Eurosport
Tour de France 2024 | Portrait de Romain Bardet, le grand malentendu
Par
Publié 13/07/2024 à 23:14 GMT+2
Premier maillot jaune du Tour de France 2024, Romain Bardet avait à cette occasion pu dire à quel point ce qu'il avait pu montrer lors de la 1re étape vers Rimini était la véritable version de lui-même. Homme de sacrifices qui a maximisé un potentiel que l'on n'avait pas décrété exceptionnel, l'Auvergnat est trop longtemps resté dans l'ombre. Celle des autres bien sûr, la sienne aussi.
Marée humaine et grosses émotions : Bardet dans le "virage Bardet"
Video credit: Eurosport
A 33 ans, 34 en novembre, on ne change pas. Décrétez ceci et vous vous tromperez lourdement sur le nouveau Romain Bardet. L'homme derrière le discours qu'il tient depuis le début du Tour de France est bien plus complexe que ce que sa nouvelle liberté laisserait penser. L'homme aux deux podiums sur la plus grande course du monde a pris un virage et offre un nouveau visage.. Ceux qui l'ont connu en formation puis chez les professionnels dressent son portrait avant ce 14 juillet, une date qui pourrait l'inspirer sur le Tour.
/origin-imgresizer.eurosport.com/2024/06/29/3995075-81077208-2560-1440.jpg)
"Fou", "sublime", "fabuleux" : Bardet est "enfin lui-même" et en jaune
Video credit: Eurosport
Au-delà de la surprise de voir ce coureur-là réussir ce coup-là sur la première étape d'un Tour de France et donc pour le maillot jaune, il y eut, à Rimini, un bonheur partagé. La joie de voir un homme lâcher la bride qu'on lui avait passée autour du cou une dizaine d'années plus tôt quand, dans l'ombre des Jean-Christophe Péraud (2e) et de Thibaut Pinot (3e), il avait pris la 6e place du Tour de France. Cette performance avait déjà surpris au sein du CR4C Roanne où, en 2009, on avait vu un coureur intéressant mais à qui on ne promettait pas les honneurs d'une belle carrière professionnelle.
Interrogé un jour de juin 2016, quelques semaines avant la 2e place de Bardet au général du Tour derrière Chris Froome, l'un de ses équipiers de l'époque avait eu ces mots : "Romain ? C'était un guerrier, vous lui coupiez une jambe, il en faisait repousser une dans la nuit. En revanche, vous dire qu'il a le potentiel d'un vainqueur du jour, je n'aurais jamais cru !" Des mots qui résonnent alors que Bardet a désormais abandonné ses envies de briller au sommet des grands tours, épris d'une autre manière de courir pour sa dernière ligne droite, à moins d'un an d'une retraite désormais annoncée.
"J'ai toujours dû me brider, calquer ma course sur d'autres pour jouer le jeu sur le long terme, ce n'est pas quelque chose que j'apprécie faire", a confié Bardet en début de Tour de France. Mais alors pourquoi un tel malentendu ? Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance pour Décathlon-AG2R La Mondiale depuis 2013, connaît son Romain Bardet par cœur. "Je pense que Romain était d'abord dans la démarche, nous confie-t-il. Il a toujours eu un détachement entre le résultat et la méthode. Il voulait s'assurer de faire la préparation d'un mec qui veut gagner le Tour mais il avait un attachement à la régularité. Il ne voulait pas se voir en deçà de ce qu'il imagine de lui. J'ai l'impression que malgré ses résultats, c'est peut-être cette manière de faire qui l'a un peu détaché du public parfois."
Un potentiel maximisé à 110%
Bardet, c'est celui qui a "maximisé son potentiel à 110%", dixit Loïc Varnet, l'homme qui l'a accompagné au centre de formation de Chambéry. Celui qui n'a jamais voulu d'une carrière "on/off". Sa fierté, ce sont ses cinq Tops 10 de suite sur le Tour de France. Ou plutôt c'était car on l'aura compris, le coureur nourrit quelques regrets à l'idée d'avoir sacrifié des années pour le Tour et pour son classement général. Pour autant, regrette-t-il d'avoir tout mis en place pour se donner toutes les chances de le remporter ?
/origin-imgresizer.eurosport.com/2024/06/29/3995037-81076448-2560-1440.jpg)
Un finish en apnée : l'arrivée victorieuse de Bardet
Video credit: Eurosport
Très tôt, l'homme s'avère curieux de tout et surtout de lui-même. Au centre de formation de Chambéry où Loïc Varnet, le directeur de toujours, l'accueille, Bardet refuse l'aménagement des horaires et l'ajout d'une année au cursus scolaire obligatoire dans la structure. Il n'a pas de temps à perdre et consigne déjà dans des cahiers son entraînement et ses données.
