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Tour de France Femmes - Audrey Cordon-Ragot : "Un Tour de trois semaines, ce serait physiquement ingérable"

Eurosport
ParEurosport

Mis à jour 27/07/2022 à 15:48 GMT+2

TOUR DE FRANCE FEMMES - Conditions d’entrainement, combat pour obtenir la parité des primes, difficulté pour vivre sa maternité... Les femmes ont dû se battre pour accéder au plus haut niveau en cyclisme. Elles se confient dans le livre "En Danseuse" de Vicky Carbonneau (ed. Amphora). Eurosport en publie un extrait, avec l’entretien d’Audrey Cordon-Ragot, alignée sur le Tour de France.

"En Danseuse", de Vicky Carbonneau avec Les éditions Amphora

Crédit: Eurosport

Vicky Carbonneau : Quelles qualités faut-il pour réussir dans ce sport ?
Audrey Cordon-Ragot : Aujourd’hui, le cyclisme féminin est un sport assez fermé, avec très peu de places pour en faire son métier. Je milite toujours pour que les filles continuent à aller à l’école et faire des études, tout en faisant du vélo en parallèle. On voit assez rapidement si on a les aptitudes pour passer à l’échelon supérieur.
Quel est le plus difficile dans ce sport ?
A.C-R : Pour moi, c’est l’éloignement de la famille et de mon conjoint. Plus je vieillis, plus je trouve cela difficile. Le cyclisme demande beaucoup de sacrifices et d’entraînements. Physiquement, c’est dur. Le cyclisme est un véritable choix de carrière.
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Audrey Cordon-Ragot (Trek-Segafredo), lors de la 2e étape du Tour de France femmes 2022

Crédit: Getty Images

Rêvais-tu de devenir cycliste professionnelle ?
A.C-R : Je ne pouvais pas rêver d’être une cycliste professionnelle, ça n’existait pas ! Je me suis construit avec l’image des cyclistes hommes, sans imaginer qu’un jour je pourrais être à leur place. Il n’y avait pas de cyclistes femmes médiatisées. J’ai donc poursuivi des études en immobilier. Puis, les choses ont commencé à changer, c’était en 2009. Des choses se sont mises en place pour que les femmes puissent faire du cyclisme de haut niveau. Et la fédération m’a aidée. J’ai pu trouver un emploi à mi-temps, puis un quart-temps, ce qui me permettait de m’entraîner et d’aller sur les courses. Et c’est à ce moment que j’ai pu commencer à me projeter, et à me dire que je pouvais aller plus loin. (…)
Bien souvent, les équipes n’apprécient pas que les cyclistes soient enceintes, et ils poussent ces femmes à démissionner
Parle-nous de ton combat.
A.C-R : En 2021, non sans difficulté, nous avons obtenu de la fédération que les filles qui courent dans des équipes World Tour obtiennent une licence professionnelle (comme les hommes). Mais le but ultime est que, dans les cinq prochaines années, toutes ces filles en équipes continentales puissent avoir une licence professionnelle, ainsi qu’une gestion du cyclisme professionnel féminin, comme les hommes l’ont avec la Ligue nationale de cyclisme.
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Audrey Cordon-Ragot au départ du Tour de France féminin, le 24 juillet 2022 à Paris

Crédit: Getty Images

Et du côté de la maternité, comment ça se passe ?
A.C-R : L’UCI a instauré tout dernièrement une règle autorisant aux athlètes à revenir après leur grossesse et la naissance de leur enfant. Mais la réalité est tout autre. Bien souvent, les équipes n’apprécient pas que les cyclistes soient enceintes, et ils poussent ces femmes à démissionner. Mais il y a des équipes comme Trek-Segafredo qui sont avant-gardistes sur le sujet.
Lizzie Deignan a ainsi dû quitter son équipe précédente quand elle a annoncé sa grossesse, et Trek-Segafredo a sauté sur l’occasion pour lui demander de rejoindre l’équipe, d’abord comme ambassadrice de la marque, puis comme coureure. Elle a quand même gagné quatre monuments dans sa saison à son retour de congé maternité. Le pari était très réussi !
J’ai en tête une autre cycliste qui a fait un très beau retour après avoir donné naissance à son enfant : c’est la Française Pascale Jeuland. Mais les filles réfléchissent encore beaucoup avant d’envisager une grossesse. Et elles n’osent pas prendre le risque, de peur de ne pas trouver la stabilité pour élever un enfant.
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Audrey Cordon-Ragot, le 30 août 2021

