Tour des Flandres - Derrière Mathieu van der Poel, l’empire des frères Roodhooft

Il est des coins, en Belgique, où chaque détour, parmi les maisons de briques ou au milieu des champs, mène à un champion cycliste. Herentals, dans la province d’Anvers, compte quelque 20.000 habitants. Le plus illustre d’entre eux a été consacré “Empereur” à la faveur de ses innombrables conquêtes sur la route (entre 350 et 500 victoires, selon les décomptes). Alors pour le 90e anniversaire de Rik Van Looy, en décembre, la municipalité a célébré ce champion parmi les champions avec l’inauguration d’une statue en centre-ville.

La presse belge recensait un certain nombre de “célébrités régionales” du vélo : Erwin Vervecken (qui organise désormais le Herentals Crosst), Paul Herijgers, Kurt Van de Wouwer, Jan Bakelants… Autre enfant de la ville, Wout van Aert était représenté par le grand portrait qui lui est dédié quelques pavés plus loin. Trois mois plus tard, le Belge est rentré au pays après sa terrible chute sur À travers la Flandre, dont les séquelles sont soignées à l’hôpital AZ, au nord de la ville.

Une poignée de kilomètres plus au sud, Herentals accueille également le siège de l’empire bâti par les frères Roodhooft, Christoph et Philip, dont les multiples structures emmenées par Mathieu van der Poel, Jasper Philipsen, Puck Pieterse, Ceylin del Carmen Alvarado ou encore Sam Gaze brillent sur tous les terrains.

Leur vaisseau-amiral, l’équipe Alpecin-Deceuninck, se décline aussi bien au masculin qu’au féminin, sur la route, les labourés du cyclo-cross, les circuits de VTT et même le gravel, avec des équipes de développement pour accompagner les superstars aguerries. Les frères Roodhooft sont également aux commandes de Crelan-Corendon (pour les purs spécialistes du cyclo-cross, emmenés par Laurens Sweeck et Sanne Cant) mais aussi Cyclocross Reds (ex-777, jusqu’à l’adoption en Belgique d’une nouvelle loi restreignant la promotion des jeux de hasard).

Les deux frères ont eux-même été coureurs (surtout Christoph) au tournant du 21e siècle, sans grand succès. On retient que Christoph Roodhooft a été pincé en possession d’une faible quantité de DHEA (l’hormone détectée lors de la contre-analyse qui a mené à la suspension de Paul Pogba) lors d’une perquisition à son domicile en 2006. Jugé trois ans plus tard, il regrettait que cette "vieille" histoire jette une ombre sur sa mue récente en tant que manager. Limités en compétition, c’est en tant que dirigeants que les frères Roodhooft sont devenus des éminences incontournables ces quinze dernières années.

Philipp a commencé par de premières collaborations avec les formations dans lesquelles Christoph courait, puis les frangins ont créé Ciclismo Mundial, l’entreprise derrière leurs équipes à succès. Leur première formation, lancée en 2009, s’appelle BKCP-Powerplus et elle est très ambitieuse : les jeunes dirigeants ont signé un gros coup en recrutant Niels Albert, champion du monde Espoirs de cyclo-cross en 2008, qui va également s’imposer chez les Élites en 2009 et 2012. Le talentueux Belge (originaire de Bonheiden, à 30 km d'Herentals) a dû arrêter sa carrière en 2014, en raison de problèmes cardiaques, mais les Roodhooft avaient assuré leur avenir entretemps.

Quelques mois plus tôt, le 1er janvier 2014, Mathieu van der Poel (né à Kapellen, à 40 km d'Herentals) rejoignait le giron Roodhooft. Dix ans plus tard, le Néerlandais vient de renouveler son contrat jusque fin 2028.

“Prolonger est un choix logique pour moi”, explique le champion du monde en titre sur la route et en cyclo-cross, qui continue de rêver à l’or olympique en VTT. “Je me suis senti particulièrement à l’aise dans les structures de Philip et Christoph Roodhooft depuis le début. C’est l’équipe parfaite pour continuer à combiner la route, le VTT et le cyclo-cross.”

MVDP et d'Alpecin-Deceuninck épousent une même trajectoire iridescente, d'abord en cyclo-cross puis sur la route, mais il serait simpliste de réduire le succès des Roodhooft aux exploits de leur superstar à tout à faire. "On avait une équipe de cyclo-cross et un jour on s’est dit en rigolant : 'On aimerait aller au Tour de France'.", nous expliquait Christoph fin 2022, au moment de valider l'accession d'Alpecin-Deceuninck en World Tour. "Je pense que c’est notre plus grande victoire pour mon frère et moi", appuyait-il alors que le monde entier observait que l'équipe belge était devenue bien trop grande pour rester en deuxième division.

Après ses débuts réussis sur les classiques, elle a fait irruption sur les Grands Tours en 2021. Depuis, c'est un carton plein avec au moins une victoire sur chacune des neuf épreuves de trois semaines disputées par Alpecin-Deceuninck, grâce à Van der Poel, évidemment, mais aussi Tim Merlier, Kaden Groves, Jay Vine, Stefano Oldani, Dries De Bondt et bien sûr Jasper Philipsen, recruté dès 2021. "Bien sûr, j'avais des contacts en WorldTour mais c'est le projet d'Alpecin-Fenix qui m'a le plus convaincu", expliquait-il. "L'encadrement et le matériel sont vraiment au top.”

Un an plus tard, les Roodhooft signaient un autre débauchage en attirant Deceuninck, qui parrainait auparavant la structure Quick-Step en World Tour et a accepté de faire un pas en arrière (très temporaire). Les deux frères ont su jongler aussi bien avec les talents sportifs que les soutiens financiers pour s’imposer comme une force majeure, aux côtés des toutes-puissantes UAE Team Emirates et Visma-Lease a Bike.

Leur dynamique du succès est incarné aujourd'hui par Axel Laurance, champion du monde Espoirs sur la route, tout frais vainqueur d'étape sur la Volta a Catalunya, qui découvrira le Tour des Flandres ce week-end. "Chacun a un rôle, sait ce qu'il a à faire", explique le jeune Français dans un entretien à paraître dans Vélo Magazine. "Si tu fais 5 et 10, on vient te dire : 'Mais qu'est-ce que tu fais là ?' La philosophie, c'est qu'on est là juste pour gagner." Et ça réussit particulièrement bien aux frères Christoph et Philip Roodhooft, Administrateurs d'Herentals.