plan chronométrique. Vingegaard s'est relevé dans les derniers mètres, volontairement sans doute, pour perdre 9 secondes supplémentaires et ne plus laisser planer le moindre doute. Ses patrons habituels ont donné leur aval. Kuss, l'homme qui fait gagner les grands tours aux autres, va enfin gagner le sien.