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Chris Froome ou l’impossible exploit

Benoît Vittek

Mis à jour 28/05/2018 à 09:12 GMT+2

GIRO - Les performances en sursis de Chris Froome (Team Sky) poussent à l’extrême la logique triste et paradoxale qui peut animer le cyclisme aujourd’hui : plus un champion est magnifique, moins ses exploits sont acceptables.

Froome with the Giro trophy

Crédit: Getty Images

Chris Froome est le champion de son temps, et la trace qu’il laisse dans les palmarès l’inscrit dans la grande histoire cycliste bien au-delà de sa seule époque. Dimanche, après avoir conquis Paris et Madrid, le Britannique s’est consacré empereur romain. Et avec la manière, au bout de trois semaines épiques. Les trois Grands Tours au palmarès, il ne faut même pas les doigts des deux mains pour compter ceux qui présentent un palmarès si flatteur. Les trois Grands Tours enlevés à la suite, ça va encore plus vite : seuls les géants Eddy Merckx et Bernard Hinault l’avaient fait, en de tout autres temps (1972-73 pour le Cannibale, 10 ans plus tard pour le Blaireau). Dimanche, Chris Froome est presque devenu un campionissimo. Presque.
Les adjectifs époustouflés qui accompagnent sa sixième merveille (après 4 Tours et 1 Vuelta) charrient malheureusement des sentiments moins flatteurs qui freinent les élans enthousiastes. Le Britannique n’est évidemment pas le premier cycliste à s’élever sous le poids du soupçon. Celui-ci s’embarrasse rarement de preuves ou même d’éléments concrets, il s’appuie souvent sur des analyses médiocres et ne mérite guère d’être relayé, tout au plus écouté pour comprendre ce qui l’anime. La situation de Chris Froome, même si l’on ignore encore l’issue de la procédure en cours à son égard pour “contrôle anormal” sur la dernière Vuelta, fait voler en éclats ces précautions.
Tout commentaire des performances froomesques ne peut s’épargner les considérations qui tourmentent le fan de cyclisme depuis si longtemps (pour ma part, je suis né au vélo avec le Tour 98 et l’affaire Festina dont on “célèbrera” le 20e anniversaire cet été…). Vendredi, combien de sentiments nous animaient devant la pédalée désarticulée du Britannique dégingandé ? Les deux semaines précédentes avaient éloigné le spectre d’un Tour d’Italie vampirisé par le cas Froome, c’était oublier les ressources infinies du clan Sky.
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Chris Froome

Crédit: Getty Images

Le souvenir de Landis...

Cela en fera hurler certains, mais j’avais alors une part d’admiration pour le champion honni lancé dans un folle entreprise, absolument seul contre tous. Cette envolée de 80 kilomètres, sur des pentes mythiques, c’est l’héroïsme envolé qu’on nous vante si souvent lorsque nos après-midi cyclistes s’enfoncent dans une monotonie doucereuse.
C’était d’autant plus bluffant qu’il ne s’agit pas là de l’ADN de Chris Froome et de la Sky. Souvenez-vous le printemps 2013, lorsque l’empire cycliste britannique élevait un nouveau champion pour prendre la relève d’un Bradley Wiggins aux ailes vite brûlées. À l’époque, le directeur sportif Nicolas Portal (homme essentiel du triplé Tour-Vuelta-Giro) nous expliquait que son poulain au parcours atypique peinait encore à comprendre les dynamiques de course et avait besoin d’un soutien absolu de sa formation.
Il n’y a pas si longtemps encore, sur la Vuelta 2016 qui lui était promise, ses équipiers comme son DS Dario Cioni avaient failli et Froome avait subi l’entreprise folle d’Alberto Contador et Nairo Quintana pour le renverser vers Aramon Formigal. Cette fois, c’est lui qui a pris tout le monde à revers. Malheureusement, son numéro initié dans le Finestre appelle d’autres associations d’idées moins glorieuses. Floyd Landis m’est rapidement venu à l’esprit et Twitter me dit que je ne suis pas à le seul à m’être laissé emporter dans cette comparaison facile.
Aussi hallucinant soit-il (et il l’est, pour de nombreuses raisons), le numéro de vendredi n’atteint pas les proportions extravagantes de la 17e étape du Tour 2006 lorsque Landis, coureur au parcours encore plus improbable que celui de Froome, avait collé 6 minutes à tout le monde sur 120 km vers Morzine. Qu’importe, les fantômes du passé sont aujourd’hui omniprésents, réveillés par les casseroles accumulées par la Sky, dont les manquements éthiques ont été pointés du doigt par le parlement britannique, et Froome, mis en cause personnellement depuis cet automne.

Et maintenant Pantani ?

Je n’écrirai ici ni que la performance de Froome est impossible sans tricher, ni qu’elle est envisageable dans un cadre propre. Ces sentences dépassent le regard extérieur que nous pouvons porter sur la course. Il vous paraît évident que Froome a chargé la mule comme personne pour faire cet exploit, ou a bénéficié d’assistance motorisée ? Michael Rasmussen, prompt à flinguer le “bullshit” des Sky, a estimé que le Britannique n’avait “pas triché” ou en tout cas “pas plus que ses rivaux”. Et le banni du Tour 2007 sait de quoi il parle.
Le plus honnête est peut-être de rester bouche bée, tel George Bennett à l’arrivée à Bardonecchia. Voire d’interpeller Froome pour lui demander un effort de transparence, comme Lilian Calmejane a pu le faire sur Twitter.
Aujourd’hui, ni Bennett ni Calmejane ni aucun suiveur n’a la réponse aux questions posées par le cas Froome. En même temps qu’il nous offrait une course folle, ce Giro est devenu un nouveau traumatisme. Il s’inscrit dans la lignée de Festina, Armstrong, Puerto, Landis, Rasmussen, le steak au clenbuterol de Contador, les corticos de Wiggins… Autant d'épisodes qui ont amené sur le devant de la scène la part d'ombre du sport et sérieusement remis en cause le bénéfice du doute à accorder aux coureurs - même si je continue de penser que le cyclisme offre un cadre plus sain qu'il y a quelques années, avec une lutte antidopage plus vigoureuse que dans de nombreuses autres disciplines.
L’UCI doit encore déterminer quelle sera la place véritable de Froome dans cette liste. En attendant, le Britannique réveille un autre fantôme. Sera-t-il en Vendée dans cinq semaines (il y compte bien) ? Surmontera-t-il les nombreux obstacles sportifs et extra-sportifs qui le séparent encore du doublé Giro-Tour accompli pour la dernière fois par Marco Pantani, en 1998 ? Cela devrait être épique. Dans le contexte actuel, et étant donné le parcours tragique du Pirate, cela me semble surtout pathétique.
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