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"Le pays tout entier était dévasté"

Laurent Vergne

Mis à jour 04/07/2014 à 13:25 GMT+2

Gustavo Roman est Brésilien et journaliste. Il a écrit plusieurs livres, dont un, co-écrit avec Renato Zanata, sur le Brésil 1982. Une œuvre qui a autant vocation à rappeler les défauts que les qualités de cette équipe entrée dans la légende. Pour le Brésil, il reste un souvenir fort, et une douleur plus forte encore.

Socrates et Zico incrédules, le Brésil en pleurs.

Crédit: Eurosport

Quel âge aviez-vous en juillet 1982 ?
Gustavo ROMAN : Je suis né en décembre 1975. J'avais donc 6 ans et demi quand la Coupe du monde 1982 s'est déroulée. Je me souviens que je regardais les matches avec ma famille. Avec le décalage horaire, certains se tenaient pendant que j'étais à l'école. Je demandais toujours à ma mère de ne pas y aller.
Brésil-Italie était un dimanche. En avez-vous un souvenir précis?
G.R. : Je me souviens très bien que, au moment où l'Italie a marqué le troisième but contre nous, j'ai fait un câlin à ma chienne. Je lui parlais et je n'arrêtais pas de lui dire "ne t'en fais pas, ça va aller, on va encore égaliser' !
Après l'élimination de la Seleçao, quelle était l'atmosphère au Brésil ?
G.R. : Le pays tout entier était dévasté. C'est une époque où nous n'avions pas le degré de connaissance actuel sur nos adversaires. Nous, nous avions de très grands joueurs et l'équipe jouait tellement bien, surtout en 1981. La chaine de télé qui avait les droits pour la Coupe du monde en rajoutait aussi, faisant croire à tout le monde que l'équipe était absolument invincible. Alors, vous pouvez imaginer le choc après la défaite. Si vous cherchez sur internet, vous trouverez une photo célèbre de la Une du Correio da tarde du 6 juillet 1982. C'est une photo d'un petit garçon en train de pleurer à Sarria. Je pense que cela résume exactement comment le pays se sentait.
Par rapport au Maracanazo de 1950, qui est l'autre grand traumatisme du football brésilien, où situez-vous Sarria ?
G.R. : Je pense que les deux sont assez différents. Le contexte, surtout. En 1950, nous n'avions encore jamais gagné la Coupe du monde. C'était une grande occasion et ce fut très frustrant bien sûr. Nous n'avions besoin que d'un nul, nous avions la meilleure équipe et nous jouions à la maison. Mais au fond, je pense que personne ne croyait que le Brésil gagnerait, tout simplement parce qu'il ne gagnait jamais.
Absolument personne n'imaginait une défaite contre l'Italie. Alors je dirai qu'en termes de déception, 1982 est au-dessus du Maracanazo.
Alors qu'en 1982, le Tricampeao était passé par là…
G.R. : Oui, en 1982, nous étions trois fois champions du monde. Et vu la façon dont l'équipe jouait, tout le monde était convaincu que nous avions de loin la meilleure équipe du monde. Absolument personne n'imaginait une défaite contre l'Italie. Alors je dirai qu'en termes de déception, 1982 est au-dessus du Maracanazo.
Où les Brésiliens situent-ils cette équipe dans la lignée des grandes Seleçaos, celles qui ont été championnes du monde surtout?
G.R. : L'équipe de 1982 n'est comparée qu'avec une seule équipe, celle de 1970. Parce qu'elle possédait de très grands joueurs et qu'elle jouait d'une façon incroyable, toujours à attaquer. Nous avons toujours un grand débat au Brésil, pour savoir si nous préférons perdre en jouant un football de rêve ou gagner en jouant un football affreux comme en 1994 et 2002.
Si vous deviez utiliser trois mots pour définir cette équipe…
G.R. : Je peux en utiliser quatre ? Grands joueurs, mauvaise tactique.
Quand vous regardez la manière dont l'Espagne ou le Barça ont conquis leurs titres ces dernières années, vous pouvez sentir qu'il y a un retour au jeu. Avec un autre visage, bien sûr, mais il est de retour.
En 1994, Dunga, Mazinho ou Marcio Santos ont soulevé la Coupe du monde. Mais pas Zico, Socrates ou Falcao. Le Brésil arrive à vivre avec ça ?
G.R. : Eh bien, tant pis pour la Coupe du monde... Mais nous avons beaucoup d'autres exemples comme ceux-là. Cruyff, Zizinho, Zico, Puskas n'ont jamais gagné la Coupe du monde. Vampeta, Dugarry, Olarticoechea et Materazzi, oui. C'est vraiment dur d'accepter ça, mais c'est toute l'histoire du sport, c'est ça le sport.
Vous ne diriez donc pas, comme Zico, que le football est mort à Sarria ?
G.R. : Mort, c'est sans doute trop fort. Peut-être que cette idée est restée, disons, dans le coma, depuis longtemps. Mais quand vous regardez la manière dont l'Espagne ou le Barça ont conquis leurs titres ces dernières années, vous pouvez sentir qu'il y a un retour au jeu. Avec un autre visage, bien sûr, mais il est de retour.
J'ai rencontré plusieurs Brésiliens qui m'ont dit qu'ils seraient prêts à rendre les deux derniers titres du Brésil pour en offrir un à la génération Zico. Etes-vous de ceux-là ?
G.R. : Je vais sans doute être un peu seul sur ce coup, mais ma réponse est non. Je crois que c'est important que chaque Coupe du monde écrive sa propre histoire. Si le Brésil a échoué en 1982, si la Hongrie 1954 et les Pays-Bas 1974 n'ont pas été champions, c'est qu'il y avait une raison. Peu importe que le problème soit d'ordre tactique, un adversaire en feu ou un excès de confiance. Toutes ces équipes n'étaient pas prêtes à devenir championnes du monde.
Nous avons décortiqué 28 des 33 matches joués par le Brésil de 1980 jusqu'à la défaite contre l'Italie. L'idée, c'était vraiment de montrer que cette équipe n'était pas parfaite.
Sarria, c'était il y a trente-deux ans. La nostalgie reste forte pourtant, non ?
G.R. : Je pense, oui. Chaque amoureux du football a sa propre mémoire sélective. Vous vous rappelez toujours les bonnes choses, les bons côtés, pour oublier tout ce qui a pu aller de travers. C'est d'ailleurs le point de départ du livre que nous avons écrit sur Sarria. Nous voulions rappeler aux gens que, si elle était magique avec le ballon, cette équipe avait aussi des problèmes qui n'ont pu être résolus en deux années de travail.
Ce livre, était-ce aussi une forme d'exorcisme ?
G.R. : Non, au contraire, c'était très rationnel. Je possède plus de 16.000 matches en video chez moi, des années 50 à aujourd'hui. Pour les trente ans de Sarria, j'ai eu cette idée de livre. J'ai appelé Renato Zanata, un grand analyste tactique, pour m'aider. Nous avons décortiqué 28 des 33 matches joués par le Brésil de 1980 jusqu'à la défaite contre l'Italie. Nous avons rencontré Zico, Junior ou Leandro, dont j'écris la biographie en ce moment. Mais l'idée, c'était vraiment de montrer que cette équipe n'était pas parfaite. L'équipe parfaite, ça n'existe pas.
Le livre "Sarria 1982 – O que faltou ao futebol-arte", par Gustavo Roman et Renato Zanata, retrace le parcours, somptueux mais inachevé, de la Seleçao 1982.
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