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Tour de France 2023 - Bernard Hinault et le fabuleux double coup de maître des Champs-Elysées

Laurent Vergne

Mis à jour 23/07/2023 à 15:36 GMT+2

Porter le maillot jaune et s'imposer sur les Champs-Elysées relève du fantasme. Un seul homme a accompli cette prouesse. Plutôt deux fois qu'une. Le Breton était un talent rare et un caractère plus exceptionnel encore. Il s'est appuyé sur l'un et l'autre pour triompher sur la célèbre avenue parisienne, qui plus est de deux façons radicalement différentes. Une sacrée prouesse.

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Imaginez, ne serait-ce qu'une seule seconde, Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar échappés ensemble sur les Champs-Elysées ce dimanche et se disputer la victoire sur la célèbre avenue parisienne, avec un triomphe du maillot jaune. Imaginez, dans deux ou trois ans, le Slovène remporter un nouveau Tour de France et régler tout le peloton au sprint lors de la dernière étape. En jaune, là encore. Impossible ? Hautement improbable, au moins.
C'est pourtant le double coup magistral signé par Bernard Hinault en 1979 et 1982. Le seul maillot jaune à jamais avoir triomphé sur les Champs, depuis qu'il a été décidé en 1975 que le Tour s'achèverait dans ce cadre majestueux. C'est peut-être un des exploits les plus sous-estimés de toute l'histoire de la Grande Boucle. Il n'y avait que le Breton pour l'accomplir, avec Eddy Merckx, bien sûr, mais le Cannibale n'en a jamais eu l'opportunité. Le talent, la classe, l'audace et plus encore l'orgueil de ce champion comme le cyclisme (français, mais pas seulement) n'en a plus connu depuis.
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Bernard Hinault - Tour de France - Champs-Elysées

Crédit: Quentin Guichard

Tu as gagné le Tour, laisse-moi l'étape
Son premier coup d'éclat parisien coïncide avec sa deuxième victoire consécutive sur le Tour, en 1979. Longtemps, le "Blaireau" est accroché par Joop Zoetemelk. Jusqu'aux Alpes, le Néerlandais, montre de constance sur la Grande Boucle, peut rêver au jaune. Puis, dans les Alpes, Hinault tue le suspense. Il prend le pouvoir lors de la 15e étape, puis s'impose dans le chrono de Dijon et même la veille de l'arrivée à Paris. Zoetemelk, relégué à plus de 13 minutes, n'a pas tenu la distance. Le triomphe du leader de l'équipe Renault-Gitane est total. Mais il va pousser sa suprématie jusqu'à régner sur les Champs-Elysées.
Le 22 juillet, avant même l'entrée dans Paris, dès la vallée de Chevreuse, Joop Zoetemelk, lance les hostilités à la faveur de la pagaille provoquée par un passage à niveau. Le maillot jaune n'a pas grand-chose à craindre, mais quand on attaque le Blaireau, il réplique. Et voilà les deux hommes forts du Tour partis pour se tirer la bourre une dernière fois, là où personne ne l'attendait, en direction de la capitale. Duel royal dans les bosses des Yvelines.
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Bernard Hinault devant Joop Zoetemelk sur la route de Paris, lors du Tour de France 1979

Crédit: Getty Images

Une fois sur les Champs, sous les yeux d'un public médusé croyant à une blague, les attaques cessent. Les deux ténors décident de collaborer pour empêcher le retour du peloton. Mais dans un sprint à deux face au Breton, le Batave sait qu'il n'a aucune chance. Alors il va tenter de négocier : "Tu as gagné le Tour, laisse-moi l'étape." Mauvaise idée. "Sur ce Tour 79, il m'avait bien fait chier, a raconté Bernard Hinault dans L'Equipe il y a deux ans. Notamment dans l'étape de Roubaix. Je lui ai fait payer en gagnant cinq étapes dont la dernière sur les Champs-Elysées où on s'est retrouvé tous les deux échappés. Il a osé ce jour-là me demander de le laisser gagner, mais j'ai refusé. Les Champs, ça n'avait pas de prix, il n'y avait pas de sentiments à avoir."
Dans son esprit, respecter quelqu'un, c'était lui faire la course jusqu'au bout. Or Hinault avait un respect immense pour Zoetemelk, avec lequel il noue une vraie complicité qui tournera à l'amitié après leurs carrières. Alors il l'a battu. Laisser une victoire, ce n'est pas une marque de respect. Les deux rivaux, compères d'un après-midi, signent en tout cas un sacré numéro. Entrés sur les Champs avec une minute quinze d'avance, ils ont relégué le premier peloton à plus de deux minutes au moment de se jouer la victoire. Et à la fin, Hinault gagne, évidemment.

