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Antoine Duchesne : "Si Thibaut Pinot avait gagné toute sa carrière, les Français le détesteraient"

Christophe Gaudot

Mis à jour 06/10/2023 à 13:27 GMT+2

Antoine Duchesne connaît son Thibaut Pinot sur le bout des doigts. Arrivé à la Groupama-FDJ en 2018, il a rapidement "cliqué" avec le leader maison au point que ce dernier a toujours voulu l'avoir à ses côtés. Retraité depuis fin 2022, le Canadien évoque son pote, leur souvenir, sa personnalité, juste avant le Tour de Lombardie, ultime course de la carrière de Thibaut Pinot.

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Après Marc Madiot, le manager, c'est au tour de l'ami, du confident d'évoquer Thibaut Pinot qui prendra sa retraite samedi à l'issue du Tour de Lombardie (à suivre sur Eurosport). Antoine Duchesne fut l'un des plus proches de Pinot pendant les quatre saisons qu'il a passées à la Groupama-FDJ (2018-2022). Compagnon de chambre, il livre sa vision, celle de l'équipier qui n'a jamais eu peur de lui dire les choses et qui a toujours été là dans les bons, comme les mauvais moments.
Vous avez pris votre retraite fin 2022 mais vous avez quand même passé beaucoup de temps avec Thibaut cette année…
Antoine Duchesne : On a réussi à se retrouver à quelques moments pendant ses stages, ses vacances. Il y a eu deux stages : à Tenerife pour préparer le Giro puis à Manigod, près de chez moi avant le départ du Tour de France. Cette année je massais pas mal Kevin Geniets et quand Thibaut l'a su, il a un peu sauté sur l'occasion. C'était plus une excuse pour se retrouver et passer une semaine ensemble.
On retrouve là son envie d'être entouré de ses amis…
A.D. : Il a toujours fait du vélo pour ça. Le fait qu'il soit l'un des meilleurs au monde était accessoire pour lui. Il faisait du vélo pour partir déconner avec ses potes, s'amuser. Ses potes ont tous arrêté, c'est pourquoi il se retrouve un peu moins dans la nouvelle génération. La plupart de ses meilleurs amis sont partis, il a senti que c'était à son tour aussi.
Vous arrivez à la Groupama-FDJ en 2018 et il faut attendre le Tour de Pologne pour vous voir aux côtés de Thibaut Pinot…
A.D. : C'est ça. Ça a cliqué entre nous dès le Tour de Pologne. On avait gagné une étape (avec Georg Preidler, plus tard convaincu de dopage, NDLR) et il avait fini 3e du général. Sportivement ça avait vraiment bien roulé et dans le bus on était un beau groupe. On a enchaîné avec la Vuelta avec deux victoires pour Thibaut et le maillot rouge de Rudy Molard. A cette époque-là, on s'était parlé et on s'était dit qu'il fallait pouvoir rouler ensemble le plus possible. C'est pour ça qu'après on s'est un peu plus retrouvé. Si tu es avec des gens pendant un mois, autant prendre ceux que tu aimes. C'était très important pour Thibaut. Il s'est toujours plus entouré de personnes qu'ils aimaient humainement que nécessairement le meilleur coureur du monde. Les coureurs qui étaient en chambre avec lui, sans rien nous enlever, on n'était pas les plus forts et on lui apportait autre chose qu'un bout droit avant un virage.
"Quand tu l'apprivoises ou plutôt quand il te laisse l'apprivoiser…". Ce sont vos mots à propos de Thibaut Pinot et de l'amitié. Comment ça a "cliqué" entre vous ?
A.D. : Je ne l'ai jamais abordé comme étant le leader de l'équipe qui a gagné des Monuments, potentiel vainqueur du Tour de France. Je lui ai toujours parlé franc, je n'ai jamais eu de sous-entendus avec lui. Quand il fallait lui dire de fermer sa gueule, je lui disais. La plupart des gens ne le font pas parce qu'ils ont peur que ça ne passe pas. On était capable de se parler. Quand je n'étais pas bon, il me le disait. On a toujours eu une relation très franche. On est très différents mais on se rejoint sur les trucs importants. On aime la nature, on jardine beaucoup, les animaux, travailler, la bonne bouffe. On aime beaucoup de choses hors vélo, parfois dans le milieu c'est dur de parler d'autre chose. On se rejoignait sur ça, d'avoir envie d'échanger sur d'autres sujets, sur tout sauf le vélo en fait. Thibaut ne parle jamais de cyclisme.
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Thibaut Pinot, c'est aussi l'homme des très hauts et des très bas. Ces moments ont-ils aidé à forger votre amitié ?
A.D. : Oui parce que quand ça ne va pas bien, tu vois qui reste autour, ceux qui sont là pour te soutenir. Quand ça va bien, tout le monde est là, content, souriant. Tu vois le vrai visage du monde quand ça ne va pas. J'ai aussi eu des années difficiles, il était là pour moi quand ça n'allait pas. Quand c'était l'heure des renouvellements de contrat et que j'étais blessé ou malade, comme on dit en québécois, il allait au "batte" pour moi (expression empruntée au baseball qui signifie, "prendre un coup pour quelqu'un d'autre", NDLR). Il a dit à l'équipe "je lui fais confiance, faites lui confiance aussi". Quand il n'allait pas, j'essayais de l'aider.