Crédit: Getty Images

Quel autre combat te semble important à mener dans le cyclisme féminin ?
A.C-R : Je pense que le Tour de France était la bataille la plus importante, dans le sens où c’est sûrement la course la plus diffusée dans le monde. Il nous fallait absolument cet événement mondial, parmi les plus regardés à la télévision. Ça apportera des sponsors, qui permettront par conséquent de faire grandir le cyclisme féminin.
C’est une vraie bonne nouvelle. Il est important de conserver les courses féminines qui existent depuis des années. Elles font partie de l’histoire du cyclisme féminin. Il serait dommage qu’on nous mette des courses actuellement uniquement masculines, et qui viendraient en conflit dans le calendrier avec des courses que nous avons l’habitude de courir depuis des années. Je pense notamment au Trofeo Alfredo Binda. Je suis ravie d’avoir de nouvelles courses comme le Paris-Roubaix, qui ne confronte pas d’autres courses qui existent depuis des années, mais je ne souhaite pas non plus qu’on dénature le cyclisme féminin.
Un Tour de trois semaines, ce serait physiquement ingérable. Le niveau actuel n’est pas assez homogène
Avec le développement du cyclisme féminin, comment augmenter le niveau des athlètes et le nombre de coureures dans les équipes ?
A.C-R : Il faut travailler la structure au niveau amateur, permettre aux divisions nationales de courir plus pour que les filles fassent leurs grades, et c’est ce vivier-là qui passera ensuite le niveau supérieur.
Es-tu contrariée par le fait que certaines courses soient adaptées en fonction des sexes, et que les femmes aient moins de kilomètres à courir ?
A.C-R : Il faut qu’on évolue avec notre temps. La moitié du peloton actuel pourrait faire un Tour de France de trois semaines, mais une autre partie poursuit encore ses études et/ou n’a pas les moyens de préparer une telle course. Pour préparer une course comme celle-ci, il faut s’accorder un mois de préparation, soit un mois pendant lequel on ne court pas, où on ne fait que s’entraîner et reconnaître les étapes.
Aujourd’hui, dans les équipes femmes, nous sommes treize coureures, sachant qu’on est six par course, et que le calendrier continue pendant la préparation d’un Tour. Ça signifierait donc que les six autres filles devraient faire toutes les autres courses pendant le mois de préparation. C’est compliqué. Nous ne sommes pas assez nombreuses dans les équipes.
Il faut rester objectives sur ce qu’on est aujourd’hui, c’est-à-dire de petites équipes qui peuvent préparer un Giro ou un Tour de France de dix jours, mais trois semaines, ce serait physiquement ingérable. Le niveau actuel n’est pas assez homogène pour cela. Les hommes sont plus nombreux dans leurs équipes.
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Audrey Cordon-Ragot

Crédit: Getty Images

En quoi la manière de courir entre hommes et femmes est-elle différente ?
A.C-R : Je comparerais notre manière de courir à ce qu’on retrouve en première catégorie amateur chez les hommes, où les courses sont beaucoup plus courtes, entre 120 et 160 km, et où ça part tambour battant, et ça roule à bloc tout le temps. On n’est pas du tout dans la même manière de courir, vu qu’ils vont partir à un rythme plus tranquille, sachant qu’ils ont 250 kilomètres à parcourir.
Retrouvez d’autres témoignages de femmes dont la parole compte dans le monde du cyclisme dans le livre "En Danseuse" de Vicky Carbonneau (ed. Amphora).
"En Danseuse", le livre de Vicky Carbonneau sur le cyclisme féminin, aux Editions Amphora
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