Cyclisme : Faut-il autoriser les remplacements sur les Grands Tours ?

ParRaphaël Brosse

Mis à jour 16/02/2024 à 12:44 GMT+1

La semaine dernière, Eusebio Unzue s’est fendu d’une sortie médiatique remarquée en suggérant l’instauration de remplacements sur les Grands Tours. La proposition du manager de Movistar est loin de faire l’unanimité dans le peloton, tant elle paraît incompatible avec l’essence même du sport cycliste. Mais elle a le mérite d’ouvrir une réflexion et de mettre en évidence des problèmes persistants.

Du haut de ses 68 ans, Eusebio Unzué fait figure d’"ancien" au sein de la confrérie des managers du peloton professionnel. Son âge ne fait cependant pas de lui le chantre d’une vision conservatrice de son sport, bien au contraire. En marge du Tour de Colombie, la semaine dernière, le boss de Movistar a exposé une idée pour le moins étonnante : "Pourquoi ne pas autoriser les remplacements dans les Grands Tours quand un abandon survient la première semaine ?", s’est-il interrogé, invoquant la nécessité de "rendre les règles plus humaines et moins brutales."

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L’an passé, son leader Enric Mas avait dû abandonner le Tour de France dès la première étape à la suite d’une chute. Son équipe n’avait pas réussi à s’en relever, et l’on peut émettre l’hypothèse que la possibilité de remplacer l’Espagnol par un autre élément - au lieu de se retrouver d’emblée réduite à sept - lui aurait permis de davantage peser sur la course. "Au foot, il n’y avait pas de remplacement possible pendant des années", a rappelé Unzué, comme pour donner plus de poids à sa proposition. Sur ce point, en effet, le foot a changé. Sera-ce bientôt au tour de la petite reine ?

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À ce moment-là, on joue à la Playstation ou à l’ordinateur

Dans le microcosme du cyclisme, chacun a son avis sur la question. Et il est parfois très tranché. "Moi, je suis contre, clame Marc Madiot, le manager de Groupama-FDJ, auprès d’Eurosport. À ce moment-là, on joue à la PlayStation ou à l’ordinateur, mais ce n’est plus la course cycliste dans son état brut." Même son de cloche (bien que plus pondéré) chez Thierry Maréchal. "On sent que le cyclisme professionnel est en pleine mutation, donc ce n’est pas étonnant que cette proposition soit mise sur la table. Mais on ne peut pas se diriger vers ça", affirme le directeur sportif de Cofidis.

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Le principal blocage est lié à l’essence même de la discipline. "Dans le cyclisme, il y a un point de départ, un point d’arrivée, et chacun donne le meilleur de lui-même pour gagner. Si on commence à faire rentrer des gars au milieu de la course, on n’est plus dans notre histoire, dans notre ADN. Et ce n’est pas bon", insiste Madiot. Surtout au regard de la mythologie qui accompagne les trois Grands Tours. "Gamin, ce qui me faisait rêver, c’étaient les trois semaines de course, nous raconte Maréchal. Le but, c’est que la fatigue s’accumule chez tous les prétendants. On ne peut pas remettre en cause les valeurs et bases sur lesquelles notre sport a été construit, uniquement sous prétexte de le moderniser."

Pression des sponsors, inégalités et dérives

Steve Chainel est moins catégorique. "C’est toujours compliqué de changer les règles et l’histoire du cyclisme, mais on laisse faire tellement de choses, depuis une quinzaine d’années, qu’il peut y avoir réflexion", admet le consultant Eurosport, qui souligne les enjeux économiques sans doute à l’origine de l’idée d’Unzué. "Je comprends parfaitement ce qu’il veut dire. Sur les Grands Tours, le sponsor a des attentes élevées. Or, si tu perds un coureur au bout d’un ou deux jours, tu es sur la défensive et ton sponsor risque de ne pas être satisfait de son investissement", poursuit-il.

Christian Prudhomme et Eusebio Unzué (Movistar). / Tour de France 2023

Crédit: Imago

Tout le monde s’accorde néanmoins à dire que la piste explorée par le Navarrais est encore trop vague pour être étudiée avec sérieux. En l’état actuel des choses, elle ouvre surtout la porte à un renforcement des inégalités - les équipes aux plus gros budgets auront assurément les remplaçants les plus performants - et à de la roublardise. "Ce serait trop facile de demander à un coureur de se jeter dans une chute et de faire entrer à la place un gars frais quand tout le monde est cramé, avance Thierry Maréchal. De même, s’il n’y a plus d’étape au sprint et qu’on peut remplacer un sprinteur par un grimpeur, ça engendrera des dérives."

Revenir à neuf coureurs, ce ne serait pas dérangeant

Les changements de coureurs pendant le Giro, le Tour ou la Vuelta, ce ne sera donc a priori pas pour tout de suite. Il n’empêche, la "bouteille à la mer" (dixit Marc Madiot) lancée par Eusebio Unzué a au moins le mérite de rouvrir le dossier de la sécurité des coureurs, particulièrement mise à rude épreuve à l’entame des Grands Tours. Et qui explique le nombre souvent élevé d’abandons en première semaine. "Le peloton est de plus en plus nerveux, la vitesse de plus en plus élevée, parce que les organisateurs ne veulent plus de première semaine où il ne se passe rien. Ils vont chercher des descentes, des petites bosses, et ça engendre des chutes", constate Steve Chainel.

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"Les villes-étapes mettent énormément d’argent et aiment avoir l’arrivée dans leur centre-ville, mais l’aménagement urbain n’est pas toujours adapté", abonde Thierry Maréchal, qui souligne aussi que le passage de neuf à huit coureurs par équipe, entré en vigueur en 2018, n’a pas eu l’effet escompté. "On pensait qu’il y aurait moins de chutes avec un peloton moins important, mais ce n’est pas le cas. Revenir à neuf coureurs, ce ne serait pas dérangeant", relève-t-il. Après tout, à défaut de pouvoir remplacer un coureur pendant la course, pourquoi ne pas en avoir un de plus sur la ligne de départ ? Autre question, autre débat.

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