Quel leader était Thibaut Pinot ?
A.D. : Il est sanguin. Quand il n'est pas bien, tu le sens, il est stressé, impatient, bougon. C'est quelqu'un de très charismatique donc il y a un gros nuage au-dessus de tout le monde quand ça ne va pas. Il était aussi 100% capable de dire quand ça n'allait pas mais aussi de reconnaître les qualités d'un équipier. Il n'a jamais eu peur de dire le bien comme le mal. Et quand il disait "je suis bien, on y va", ça donnait des ailes. Tout le monde y croyait, on savait que s'il osait le dire c'est qu'il ne sentait pas les pédales et qu'il allait le gagner.
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S'il ne fallait retenir qu'une seule victoire de Thibaut à laquelle vous avez participé, ce serait laquelle ?
A.D. : Le Tour de Suisse 2022, la dernière étape, c'était incroyable ! On a écrit noir sur blanc ce qu'il fallait faire, c'était fou cette émotion. J'en ai tellement mis en début de course pour contrôler… On pensait que c'était plié, qu'on allait tout perdre, on est parvenu à relancer. Il a réussi à sortir avec un coéquipier (Lewis Askey). Il est largué au pied du dernier col, finalement il rentre. On entend à l'oreillette qu'il gagne… C'était un moment de fou, l'un des plus beaux de ma carrière en tant qu'équipier. Le soir on a bu un peu de vin, on était dans un bel hôtel, on s'est baigné. C'est vraiment une belle victoire d'équipe parce que tout le monde s'y est mis. On a dit qu'il fallait faire les choses d'une certaine manière et c'est ce qu'on a fait.
Thibaut était-il du genre à dire merci à ses coéquipiers, à le verbaliser ?
A.D. : Il disait merci directement mais il y avait beaucoup de non-dits. Thibaut a toujours attendu que ses équipiers signent avant lui, il partage ses primes comme aucun leader… Il dit merci mais il le montre beaucoup plus par ses actes. Certains le disent et ne le pensent pas, lui, c'est par ses actions qu'on saisit la profondeur du merci.
Pensez-vous qu'il aurait continué sa carrière si vous ou 2-3 autres étaient toujours là ?
A.D. : C'est vraiment dur à dire. Je pense que là, il est vraiment prêt à s'arrêter. Il y a trop de "si". S'il n'avait pas eu sa blessure en 2020, pas sa déchirure de la cuisse en 2019, si Arthur était encore là, si moi j'étais encore là… Ça fait 14 années qu'il est là, il y a une pression sur ses épaules depuis la deuxième. Ce sont des choses qu'on ne voit pas. Il y a eu des moments difficiles, c'est usant. Sans rien enlever à Matthieu Ladagnous, ce n'est pas le même genre de carrière. Quand il rentre chez lui, personne ne l'emmerde. Ce n'est pas le même poids. Quand je n'étais pas bon, c'était dur pour moi mais je n'avais pas de pression. Personne ne dépendait de moi. Quand trente personnes sont là pour toi, ce n'est pas la même pression. Et Thibaut est conscient de ça. C'est ce qui rend la chose belle mais aussi difficile. S'il ne performe pas bien, Thibaut se sent mal pour son kiné qui a pris un mois de vacances pour venir avec lui sur le Tour de France. Il disait "tu n'es pas avec ta famille pour être avec moi et puis je ne suis pas bon…". Il vit ça, il le ressent.
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Quelque part, ce que vous dîtes résume très bien Thibaut Pinot.
A.D. : On a les défauts de nos qualités. Il fait les performances qu'il fait parce qu'il est émotif et qu'il va aller au bout de lui-même. Il a des victoires qui font rêver tout le monde parce qu'il gagne avec classe et panache. Et quand il perd, c'est avec classe et panache aussi. C'est vivant, on ressent sa peine. C'est pour ça qu'il est populaire en France, il est vrai et pas dans le calcul. Tout le monde y croit parce qu'il a l'air humain. Il n'est pas toujours bon et les Français aiment ça. S'il avait gagné toute sa carrière, les Français le détesteraient aujourd'hui, peu importe la popularité qu'il a. Les Français adorent les deuxièmes mais il faut gagner de temps en temps pour qu'ils t'aiment.
Pensez-vous, comme d'autres, que Pinot se reconnaît moins dans le cyclisme moderne ?
A.D. : Aujourd'hui tout est calculé. On sait tellement ce qu'il faut faire, ça a tellement été documenté. Le feeling entre moins en ligne de compte. Lui c'est un gars qui aime s'entraîner en montant vite une bosse parce qu'elle est là. Ce n'est pas, objectivement, toujours la meilleure manière façon de faire mais c'est comme ça qu'il fonctionne. Si tu es capable d'adhérer à toutes les nouveautés technologiques, tu es capable d'être performant. Lui n'y a pas adhéré. D'ailleurs si ça avait été le cas, il aurait déjà arrêté. Le fait de ne pas se mettre dedans lui a permis de continuer. Il faisait à sa façon. S'il faut tout suivre, vous n'avez plus vraiment de place pour autre chose dans votre vie. Il est vraiment heureux d'arrêter.
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