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Hugues Obry : "J'adore gagner mais je peux accepter qu'on perde si on sait pourquoi"

Gilles Della Posta

Publié 18/07/2022 à 23:51 GMT+2

CHAMPIONNATS DU MONDE – Les épéistes français sont en piste mardi au Caire pour l'épreuve individuelle. Avec quatre membres du Top 10 mondial, le champion olympique en titre Romain Cannone et Yannick Borel fraîchement sacré champion d'Europe, le groupe est ambitieux. Rencontre avec leur entraîneur, Hugues Obry. Toujours aussi passionné et exigeant.

Hugues Obry lors du Challenge Monal, le 16 avril 2022

Crédit: Imago

Moins d'un an après son retour de Chine au poste d'entraîneur de l'équipe de France masculine d’épée, Hugues Obry conduit en Egypte une délégation qui pourrait ressembler à une "dream team". Pour autant, le patron des épéistes se montre mesuré dans ses attentes.
Un champion Olympique en titre, un tout nouveau triple champion d'Europe, un titre de champion du monde par équipes à défendre, quatre victoires individuelles en Grand Prix cette saison avec trois tireurs différents, ce serait peu dire que, sur le papier, les épéistes français débarquent au Caire en tant que favoris.
Malgré ce bilan flatteur, leur entraîneur est resté sur sa faim lors des Championnats d'Europe où le bronze est venu conclure le parcours d'une équipe qui semblait promise à un métal plus précieux. Obry nous a confié sa vision sur son groupe, ses réflexions sur le travail à effectuer, ses attentes pour ces Championnats du monde mais aussi d'un point de vue plus personnel, le regard qu'il porte sur son passage en tant qu'entraîneur en Chine.
Quel bilan tirez-vous des Championnats d’Europe ? (Yannick Borel titré en individuel, médaille de bronze pour la France par équipes, NDLR) ?
H.O. : Un sentiment mitigé. On avait un objectif de deux médailles donc l'objectif a été atteint. Un bon Yannick Borel en individuel qui gagne, mais je suis déçu de la prestation des trois autres. Je m'attendais à mieux. Pas forcément une médaille, mais au moins mieux. Et puis une déception énorme par équipes parce qu'on a certes une médaille mais dans le déroulement de la demi-finale (face à l'Italie, NDLR), c'est un match qu'on ne doit jamais perdre et on le perd. Je ne dis pas que le titre était assuré face à Israël, mais c'était tout à fait jouable. Donc, dans l'ensemble, c'est un sentiment mitigé.
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Une finale à sens unique : les dernières touches du sacre de Borel en images

D'autant que la saison en Coupe du monde avait été assez exceptionnelle. D'où ce petit sentiment de déception ?
H.O. : Il faut savoir que les Coupes du monde en épée sont plus difficiles que les Championnats (d’Europe ou du monde, NDLR) du fait qu'il y a parfois douze Italiens, douze Français ou généralement plus de représentants par nation. Dans un championnat, c'est la médaille qu'on va chercher, donc c'est complètement différent. Le point positif, c'est qu'on a pu se nourrir de victoires et ça c’est très bien pour les garçons. On a vu qu'elles peuvent venir de beaucoup d'athlètes différents et ça, cela montre la qualité du groupe. Mais un championnat reste un championnat. Après, je me nourris d'une victoire sur un championnat d'Europe. Je me dis qu'on est encore dans le vrai dans ces compétitions. Mais un Championnat du monde, c'est encore autre chose. Donc, je me méfie de tout ça. Mais je préfère évidemment aller faire les Mondiaux en ayant gagné avant plutôt qu'en recherchant encore la victoire.
Vous aviez parlé d'un objectif de deux médailles pour les épéistes aux Championnats d’Europe. Et pour les Mondiaux ?
H.O. : C'est aussi deux médailles. On a un bon potentiel. Avec les premier, deuxième, septième et quatorzième au classement de la Coupe du monde, on dispose du plus fort contingent. Pour autant, je n'ai pas mis dans mes plans une victoire aux Mondiaux. C'est déjà très bien d'avoir gagné aux Championnats d’Europe mais d'ici à aller chercher le titre mondial, ce n’est peut-être pas encore l'objectif.
Pourquoi cette prudence ?
H.O. : Si l'opportunité se présente, on ira la chercher, faites-nous confiance, mais on doit encore beaucoup évoluer. Gagner dès maintenant, ce serait bien mais ce n'est pas notre finalité car on a encore une marge d'évolution.
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Hugues Obry lors du Challenge Monal, le 16 avril 2022

Crédit: Imago

La France est championne du monde en titre par équipes, elle a le champion olympique en titre, des anciens champions du monde et même champions olympiques, mais il n'y a paradoxalement eu que des victoires individuelles cette saison...
H.O. : On a atteint le 3e rang mondial cette année, et on doit encore progresser car on n'a toujours pas gagné. On va essayer de monter sur le podium car il faut monter régulièrement sur le podium pour prétendre à la victoire. Il y a beaucoup de choses à régler encore au niveau des relais, il faut qu'on apprenne à les finir. Il faut que nous trouvions une cohésion pour que les trois tireurs soient totalement en phase.
Cette saison, on a toujours eu un ou deux gars qui déraille(nt) à un peu à un moment. C'est cette cohésion là qu'on doit rechercher, et il nous reste encore deux ans pour trouver la recette. Il faut reconnaître que si nous sommes sur la bonne voie, c'est parce qu'à la base, il y a eu un bon travail, des bonnes individualités, donc normalement le par équipes devrait retrouver la forme assez rapidement.
Comment construit-on une équipe pour gagner avec des individualités comme celles dont vous disposez ?
H.O. : Avant, l'équipe reposait énormément sur Yannick. C'était vraiment celui qui faisait la pluie et le beau temps, donc s'il était en forme, tout allait bien, s'il ne l'était pas, rien ne fonctionnait. J'essaie de trouver plus d'homogénéité dans mon équipe et pour cela, je donne plus de responsabilités à Alexandre Bardenet qui, avant, n'était jamais positionné en dernier relayeur. On essaye aussi de trouver une place plus stable pour Romain (Cannone) car son rôle est tout à fait nouveau. Avant, il avait un rôle de joker dans l'équipe alors que désormais, il doit faire des matchs complets, ce qui est un peu plus dur pour lui aussi. Tout cela constitue une somme de changements importants.
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Cannone en or : la 15e touche du sacre et l'explosion de joie du clan français

