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Mais pourquoi les stades de la Copa América sont-ils si vides ?

Antoine Donnarieix

Publié 20/06/2019 à 09:15 GMT+2

COPA AMERICA - Depuis le début de la Copa América au Brésil, aucune affiche de la compétition ne s’est jouée à guichets fermés. Le constat est même encore plus inquiétant, puisque les stades peinent à remplir la moitié de leurs enceintes. Analyse d’un mal-être aussi bien politico-économique que sportif.

Un supporter du Venezuela dans les tribunes à la Copa America 2019

Crédit: Getty Images

Le regard colérique, Dani Alves souhaite mettre les points sur les i en conférence de presse. Pour l’ouverture de la quarante-sixième Copa América, le Brésil vient de s’imposer trois à zéro contre la Bolivie à São Paulo. Une victoire confortable, mais qui laisse un goût amer au capitaine de la Seleção. "Nous n’avions pas la sensation d’évoluer à domicile au stade Morumbi. Quand nous jouons à l’Arena (à Salvador de Bahía, ndlr), il y a une autre énergie." Dans une ambiance où se mélangent les intérêts de l’équipe nationale et ceux de la rivalité entre les équipes comme le FC São Paulo, Corinthians et Santos pour ne citer que les principaux clubs de la ville, Alves fulmine devant un tel morcellement. Hélas pour Alves, le problème majeur ne réside pas dans cette absence de soutien, mais plutôt dans la simple absence populaire.
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Philippe Coutinho (Brésil), lors d'un match amical face au Honduras

Crédit: Getty Images

La CONMEBOL dans l’œil du cyclone

Interrogé sur le sujet, le latéral droit parisien était clair comme de l’eau de roche. "Je suis du peuple, je prêcherai toujours pour le peuple, pour qu’il soit dans les stades, explique Alves. Mais ce n’est pas de notre ressort, nous ne contrôlons pas les prix des places qui sont élevés." A priori donc, peu importe que la sélection brésilienne puisse jouer bien ou mal. Pour l’ouverture de cette Copa América, 47 260 personnes se sont réunies dans une enceinte capable d’accueillir 66 795 spectateurs. Rempli aux deux tiers, le stade paulista détient encore aujourd’hui la meilleure affluence du tournoi toutes rencontres confondues, le tout avec des places à 120 euros en moyenne pour le match d’ouverture. Depuis l’Europe, ces prix semblent être dans la lignée d’un football qui devient de plus en plus élitiste en tribunes. En Amérique du Sud pourtant, les portefeuilles ne peuvent plus suivre l’échelle des prix fixés par la CONMEBOL, organisatrice du tournoi.
De fait, le salaire mensuel moyen d’un citoyen brésilien en 2019 est calculé à 2 340 reais par le site Catho, soit environ 539 euros. Verser presque un quart de son salaire dans un match de Copa América entre le Brésil et la Bolivie, cela devient tout simplement impensable dans une société en pleine crise économique, et cela explique la raison pour laquelle les stades construits pour la Coupe du monde 2014 sont désormais désertés. En cela, des affluences bien plus basses ont été constatées lors des rencontres suivantes comme le Paraguay-Qatar dans le Maracanã de Rio de Janeiro, où seulement 19 000 personnes (dont 4 000 enfants invités) ont assisté au match nul entre les deux équipes (2-2) dans un stade pouvant accueillir… 74 000 personnes. Clairement, cette édition de la Copa América est encore très, très loin de faire vibrer les stades.
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Le Qatar célèbre son match nul face au Paraguay lors de la Copa America 2019

