Coupe du monde 2022 - La finale racontée par des témoins : "A 2-2, le visage des Argentins disait : 'On va perdre.'"

Deux ans jour pour jour après la mythique finale de la Coupe du Monde au Qatar entre la France et l'Argentine (3-3, 4-2 aux tab), Eurosport vous replonge dans ce moment unique grâce aux yeux de ces chanceux qui étaient présents au stade à Lusail. Frissons, émotions... et frustration : cette soirée en forme de montagnes russes restera à jamais dans leur mémoire.

La détresse des supporters argentins après le but de Kylian Mbappé en finale du Mondial 2022

Crédit: Getty Images

Par Timothé Crépin
C'est l'histoire d'un match de légende. La plus grande finale de Coupe du Monde de l'histoire. On parle bien ici du scénario surréaliste, d'une affiche grandiose, d'une revanche savoureuse (après le huitième de finale du Mondial 2018, 4-3 pour l'équipe de France) du crépuscule d'un mythe (Lionel Messi) et de l'avènement définitif d'un autre (Kylian Mbappé). Si vous avez suivi ce match devant votre télévision, en famille, entre copains, au travail, vous savez. Vous vous en souvenez et vous vous en souviendrez pour toujours. Alors imaginez ceux qui étaient dans les travées du stade de Lusail et ses 90 000 places. "Toute la journée a été surréaliste, replace Fouzia, supportrice française. L'endroit était surréaliste. J'avais l'impression d'être dans un univers parallèle". Et se rappeler cette Coupe du Monde au Qatar, avec toute son histoire, toutes ses polémiques.
Mais tout de suite un constat très clair pour cette finale : "On est en Argentine !". Car, oui, question supporters, à l'extérieur et dans le stade, les aficionados de Lautaro Martinez et Angel Di Maria mettent une sacrée claque à ceux d'Antoine Griezmann et de Raphaël Varane. "Dans le stade, on voit qu'on est en minorité absolue", confirme Éric Wattellier, arbitre de Ligue 1, un des chanceux du soir, qui fait partie de la délégation de la FFF.
La Fédération française de football a convié ses salariés ainsi que les présidents de Districts et de Ligues. Un peu plus de 300 personnes dans l'airbus vers Doha, dont Jean-Marc Sentein, du District de Haute-Garonne (31). "On aurait cru que toute l'Argentine s'était déplacée pour ce match, jure-t-il. En échangeant avec certains Argentins, ils me disaient que ça faisait deux ou trois ans qu'ils mettaient de côté pour ça."
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Les supporters argentins au Qatar

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2500 euros, avion et billet compris

Un peu plus loin, dans le parcage des supporters français, Yannick prend place. Il y a encore 36 heures, il n'avait ni billet d'avion, ni ticket pour la finale. "Le soir de la demi-finale (contre le Maroc), je vois une publicité de l'agence de communication de la FFF, raconte-t-il. Je suis sur liste d'attente. C'était 2500 euros le package. J'ai la réponse le vendredi pour départ de Paris le samedi soir à 22 heures. On atterrit le dimanche à 7 heures du matin à Doha."
Depuis son siège, il sent que ça s'annonce mal : "Les Argentins sont 70 000 ! Le stade est bleu ciel et blanc." Comparant le stade de Lusail à un stade Vélodrome XXL : "Tu vois ce mur argentin en face. Tu aurais dit une gigantesque vague qui va te bouffer. On est ridicules." Avec aussi une réflexion quand il repense à son quotidien de supporter : "Je me dis : Putain, je supporte Monaco et l'équipe de France. Je suis toujours en infériorité numérique ! Il y a toujours plus d'adversaires dans le stade, que ce soit dans une finale, voire même au Louis-II..."
Un peuple argentin qui se sent un peu comme chez lui. Et il y a de quoi : Lionel Messi et consorts en sont à leur cinquième match dans cette enceinte depuis le début de la compétition ! Ils ont notamment perdu en ouverture face à l'Arabie saoudite (1-2) et éliminé Néerlandais (quart de finale) et Croates (demi-finale). De l'autre côté, les Bleus découvrent le Lusail Stadium. Monsieur Marciniak donne le coup d'envoi. La domination en tribunes se transfère sur la pelouse.
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Théo Hernandez, les raisons d'une mise à l'écart

Video credit: Eurosport

Présente depuis le match d'ouverture, Fouzia a vécu toute la compétition des joueurs de Didier Deschamps. Mais elle voit bien que cela ne va pas se finir en apothéose : "Quand ça commence, j'ai l'impression qu'on va prendre 10-0, détaille-t-elle. (Angel) Di Maria est en feu. Je vois Lionel Messi comme je ne l'ai jamais vu au PSG. Et, en face, une équipe qui ne répond pas, dépassée par l'événement." La Pulga marque le premier penalty de cette finale après une faute d'Ousmane Dembélé (1-0, 23e). Angel Di Maria enchaîne (2-0, 36e). Merci, au revoir, rideau. "C'est la pire des frustrations, se remémore Yannick. L'Argentine est venue jouer la finale, et pas la France. Les supporters français ne sont pas venus, et les joueurs ne sont pas entrés sur le terrain. On va finir sur un vieux 2-0 pourri, sans aucun plaisir. Tu n'as même pas de regret, parce qu'il n'y a rien !"
Le sentiment de tous les Français pendant soixante-dix grosses premières minutes. "On est frustrés, déçus, confirme Éric Wattellier. On a fait je ne sais combien de kilomètres et d'heures d'avion pour ça. On va rentrer avec un match où l'équipe de France a été quasiment inexistante." Question décibels, c'est assourdissant. Les Argentins chantent, chantent et chantent encore leur future troisième étoile après 1978 et 1986. Diego Maradona et consorts attendent des successeurs depuis maintenant 36 ans. Quand soudain...
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Des supporters argentins au Qatar.