Yannick reste le leader ?
H.O. : Moi, je ne veux plus mettre tout sur les épaules de Yannick parce que c'est trop lourd et sur une durée de deux ou trois ans, c'est trop pour un seul athlète. En responsabilisant tout le monde, cela permet aussi de donner moins de certitudes aux adversaires. Si je fais toujours commencer ou finir Yannick, ils sauront mettre en place des stratégies en face. Alors que si je peux changer l'ordre, faire évoluer mon équipe en interne, ça va poser plus de problèmes à nos adversaires.
Durant la demi-finale par équipes perdue face à l'Italie, que s'est-il passé ? On a dit que Romain Cannone avait craqué. Comment voyez-vous les choses ?
H.O. : Alors... (il réfléchit). Il a craqué parce que la différence se fait sur son dernier relais. Mais il commence par mettre un 7-1 et ensuite il prend 9-4, mais en fait c'est le seul français à avoir un bilan positif sur la rencontre et je tiens à le signaler. Pour moi, c'est la responsabilité de tous. Moi ce que je cherche à comprendre, c'est pourquoi Romain, dans ses derniers relais, est un peu moins présent. Ça, c'est une réelle problématique pour moi. Ce n'est pas anodin. J'avais noté des choses qui l'ont amené à faire des relais plus rapprochés en début de match. Depuis, je pense avoir compris quelque chose. On va voir sur les Championnats du monde si ça se confirme, et si c'est le cas, il faudra travailler sur ce point parce qu'on ne peut pas se permettre d'avoir quelqu'un qui soit moins bon sur le dernier relais.
Comment s'est passé le stage terminal qui a eu lieu à Forges-les-Eaux, êtes-vous satisfait du travail accompli ?
H.O. : On a modifié un peu le programme parce que le sol n'était pas adapté et, en épée, on a des gros gabarits qui s'engagent. C'était très dur pour eux à supporter physiquement. Sur les séances plus courtes que nous avons faites, il y avait vraiment beaucoup d'engagement, je les ai trouvés très bien lors de la leçon individuelle que nous avons faite. C'était cinquante minutes de travail de vraiment forte intensité.
Individuellement, comment jugez-vous vos tireurs ?
H.O. : J'ai pu parler avec Romain qui s'est un peu retranché un peu sur lui. Donc j'ai trouvé ça très positif. Ensuite Yannick a vraiment eu un bon engagement physique malgré quelques douleurs au dos dues au revêtement. J'ai aussi trouvé Alexandre Bardenet très bien. Maintenant il va devoir montrer davantage sur les championnats parce que c'est un homme de Coupe du monde, quand l'enjeu ne n'est pas aussi important. Il va devoir aller chercher des médailles. Enfin j'ai retrouvé Nelson Lopez-Pourtier en forme après sa petite contusion au mollet qui lui a valu presque un mois et demi d'arrêt. J'avais quelques doutes le concernant et il a été très bon.
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Hugues Obry, à droite, avec Alexandre Bardenet, lors du Challenge Monal, le 16 avril 2022

Crédit: Imago

Avez-vous arrêté les trois places pour l'épreuve par équipes ?
H.O. : Pour donner totalement sa chance en individuelle à Nelson, j'ai sélectionné quelqu'un d’autre pour la compétition par équipes. Ça lui permettra de tout donner en individuelle sans avoir en tête d’éventuellement se réserver pour le "par équipes". En retour, cela donne aussi un peu plus de sérénité pour les trois autres membres de l'équipe qui savent que même en cas de blessure, un quatrième tireur sera là pour les aider. (Alex Fava sera le remplaçant, ndlr).
A titre personnel, votre passage en Chine vous a-t-il apporté des choses ?
H.O. : Oui, tout d'abord j'ai plus de certitudes par rapport à mon travail. On se fait une vision de l'entraînement chinois supposé dur, et bien même là-bas, j'étais quelqu'un considéré comme 'dur' dans l'entraînement. J'ai vu aussi que ma façon de travailler peut s'exporter, que je suis capable de faire évoluer des athlètes avec un niveau un peu moindre.
En quoi cette expérience vous a-t-elle changé ?
H.O. : Je crois que j'ai une exigence au travail qui est encore plus importante qu'avant. En Chine, j'ai eu un groupe avec moi 24 heures sur 24 et je me suis montré exigeant avec eux sur tous les points de vue. Quand j'étais jeune entraîneur, j'étais un peu plus cool au quotidien et très exigeant sur les compétitions. Maintenant, c'est plutôt l'inverse : je suis très exigeant sur les entraînements au quotidien et je relativise énormément la compétition. J'adore gagner, mais je peux accepter qu'on perde si on sait pourquoi on perd et si on accepte de travailler sur nos points faibles. Je n'ai plus peur de travailler dur moi-même. Travailler le week-end, chez moi quand je rentre le soir, je le fais désormais sans problème parce qu'en Chine, c'était du non-stop. Le travail ne me fait plus peur, je vis sereinement et je profite de pouvoir rentrer chez moi tous les soirs.
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