Tour de France I Le phénomène Jonas Abrahamsen (Uno-X) : "On ne peut s'empêcher d'en rire"

C'est un Tour plein de surprises. Mais il y a des choses qui ne surprennent plus. Comme une attaque de Jonas Abrahamsen (Uno-X). Il ne joue pas les premiers rôles au classement général comme Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard et Remco Evenepoel, pourtant c'est bien le Norvégien que l'on voit le plus sur cette Grande Boucle. Et pour cause. Sur les neuf premières étapes, il totalisait 516 kilomètres passés devant le peloton, dont 486 dans le groupe de tête. Quasiment le double de son premier "poursuivant" dans ce domaine, l'Espagnol Cristian Rodriguez (276 kilomètres devant le peloton, dont 242 dans le groupe de tête). Et comme il porte le maillot à pois de meilleur grimpeur depuis la 1re étape, c'est impossible de le manquer.

Une attaque d'Abrahamsen, échappé sur quatre étapes (1re, 2e, 6e, 8e), régulièrement à l'offensive sur les autres, c'est quasiment devenu un running-gag sur ce Tour. Pas seulement en France. "En Norvège aussi, témoigne Theis Magelssen, commentateur pour Warner Bros Discovery dans le pays. On s'attend presque à ce qu'il tente une attaque ou qu'il essaie d'influencer la course à un moment ou à un autre pendant toutes les étapes. Parfois, on ne peut s'empêcher de rire un peu de la façon dont il parvient toujours à divertir. Comme lors de l'étape des chemins blancs, où il n'a pas été très visible pendant un bon moment. Mais il a tout de même réussi à lancer une attaque vers la fin de la course."

Infatigable, le Norvégien de 28 ans trouve toujours un moyen de se montrer. C'est ce dont il a toujours rêvé. Mais quand il était plus jeune, il se rêvait différemment. Comme un pur grimpeur, fin comme un fil de fer, un peu à l'image de Chris Froome, un coureur qui l'a largement inspiré. En voyant son gabarit aujourd'hui (1,83 m pour 78 kilos), on ne peut pas imaginer comment il était auparavant. Il y a sept ans, quand il remportait l'Etape du Tour, une course organisée pour les amateurs, au sommet du Col de l'Izoard, Abrahamsen pesait 60 kilos et mesurait 1,77 m. Son plus grand souci, c'était de ne pas prendre plus de poids. Il ne se rendait pas compte que cela retardait sa puberté. Et, surtout, que ça limitait son potentiel de coureur.

Il y a eu une démarche individuelle du Norvégien pour opérer une transformation physique assez incroyable – il a pris une vingtaine de kilos et 6 centimètres après ses 20 ans. Mais son équipe a aussi favorisé cette évolution. "J'ai commencé à travailler avec Jonas en décembre 2019, à ce moment-là il était désireux d'explorer la possibilité d'en prendre davantage, témoigne James Moran, le nutritionniste d'Uno-X. En discutant avec lui et son entraîneur, il a été estimé qu'il avait plus de potentiel explosif. Il avait essayé d'être grimpeur et coureur de classement général, mais malgré son poids, sa physiologie était plus celle d'un rouleur - sprinteur, d'un coureur de classiques. Nous avons amélioré son alimentation pour permettre à son corps d'exprimer ce qu'il essayait d'être naturellement."

Abrahamsen a reconnu se gaver de "gâteaux, de bonbons… et aussi de nourriture normale" dans The Cycling podcast pour expliquer comment il avait pu prendre ces 20 kilos. Il est passé par différentes phases, il a parfois semblé enrobé, mais il a fini par trouver le juste milieu. "Jonas souhaitait améliorer son statut nutritionnel et ses connaissances afin de devenir un meilleur coureur, explique James Moran. Nous avons établi une bonne relation pour qu'il identifie la quantité de nourriture dont il a besoin sur et en dehors du vélo, pour répondre à ses besoins d'entraînement et lui permettre d'augmenter sa masse musculaire fonctionnelle. Jonas est très professionnel pour suivre ses plans nutritionnels et recevoir l'énergie et les hydrates de carbone dont il a besoin sur le vélo et en dehors."

Son véritable poids de forme trouvé, Abrahamsen est devenu un autre homme, physiquement parlant. Et un autre coureur. Une évolution salvatrice. "Le changement de son profil de coureur a sauvé sa carrière, avance Theis Magelssen. Il a pris du poids et son corps a mûri en conséquence. Et son talent a commencé à se développer. Mais il a fallu attendre 2023 pour en voir les effets. Son printemps a été la période la plus prometteuse qu'il ait jamais connue en tant que coureur." Et pourtant, ce printemps, il n'a failli pas le voir. Victime d'une vilaine chute lors d'un stage en Espagne en janvier 2023, il avait avalé sa langue et perdu connaissance. Il ne s'était réveillé que quelques heures plus tard et garde un trou de mémoire. Mais il n'a pas eu de séquelles.

Le sort l'a épargné. Et Abrahamsen a gagné sa sélection sur le Tour 2023 en profitant de certaines circonstances favorables. "Le Tour paraissait encore hors de portée, se souvient Theis Magelssen, qui suit le coureur d'Uno-X depuis 2016. Sans la blessure du capitaine de route, Anders Skaarseth, je doute qu'Abrahamsen ait fait partie de l'équipe pour le Tour l'année dernière." Le Norvégien a saisi sa chance. Retenu non comme grimpeur, mais pour soutenir Alexander Kristoff sur les sprints, il se montre et commence à se faire un nom. "Lors de ce Tour, Abrahamsen est devenu bien connu des fans en Norvège, explique Theis Magelssen. Surtout après sa troisième place dans l'échappée de l'échappée de la 18e étape. Mais il est resté relativement inconnu du grand public norvégien."

Ce n'est plus le cas. Son début de Tour a fait exploser sa cote de popularité au pays, où son histoire atypique est désormais connue de tous. "Il y a eu un changement radical cette année, témoigne Theis Magelssen. Il a été, de loin, LE coureur le plus visible sur les 9 premières étapes de ce Tour. Il n'est plus seulement un coureur Uno-X, il est connu sous son nom. Il est devenu un personnage public cette année. Par exemple, si vous regardez combien de followers les coureurs masculins d'Uno-X ont sur Instagram, vous remarquerez que seuls Magnus Cort et Alexander Kristoff ont plus de followers qu'Abrahamsen. Il a très rapidement acquis un grand nombre d'adeptes." Le phénomène n'a peut-être pas fini de prendre de l'ampleur. Car revoir Abrahamsen à l'avant n'aurait rien de surprenant.