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Bundesliga - Après l'orgie et la pénurie, le plaisir retrouvé de la rareté

Laurent Vergne

Mis à jour 16/05/2020 à 09:19 GMT+2

BUNDESLIGA - Ce samedi, c'est le jour d'après. Le retour, sur nos écrans, du sport en direct. Un évènement, après des semaines d'un sevrage aussi brutal que total imposé par la pandémie de Covid-19. Un retour très partiel et frustrant. A huis-clos ce qui, sans le moindre doute, ôte une partie essentielle de ce spectacle vivant qu'est le sport. Mais un retour quand même.

Le match opposant Cologne au Borussia Moenchengladbach, le 11 mars 2020

Crédit: Getty Images

Comme le reste de la société, le sport est soumis depuis des années à une forme de surconsommation. Il est, dans l'absolu, possible de tout voir, de ne rater aucune miette d'aucun gâteau. La globalisation du sport et l'élargissement des moyens de diffusion et de communication depuis un quart de siècle, via la télévision par satellite puis internet, ont mondialisé la consommation du sport.
Les années 80, voire le début des années 90, ont été renvoyées à l'âge de pierre médiatique. Celles où le simple fait de voir un match de foot constituait un évènement. Où le tennis se limitait à Roland-Garros, la Coupe Davis et des finales de Grand Chelem. Pour le reste, c'était, au mieux, quelques images et, le plus souvent du différé.
Il n'est pas question de dire que c'était mieux avant. D'afficher une nostalgie devant des temps où, même certains matches de Coupe d'Europe des clubs français s'écoutaient (au mieux) à la radio plus qu'ils ne se regardaient. Qui peut se plaindre de pouvoir profiter de chaque match de son équipe favorite en Ligue 1 ? De ne rien perdre d'à peu près n'importe quel championnat majeur (quand Michel Platini a signé à la Juventus en 1983, il fallait attendre... le week-end suivant pour voir ses buts à la télévision française) ? De pouvoir assister à tous les matches de tennis jusque dans les contrées les plus improbables ? De regarder chaque course du calendrier cycliste ? Et ainsi de suite.

Les vertus de la profusion... et ses vices

Aujourd'hui, même le fanatique de football américain a l'opportunité de profiter en intégralité de tous les matches de son équipe favorite en intégralité et en direct. Jadis, c'était 3615 L'Equipe le lundi matin pour découvrir les résultats et quelques images le samedi suivant sur Canal. Tout cela a un coût, parfois exorbitant pour qui possède des goûts éclectiques, mais cette possibilité est offerte.
De la rareté à la fin du millénaire précédent, nous sommes entrés au XXIe siècle dans l'ère de l'orgie. Une incroyable profusion, avec ses vertus incontestables et ses quelques vices. Nous sommes gavés de sport comme des oies. Nous l'ingurgitons plus que nous ne le savourons. Ce schéma nous transforme parfois en Mister Creosote de salon. Creosote, cet effarant personnage incarné par le génial Terry Jones dans une scène fameuse du film des Monty Python, Le Sens de la Vie. Avec sa morphologie à faire passer un obèse pour Kate Moss, il se rend dans un très grand restaurant et s'offre un repas gargantuesque, enchaînant les plats tout en vomissant, jusqu'à l'explosion finale. Difficile de faire plus violent et évocateur comme critique de la surconsommation.
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Manuel Amoros, jadis recordman du nombre de capes en bleu, va bientôt sortir du Top 15

Crédit: Getty Images

Par sa toute-puissance, le football a symbolisé mieux (et plus, surtout) que tout autre discipline ce gavage. Quantitativement, le ballon rond, ivre de sa popularité, a parfois frôlé l'overdose. Surtout à travers ses compétitions internationales. La Ligue des champions, nouveau monstre destiné à satisfaire l'appétit financier créosotien des plus grands clubs du continent, a inventé des phases de poules à l'intérêt sportif parfois discutable. Les matches des sélections se sont également multipliés. Manuel Amoros, jadis recordman du nombre de capes en bleu, s'apprête à sortir du top 15 dans cette catégorie. En dix ans, il avait cumulé 82 sélections. Deux de moins qu'un William Gallas, dont la carrière en équipe de France s'étire pourtant sur seulement huit années.

Tout pour la quantité... et moins de plaisir ?

L'obsession de notre temps, ce fut le remplissage. Si les instances internationales n'ont pas encore osé touché au rythme quadriennal de monuments tels que l'Euro et plus encore la Coupe du monde, elles ont partiellement galvaudé le plaisir en multipliant les rencontres. C'est l'Euro à 32 plus qu'à huit. Ce sera, bientôt, le Mondial à 48. Tout converge vers le quantitatif, d'une manière ou d'une autre. Or le plaisir nait aussi de la rareté. De l'attente, surtout. Dans la formule ancestrale des Coupes d'Europe, les huitièmes de finale de la C1 s'achevaient début novembre. Les quarts débutaient en mars.
C'est ce qu'on appelait "passer l'hiver au chaud". Quatre mois à trépigner. C'était long, interminable même, mais quand l'Europe revenait en même temps que le printemps, son goût n'en était que plus appréciable. Quand vous attendiez un tiers de l'année pour voir Marseille défier le grand Milan (en 1991, lors de l'ultime édition avant la bascule vers autre chose), le moment venu, c'était Noël en mars. Or si Noël possède une telle force aux yeux des enfants, c'est parce qu'il ne revient que le 25 décembre. Si Noël avait lieu tous les quinze jours, il est raisonnable de penser que l'évènement perdrait de sa force évocatrice.
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Gullit (AC Milan) au duel avec Basile Boli (Marseille) en 1991

Crédit: Imago

Nous ne savions plus patienter, nous ne parvenions plus à profiter, nous avions oublié notre chance. Contraints et forcés, il est temps de la mesurer à nouveau. Comme il sera temps, un jour, d'apprécier à leur juste valeur le retour de la NBA, celui de la rumeur soyeuse du peloton, d'un Federer sur les courts ou du vrombissement des monoplaces sur les circuits.
Tout ça ne durera pas. Nous oublierons très vite. Aussi vite que nous chasserons cette patience forcée. Nos habitudes sont trop bien ancrées pour ne pas revenir au galop. Le monde d'avant, le monde du sport d'avant, reprendra ses droits et c'est souhaitable. On ne compense pas l'absence du trop-plein par le vide absolu. Mais il ne sera pas interdit de conserver, sinon une nostalgie, au moins une certaine émotion devant ces petits plaisirs dont nous sommes sevrés. Alors, qui sait, si tout va bien, dans 20 ou 30 ans, en rigolant de tout ça autour d'un verre en terrasse, peut-être direz-vous "tu te souviens, quand on avait savouré ce Dortmund-Schalke comme si c'était une finale de Coupe du monde ?"
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