Vuelta 2023 | Sepp Kuss et "le conte de fées"

A Madrid dimanche, la Vuelta va sacrer un équipier. Pied de nez à son histoire et plus globalement à celle des grands tours. Par définition, ceux-ci ne peuvent être domptés que par des leaders, pas toujours celui que l'on avait imaginé mais toujours un coureur protégé sur la ligne de départ. Le Tour d'Espagne va sacrer Sepp Kuss. Si Primoz Roglic avait souri en évoquant une possible victoire de son habituel chien de garde, trois semaines plus tard, le bon mot est devenu réalité et Sepp Kuss vit un rêve éveillé.

Il fallait le voir jour après jour en interview d'après-course, tout à sa joie de se trouver-là, paletot rouge sur le dos, à une place qui n'est pas la sienne, à un monde auquel il n'appartient pas. En rouge depuis la 8e étape et au bout d'un long règne, Sepp Kuss va remporter dimanche le premier grand tour de sa carrière. Le seul s'il décide de retourner à sa vie d'avant, celle du guide en montagne.

Tour de France 2022 et 2023, Giro 2023 et Vuelta 2019, 2020 et 2021, autant de fois où le rôle de Sepp Kuss fut décisif pour les grandes victoires de Jumbo-Visma, autant de fois aussi où son nom ne figurait pas sur l'affiche du film. Il y avait peut-être tout ça dans cette accolade à trois à l'arrivée de la pénultième étape de la Vuelta ce samedi. Une image qui restera et quelques sifflets pour accompagner le défilé des vainqueurs, Kuss, Roglic et Vingegaard. "Nous avons décidé de franchir la ligne d'arrivée à trois. C'était un moment fantastique", s'enflammait le maillot rouge après l'arrivée.

Ironie de l'histoire, si personne n'oubliera son triomphe espagnol, on citera peut-être plus rapidement le triplé réalisé au classement général ou, mieux, le succès sur les trois grands tours la même saison. Seule différence, cette fois le nom de l'Américain accompagnera ceux de ses habituels leaders danois et slovène. Kuss toujours : "Nous avons réalisé quelque chose d'unique avec l'équipe cette saison en remportant les trois grands tours. Les trois dernières semaines n'ont certainement pas été faciles, mais nous nous sommes accordés les uns les autres. C'est comme un conte de fées."

Le coup de Javalambre, le Tourmalet, l'Angliru, Cuz de Linares, toutes ces ascensions entrent dans son panthéon personnel. Kuss a promis qu'il ne voulait pas de cadeaux, qu'il voulait remporter ce Tour d'Espagne à la pédale au fond. La réalité donne un autre sentiment, celui que Jonas Vingeegard et Primoz Roglic ont dû courir avec le frein à main sur les derniers jours. Qu'importe apparemment. Rien ne semble pouvoir dévier Kuss de la joie née d'une victoire qui lui est promise dimanche.

"Il faudra un certain temps pour que je réalise, dit-il. C'est un sentiment incroyable. C'était un énorme soulagement de franchir la ligne ici. Je savais qu'il était possible de finir cela, mais il faut bien passer toutes les étapes. J'ai beaucoup souffert, mais j'ai survécu à chaque fois. Ce Tour d'Espagne a été un succès inattendu pour moi." Il y a confirmé les fabuleuses qualités que l'on avait entrevues ici et là, sur un jour, une semaine tout au plus au gré de son boulot d'équipier. Personne ne songeait à nier qu'il était un grand grimpeur mais puisqu'il jurait ne pas vouloir être leader, on ne le soupçonnait pas capable de cet exploit.

"Quand je suis devenu cycliste, je l'ai fait pour l'amour du sport, confia-t-il enfin après la 20e étape. Aujourd'hui, je suis proche de remporter un grand tour. Il est encore trop difficile d'exprimer mes sentiments. Je suis reconnaissant pour cette expérience". Son histoire est changée à jamais. Rien ne dit qu'il réclamera un autre statut dès 2024, à vrai dire ce n'est pas le genre du bonhomme, mais le Sepp Kuss de lundi sera évidemment différent de celui de Barcelone il y a trois semaines. L'un n'était qu'un équipier de luxe, l'autre est un vainqueur de grand tour.