Crédit: Getty Images

Domínguez : La situation est préoccupante

Cependant, la confédération sud-américaine de football semble y trouver son compte, et ce malgré une affluence moyenne inférieure à 30 000 spectateurs. La preuve ? La dernière information parue à la suite de ce fameux match d’ouverture à São Paulo. Avec un spectacle en son et lumière, des danseurs protagonistes de cette cérémonie d’ouverture et trois buts brésiliens pour lancer définitivement la compétition, la CONMEBOL a réalisé une recette globale de 22 476 630 reais (environ 5 millions d'euros), réalisant du même coup la meilleure recette jamais réalisée dans l’histoire du football brésilien. Moralité : si le football n’est plus accessible pour les classes les plus populaires brésiliennes, il reste un formidable moyen d’attirer les classes plus huppées afin d’observer les stars de la Canarinha de plus près.
L’autre raison à cet exode des tribunes au Brésil a fortiori, c’est l’incapacité des autres pays d’Amérique du Sud à remplir les stades. Si les Brésiliens ne peuvent pas acheter une place pour la Copa América alors que leur économie est considérée comme l’une des plus viables à l’échelle continentale, comment peuvent s’en sortir l’Argentine, le Venezuela ou le Pérou ? Habitant de Porto Alegre, l’écrivain Paulo César Texeira observe la manière dont se déroule l’évènement depuis la région Rio Grande do Sul. "Pour Pérou-Venezuela, nous avons observé la présence des Péruviens. Au-delà du fait de voir jouer la sélection en Copa América, les Péruviens sont heureux du retour de Paolo Guerrero en sélection après sa suspension pour dopage. Guerrero est aussi un joueur de l’Internacional, l’un des deux principaux clubs de Porto Alegre." Des signes encourageants mais insuffisants pour faire le plein en tribunes, puisque seulement 13 370 spectateurs se sont réunis dans l’Arena do Grêmio, dont la capacité affiche pourtant 60 540 places. Un désastre populaire auquel le président de la CONMEBOL Alejandro Domínguez a souhaité réagir en jugeant la situation "préoccupante", sans pour autant changer son fusil d’épaule.
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Roberto Firmino (Brésil) pris en tenaille par la défense du Panama

Crédit: Getty Images

Le Brésil et la notion de plaisir perdu

De manière froide, le président paraguayen établissait un constat digne de la politique de l’autruche : "Il y a des matches qui obtiennent d’excellentes recettes et d’autres beaucoup moins, malheureusement. Jusqu’à présent, le bilan reste tout à fait positif et je pense que cela va s’améliorer au fur et à mesure de la compétition." En d’autres termes, le président s’imagine que l’intensité du tournoi va monter en régime et que cela devrait augmenter la présence au stade. Vraiment ? Pour la deuxième rencontre du Brésil organisée à Salvador de Bahía, l’affluence était en effet au rendez-vous avec 42 587 spectateurs sur 48 435 possibles. "Pour des raisons liées à des querelles avec Rio où la fédération brésilienne de football possède son siège, le public de São Paulo possède un niveau d’exigence toujours élevé par rapport à la Seleção, explique Paulo César Teixeira. Cela est tellement ancré dans les mémoires brésiliennes que lorsque l’équipe souhaite obtenir des bons résultats, elle cherche à évoluer au nord-est du pays comme à Salvador, où la sélection est reçue avec chaleur et enthousiasme." Pas de bol pour le Brésil, la bonne ambiance a laissé place aux sifflets à la suite du match nul contre le Venezuela (0-0).
Voilà de quoi engluer un peu plus la CONMEBOL dans la quête de se remplir les poches lors de cette Copa América. Si le Brésil ne gagne plus, les spectateurs locaux risquent de ne plus vouloir se déplacer en masse comme au match à Salvador, par simple dépit. Derrière la présence éphémère des maillots auriverdes se cache en réalité un mal bien plus profond au sein du football brésilien. "Lors du match amical contre le Honduras (remporté 7-0 par le Brésil le 9 juin dernier, ndlr), le stade de l’Internacional a attiré 16 521 spectateurs au total, détaille Paulo César Teixeira. De fait, cette affluence est la pire dans un match de la sélection nationale depuis 2001. Malgré tout, je ne dirais pas que le Brésil est en train de perdre son amour pour le football. Au-delà de la question économique, la vérité réside dans le fait que le spectateur brésilien aime avant tout supporter son club. Le Brésilien va supporter l’équipe nationale quand le jeu produit est spectaculaire, beau à voir. Les derniers échecs en Coupe du monde ont diminué l’intérêt pour la sélection. Ici, les supporters de la Seleção sont davantage perçus comme des fans de l’évènementiel plutôt que du football pur. Celui qui suit une équipe pour son football, c’est le supporter de cœur. Et ce n’est pas le cas de l’équipe nationale." Ou comment viser en plein dans le mille.
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