A Bardet, on ne répond jamais "je ne sais pas", pas plus qu'on ne lui propose quelque chose sans avoir préparé son discours au millimètre. C'est que le gamin est différent. Il pose mille questions s'il le faut, pour comprendre. "Comme c'est quelqu'un d'intelligent, une fois qu'il a compris, ce n'est plus utile de revenir dessus, confie Varnet. Et c'est ça le gage de ceux qui avancent le plus, qui vont le plus loin dans leur carrière." Douze ans après ses débuts professionnels, l'homme de Brioude est encore là, tout près du haut niveau.
Au long de cette douzaine d'années, personne n'a autant côtoyé Romain Bardet que Jean-Baptiste Quiclet. Arrivé en 2013, celui-ci fut surpris, lors du premier stage, de voir un quasi néo-pro débarquer dans sa chambre pour discuter autour d'un café. Plus tard, Quiclet a compris qu'il s'agissait-là d'un test, que Bardet avait besoin de savoir ce qu'il avait dans le ventre. Sept années d'une relation aussi belle que productive ont suivi. Avant ce duo, AG2R travaille encore un peu à l'ancienne. Avec Bardet, l'équipe a compris qu'il fallait élever le curseur d'exigence.
"Il fallait se sortir les doigts pour soutenir Romain, se souvient le directeur sportif Julien Jurdie. On sentait bien qu'au bout d'un moment, il n'allait pas être satisfait de ce qu'on lui proposait." Tout le monde grandit et Bardet fait tous les sacrifices nécessaires pour évoluer. Ici on évoque "son mental de dingue", là les séances de home-trainer "à jeun". "Quand j'en parle, ça me fout presque les frissons, avoue Jurdie. On sentait que ce n'était pas une contrainte pour lui d'aller faire 5h, 6h, 7h, de faire du dénivelé, de l'intensité. Il prenait même du plaisir là-dedans."
/origin-imgresizer.eurosport.com/2024/06/29/3995108-81077868-2560-1440.jpg)
Gianetti (UAE) : "Bardet le mérite, désolé pour Van Aert"
Video credit: Eurosport
Romain Bardet s'est-il trompé lui-même avec sa volonté de se rapprocher toujours plus de la perfection ? Dans la deuxième moitié de la décennie 2010, il a lui aussi été emporté par l'espoir d'une victoire sur le Tour de France, ce qui a retardé beaucoup de choses en lien avec sa liberté. Une nouvelle façon de courir, d'autres épreuves aussi comme le Giro. En 2017, l'idée avait germé dans son esprit, en 2019 et 2020 aussi. Jamais elle ne s'est réalisée… avant son départ pour DSM.
Pourtant, s'exprimer ailleurs et, pourquoi pas décrocher un nouveau podium, voire un succès, sur le grand tour italien, aurait pu changer sa perception par un public qui lui a souvent mis des étiquettes sur la tête. Celle d'un ascète, ce qu'il n'est pas, d'un leader exigeant et fermé, ce qu'il est encore moins, lui qui n'a jamais hésité à chambrer ses coéquipiers et son staff.
Une dernière victoire sur le Tour ?
"Personne, dans les commentateurs, n'a relevé son courage, parce que faire une vie de classement général du Tour de France, c'est un projet de vie, un investissement de tous les jours, regrette Quiclet quand on lui évoque la ferveur qui ne l'a jamais autant entouré que d'autres. C'est tellement facile… Il aurait pu, en 2016 ou 2017, dès qu'il avait eu un petit statut, faire un peu le maillot à pois, deux ou trois étapes, prendre les échappées au long cours. Peut-être que le grand public aurait remarqué plus de victoires d'étapes…"
Ce public préférait lui demander, à la boulangerie tous les matins, quand il allait gagner le Tour de France, ce qui a pu le mettre dans une case et le pousser à se refermer encore un peu plus autour de son cercle privé. L'Auvergnat communique moins que d'autres mais il aime aussi les manifestations d'amour, comme dans son "virage Bardet" sur la 11e étape.
"Sur le Tour, les gros coups viennent seulement de l'instinct, de la surprise", avait-il témoigné après son succès sur la 1re étape. On reverra Romain Bardet à l'avant et pour la victoire d'ici Nice où il dira adieu au Tour de France. Un nouveau succès au bout d'un joli numéro réhaussera un peu le souvenir que l'on gardera d'un coureur qui a tout fait pour aller le plus haut possible sans parvenir à attraper les quelques étoiles qu'il a approchées.
Sur le même sujet
Publicité
Publicité