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Les tifosi, des hommes sans racines

Valentin Pauluzzi

Publié 04/04/2017 à 23:37 GMT+2

Le double affrontement entre le Napoli et la Juve, dimanche dernier en championnat et ce mercredi soir en Coupe d'Italie (20h45), permet d’établir quelques réflexions sur la géographie du supporterisme italien. Et ses excès.

Les supporters de la Juventus lors d'un match à Sassuolo, le 29 janvier 2017

Crédit: Panoramic

On l’appelle le "bacino d’utenza", une zone de référence qui est le fruit de plusieurs études statistiques afin de dénombrer le nombre de supporters de chaque club en Italie. Difficile d’obtenir le chiffre exact, mais on s’en rapproche. Et il vaut mieux puisque ce facteur attribue 25% du gâteau de l'argent découlant de la vente des droits TV, la principale source de revenus des clubs transalpins.
Il vient d’ailleurs d‘être mis à jour, la Lega ayant commandé une nouvelle enquête à plusieurs agences. Résultat, les juventini représentent 27 % des sondés soit un fan de foot italien sur quatre. Selon une autre recherche réalisée par Stage Up et Ipsos, cela correspondrait à 8,3 millions de citoyens italiens dont 40 % dans le Sud. Un déracinement probablement unique en Europe.

Le paradoxe de Turin

Si elle n’est pas un musée à ciel ouvert telle Rome, Venise ou Florence, les vastes places, le majestueux Pô qui la traverse et les splendides Alpes en toile de fond méritent qu’on s’arrête de séjourner quelques jours à Turin. J’y suis retourné récemment et j’ai redécouvert une ville qui gagne à être connue, également pour ses parkings souterrains bon marché en centre-ville. Voilà pour la petite info "routard".
En fait, j’ai pu personnellement me rendre compte qu’un des plus grands clichés sur le foot italien est finalement tout à fait vrai. Il n’est effectivement pas si simple de croiser des fidèles de la Vieille Dame dans le chef-lieu du Piémont, en tout cas, ils sont bien moins nombreux que ce que les chiffres précités laisseraient à penser, et ils ne sont pas forcément majoritaires.
Les fans du Torino sont présents en masse et j’ai même croisé pas mal de supporters du Milan voire du Napoli. D’aucuns disent que le torinista est plus bruyant donc plus visible à Turin, mais l’explication la plus plausible est sa forte territorialité, le granata est principalement turinois et ne s’est pas exporté, simple conséquence des résultats européens quasi inexistants du club qu’il supporte.
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Le tifo des supporters du Torino lors du derby face à la Juve, le 11 décembre 2016

Crédit: Panoramic

Attention, cela ne veut pas dire que le tifoso juventino est vénal. Non, comme tout gamin qui se passionne pour le foot, le choix se porte principalement sur une équipe qui gagne, et en Italie, on sait très bien qu’elles sont au nombre de trois et représentent par exemple 80 % des succès transalpins à l’internationale.
La configuration la plus classique dans la Botte (et pas seulement) est de soutenir le club local, d’y être même parfois abonné et d’avoir une préférence clairement affichée pour un des trois cadors en le supportant de manière plus ou moins intense. Même si j’ai raccroché mon écharpe de supporter depuis belle lurette, je n'ai pas échappé à ce modèle, que ce soit en France (Amiens et Nantes) ou en Italie (Padova et Milan).

L’Histoire explique certaines choses…

Néanmoins, le nombre disproportionné de juventini a aussi une explication historique et valable à moindre mesure pour les clubs milanais. On la trouve dans les grandes migrations qui ont marqué la période du "miracle économique" (années 50 et 60), lorsque des millions de méridionaux ont abandonné les champs pour froisser de la tôle dans les usines FIAT.
La Juve n’était pas encore le club italien le plus titré, mais un bon moyen de s’intégrer en une terre parfois hostile était de la supporter. Une passion transmise de génération en génération, d’où l’énorme popularité de la Vecchia Signora dans le "Mezzogiorno". Voilà pourquoi il ne faut pas juger et dénigrer la "foi" footballistique.
Un seul cas de figure pose réellement problème. En dessous de Rome, une seule ville du Sud a pu rivaliser avec le trio noir-rayé, ce n’est ni Palerme, ni Bari, ni Reggio Calabre mais bien évidemment Naples. Le binôme tifoso équipe du coin/grands club du Nord y est pratiquement impossible du fait d’une rivalité bien trop marquée et dépassant quelques fois le cadre du terrain.
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Les tifosi de Naples lors d'un match face à Crotone, le 12 mars 2017

Crédit: Panoramic

Pour faire simple, le Risorgimento, soit le processus de la naissance politique de l’Italie datant de 1861, est parti du Royaume de Sardaigne (dont la capitale est Turin) avec l’unification mais aussi parfois l’annexion d’autres Etats comme celui du Royaume des Deux-Siciles. L’Histoire étant écrite par les vainqueurs, on ne sait guère que cet état bien portant financièrement a vu ses caisses vidées par ses néo-compatriotes du Nord. Les années ont passé, les disparités ont augmenté et l’abcès grandissant n’a jamais été crevé. Résultats, les juventini de Naples peuvent être considérés comme les traîtres de la nation et la Juve perçue comme la réincarnation de cette injustice sociale.

…mais ne justifie pas tout !

Un raisonnement attisé par certains intellectuels voire politiciens et qui ont trouvé un bon filon pour vendre des bouquins ou recueillir des votes, mais un raisonnement qui flanche puisque le Torino, par ailleurs bien plus représentatif de la ville de Turin, n’est jamais pris pour cible et suscite même souvent de la sympathie auprès des Partenopei via le fameux mécanisme : "L’ennemi de mon ennemi est mon ami". Quant aux Napolitains milanistes et interistes, ils ont plutôt la vie tranquille.
Bref, cet échafaudage tourne parfois à la stigmatisation ridicule voire à une ghettoïsation évitable découlant de l’excessive dramatisation qui accompagne les péripéties du football italien. Ainsi, en ces temps caractérisés par une réminiscence d'un patriotisme pas toujours sain, il serait bien de rappeler qu’un supporter n’a pas de patrie, qu’il est avant tout guidé par des émotions pouvant être liées à un joueur, un état d’esprit voire tout bêtement une couleur, et surtout, qu'il n’a de comptes à rendre à personne.
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