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Réservée aux Argentins ou aux Brésiliens : la Copa Libertadores, plus élitiste que jamais
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Publié 03/11/2023 à 00:55 GMT+1
Des éditions qui se suivent et se ressemblent. Ces dernières années, les finales de Copa Libertadores sont devenues le domaine réservé des Brésiliens et du duo argentin Boca-River. Une évolution qui rappelle celle connue par la Ligue des champions. Même si la célèbre compétition sud-américaine a su conserver une part de sa personnalité.
Flamengo (Copa Libertadores)
Crédit: Getty Images
Samedi soir, Boca Juniors aura l'occasion de rejoindre Independiente, le "Rey de Copas", club le plus titré de la Copa Libertadores, avec sept trophées remportés entre 1964 et 1984. Il faudra pour cela dominer le Fluminense de l'ex-madrilène, Marcelo. Un défi de taille tant les clubs brésiliens dominent l'épreuve. Les trois dernières finales se sont ainsi disputées entre auriverdes, et même le dernier carré leur est presque exclusivement réservé. Cette année, comme les deux précédentes, trois représentants du Brasileiro s'étaient ainsi hissés en demi-finales. Boca Juniors ne doit d'ailleurs sa présence samedi, au Maracana, qu'à une séance de tirs aux buts face à Palmeiras, lauréat des éditions 2020 et 2021.
Des Brésiliens et Boca ou River (en 2018 et 2019), voilà à quoi ressemblent les récentes finales de la Libertadores. Un processus d'oligarchisation qui rappelle celui connu par la Ligue des champions, une "révolution élitiste" que Jérôme Latta a décrit méthodiquement dans son dernier ouvrage ("Ce que le football est devenu : trois décennies de révolution libérale"). Les dirigeants de la Conmebol ne cachent d'ailleurs pas de prendre pour modèle la compétition européenne. Depuis 2019, c'en est ainsi fini des finales aller-retour où le douzième homme jouait de tout son poids depuis 1960. Le trophée se dispute sur un match, sur terrain neutre, sauf quand le hasard conduit Fluminense à disputer cette année la finale, à domicile, à Rio. Un hymne a aussi été créé, l'entrée des joueurs suit le même protocole que sur le Vieux Continent, et les troisièmes de la phase de groupe sont reversés en Copa Sudamericana, l'équivalent de la Ligue Europa.
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Edinson Cavani et Boca Juniors disputeront la finale de la Copa Libertadores
Crédit: Getty Images
En Libertadores, le poids des grandes nations est même aujourd'hui plus prononcé qu'en C1. En 2022, neuf clubs brésiliens ont ainsi disputé la compétition reine d'Amérique du sud, soit près de la moitié de son élite ! "En fait, les clubs brésiliens dominent grâce à leur pouvoir économique et à leur nombre, analyse le journaliste argentin Pablo Aro Geraldes. Et comme ils ont beaucoup plus de moyens, il est devenu beaucoup plus difficile de passer des tours pour les clubs chiliens, uruguayens, colombiens et même argentins, qui se font piller leurs meilleurs éléments très jeunes." En 2022, l'Amérique du sud a ainsi observé cinq clubs auriverdes et trois albicelestes ferrailler en quarts de finale.
Jusqu'à neuf clubs brésiliens...
Un premier tournant élitiste a été pris par la Copa Libertadores à la fin du siècle dernier, quand Argentins et Brésiliens ont tapé du poing sur la table pour obtenir davantage de participants. Comme ils gagnaient la plupart des éditions -dans une proportion toutefois bien moindre que l'actuelle-, qu'ils remplissaient les stades, qu'ils généraient les meilleurs audiences, une part du gâteau plus grande devait leur revenir. Dans un premier temps, ils obtenaient quatre places chacun contre trois pour les autres nations.