Face aux critiques

Avançons de trois années dans le temps. 1982. Contraint à l'abandon en 1980, ouvrant la voie à une victoire de... Zoetemelk, la superstar du cyclisme français a repris sa marche en avant l'année suivante. En cet été 1982, il s'apprête à décrocher son quatrième maillot jaune. Mais Hinault agace. Il a mauvaise presse. Au matin de la dernière étape, Le Journal du dimanche ose un titre provocateur : pourquoi Hinault manque-t-il de panache ?
La même question lui a été posée quelques jours plus tôt par des journalistes de L'Equipe. "Du panache ? C'est vous qui pédalez, peut-être ?, a rétorqué, cinglant, le bientôt quadruple vainqueur du Tour. A quoi ça sert que je gagne le Tour de France avec 10 ou 15 minutes d'avance au lieu de 6 ?" Pour un peu, on lui reprocherait de gagner en épicier, alors qu'on lui réclame d'être un "conquérant de l'inutile" à la Merckx quelques années plus tôt. Lui, un épicier ? Un comble.
C'est vrai, il est allé chercher ce Tour 82 à la régularité, plus qu'aux envolées. Domination dans les chronos, gestion dans les ascensions. Hinault n'a aucun adversaire à sa mesure, et même Zoetemelk, à nouveau son dauphin, est moins menaçant. Il est seul, trop seul, alors le peuple s'emmerde et la presse, plus encore. Mais tout le monde oublie un peu vite qu'il sort du Tour d'Italie et que pour rejoindre Coppi, Anquetil et Merckx, les seuls à avoir accompli le doublé Giro-Tour avant lui, il devait aussi se montrer plus gestionnaire qu'à l'accoutumé.
J'ai gagné parce que je n'avais pas le droit de perdre
A Paris, le Breton va donner du panache. Vous en voulez ? Vous allez en avoir. Il tente de d'abord de sortir en force lorsque le peloton débarque sur les Champs. Mais on ne le laisse pas partir. S'il veut récidiver après le coup d'éclat de 1979, c'est au sprint que la merveilleuse tête de lard d'Yffiniac devra le faire. Il reste longtemps caché dans le peloton, au point que personne ne le voit vraiment venir. Puis Charly Bérard entre en scène. "C'est Charly qui est venu me chercher pour m'amener le plus près possible de la ligne. C'était un super équipier, j'avais une totale confiance en lui alors je me suis calé dans sa roue", racontera Hinault.
Dans la dernière ligne droite, plein champ, il produit son effort pour venir coiffer les purs sprinters et notamment Adri Van der Poel, le père de Mathieu, qui tape de rage sur son guidon après la ligne. Là, Hinault a fait du Hinault, du Merckx même, dans ce rôle de conquérant de l'inutile qu'on lui reprochait de ne pas être. Il y a, dans cette seconde victoire sur les Champs, une énorme bouffée de cet orgueil dont il s'est tant nourri. Après son sprint victorieux, à la question "Cette victoire est-elle une réponse aux critiques ?", le Breton livre une réponse un brin énigmatique : "J'ai gagné parce que je n'avais pas le droit de perdre".
En dehors de la victoire, Bernard Hinault n'aimait rien tant que de faire taire ceux qui osaient le critiquer. Et comme ce genre de réponse passait le plus souvent par une victoire, il alliait l'utile à l'agréable. La cerise sur le gâteau, ici, résidant le prestige du cadre. Reverra-t-on, un jour, un maillot jaune triomphal sur les Champs-Elysées ? Il ne faut jamais dire jamais mais tant que le cyclisme ne nous aura pas offert un nouveau Hinault, il n'est pas nécessaire de retenir son souffle. Il était unique. Sur les Champs, il le fut même deux fois.
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