Désormais les Brésiliens disposent de cinq clubs directement qualifiés, mais deux autres accèdent à des tours préliminaires qu'ils passent en général. Et comme les derniers vainqueurs de la Libertadores et de la Copa Sudamericana (équivalent Ligue Europa) sont directement qualifiés pour l'édition suivante de la Libertadores, voilà comment on peut se retrouver avec neuf Brésiliens ou sept Argentins sur la ligne de départ d'une compétition qui réunit 32 clubs. Les autres nations ne disposent, elles, plus que de deux qualifiés d'office. L'écart se creuse.
Une ultra-domination qui peut lasser. "La Copa Libertadores est devenue ennuyante, trop répétitive, déplorait ainsi dès 2021 le journaliste équatorien Ricardo Vasconcellos, c'est un peu comme la Formule 1 de 2010 à 2020, quand deux pilotes (Vettel et Hamilton) se sont partagés dix des onze titres." Que la Copa Libertadores soit devenue l'affaire de quelques-uns est une tendance d'autant plus lourde que la Conmebol, après avoir été éclaboussée par divers scandales de corruption, dont le FIFAgate, a mis un peu d'ordre dans ses affaires, ce qui lui permet de mieux récompenser les participants à ses compétitions.
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Les joueurs de Palmeiras célèbrent leur sacre en Copa Libertadores 2021
Crédit: Getty Images
Le vainqueur de la Copa Libertadores empoche ainsi près de 25 millions d'euros, très loin des 85 millions que peut toucher un lauréat de la Ligue des champions, mais bien plus que les 5 millions qu'il ramassait en 2015. Une somme à rapprocher, par exemple, aux 33 millions d'euros annuels qu'un club comme Boca Juniors destine au fonctionnement de son équipe première, salaires compris. Alors qu'un nombre de plus en plus réduit d'équipes se hisse en finale, les écarts de richesse se creusent mécaniquement, tandis que les petits se satisfont déjà de toucher les trois millions de dollars destinés à tous les participants.
Pas encore tout à fait aseptisée
Cette gentrification de la Copa Libertadores tranche avec le narratif qui accompagnait encore il y a peu cette compétition, sorte de refuge d'un football encore populaire, où l'imprévu a toujours sa place. Par esprit d'auto-dérision, les fans d'Argentine, d'Equateur ou de Colombie, se demandaient alors "Pourquoi la Libertadores est meilleure que la Champion's ?". La réponse prenait la forme de vidéos d'un match perturbé par la présence d'un chien sur la pelouse, de tribunes qui accueillent les équipes avec assez de fumigènes et de feux d'artifices pour éclairer l'Amazonie, de bagarres générales au coup de sifflet final, ou même, d'un vestiaire visiteur inondé…
Aujourd'hui encore, la Copa Libertadores est toutefois loin d'être aseptisée. L'esprit, parfois à couteaux tirés mais toujours passionné, reste présent en tribunes, même si une part de plus en plus importante est réservée aux hospitalités lors de la finale. On annonce ainsi près de 100 000 supporters de Boca en cours de pèlerinage vers Rio, dont seulement une vingtaine de milliers pourra entrer au Maracana. Pablo Aro Geraldes, qui est aussi fan xeneize, peine toutefois à croire à un septième titre des siens, malgré l'arrivée d'Edinson Cavani cet été.
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German Cano et Fluminese en finale de la Copa Libertadores
Crédit: Getty Images
"Des équipes comme Boca ou River tirent avant tout leur épingle du jeu grâce à leur culture de la Coupe , estime t-il, mais leurs moyens sont désormais largement inférieurs aux meilleurs équipes brésiliennes. D'ailleurs, Boca s'est hissé en finale sans avoir remporté le moindre match, à chaque fois aux tirs aux buts." Côté Fluminense, outre le vétéran Marcelo, les torcedores s'en remettront aussi André, qui serait courtisé par Liverpool, ou à l'international colombien, Jhon Arias. Après deux succès de Flamengo (2019 et 2022) et deux autres de Palmeiras, le Brésil est tout proche d'un cinquième sacre de rang. Du jamais vu en Libertadores, une compétition toujours plus élitiste.
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