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"Le 2-2 ? Une folie furieuse"

En 95 secondes, Kylian Mbappé égalise : d'abord sur penalty (2-1, 80e) puis sur cette reprise fantastique (2-2, 81e) pour faire basculer cette finale dans un niveau d'irrationnel absolument unique. "C'était hors-sol, s'étonne presque encore Éric Wattellier. On est dans un état second. Un ascenseur émotionnel assez incroyable. Je crois qu'on en a quasiment tous perdu notre voix."
Parfaitement placé derrière les buts d'Emiliano Martinez, Yannick ne dit pas mieux : "Une espèce de folie s'empare des tribunes. Comme si tu t'étais retenu pendant 80 minutes, et que toute la pression d'une finale de Coupe du Monde se relâché. Tu es au bord de la syncope. Une folie furieuse au sein de ce parcage."
Bouche-bée face à la présence argentine en tribunes, Jean-Marc Sentein l'est tout autant après le deuxième but de Mbappé : "Pendant trois à quatre minutes, plus un seul Argentin ne chante ! C'est le seul moment où on a pu chanter et faire entendre un ‘Allez les Bleus !’." Mais surtout : la peur a changé de camp.
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Kylian Mbappé (Argentine-France)

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Yannick : "À 2-2, tu te vois avec la Coupe du Monde, à faire la fête jusqu'au bout de la nuit. Car, là, tu te dis : "Ils sont morts !" Psychologiquement, tu les as tués, ils ne reviendront pas." Jean-Marc Sentein regarde autour de lui : "Le visage des Argentins disait : 'On va perdre.' Nous, on est même convaincus qu'on va gagner avant la prolongation."
Du désespoir le plus total à l'absolue conviction que la troisième étoile sera en fait française. Rodrigo De Paul et les siens ne vacillent pas définitivement. Pas de nouveau but français. Direction la périlleuse prolongation. Avec un nouveau but de Messi (3-2, 108e) et un nouveau penalty de Mbappé (3-3, 118e). Si cela semblait presque impossible, la tension monte encore de quelques crans en trente minutes.
"À partir du 2-2, c'est du billard, souligne Yannick. Ça part des deux côtés. Dans le stade, de la 80e à la 120e minutes, tu as 40 minutes où tu ne respires pas, littéralement. C'est démentiel. La tension est folle." "On était tous à 180 pulsations, enquille Jean-Marc Sentein. Ce n'est pas que les équipes sont désorganisées, mais c'était occasion sur occasion." Et même à 2-3, contrairement au 0-2, la sérénité française est là. "Tu continues d'y croire tellement les occasions sont là, explique Yannick. Toujours avec cette histoire de billard, tu te dis : 'Ils ont rentré leur boule, on va rentrer la nôtre.' Ce rythme, c'est du jamais vu."
Et comme souvent dans ce genre de frénésies, les sentiments se mélangent, et c'est l'arbitrage qui entre en jeu. Jean-Marc Sentein : "Dans la prolongation, on râle sur deux ou trois décisions d'arbitrage qui nous ont irrités. Messi ne prend pas de carton par exemple... On sentait que l'Emir, (Gianni) Infantino espéraient que ce soit l'Argentine et Messi qui passent. Un ressenti peut-être à tort."
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L'impasse Guardiola : "Il a formaté ses joueurs donc personne ne peut improviser"

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Kolo Muani, l'occasion du siècle

Arrivent alors les arrêts de jeu et cette occasion terrible de Randal Kolo Muani. Un ballon en cloche anodin signé Ibrahima Konaté, qui trompe totalement la défense argentine. L'attaquant qui évolue alors à l'Eintracht Francfort peut entrer dans la légende et envoyer son pays sur le toit du monde. Jean-Marc Sentein synthétise le sentiment de milliers de Français sur le moment : "Quand je le vois partir, pour moi, il y a but !"
Yannick, idéalement placé en tribune pour vivre l'occasion, revoit encore "ce trou entre le poteau et Martinez. Tu te dis que c'est bon. Ce trou est tellement gigantesque. Et tu vois le ballon qui vole." Un rebondissement de plus et les premières conclusions funestes qui s'en suivent : "Kolo Muani, je comprends pourquoi il n'en dort pas. Là, tu te dis qu'on n'avait pas le droit de rêver", lance Fouzia. Quand Éric Wattellier estime que ce gros manqué était la dernière chance : "Quand il rate l'occasion, je me suis dit qu'on allait perdre aux tirs au but. En plus, je sais qu'on n'est pas exceptionnels dans l'exercice. Je ne suis pas très optimiste."
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L'arrêt de Martinez face à Kolo Muani en finale de la Coupe du monde

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Un homme fait notamment douter beaucoup de supporters : Hugo Lloris, et un passé disons compliqué sur sa ligne dans une séance de tirs au but. "Quand il s'avance vers la cage, là, pour moi, c'est fini, avoue Yannick. Martinez a trop la baraka pour perdre. Cette séance, je ne fais que de la subir." Quand Jean-Marc Sentein aurait presque aimé voir Didier Deschamps changer de gardien et lancer Steve Mandanda, "pour entrer encore plus dans l'irrationnel". Kingsley Coman puis Aurélien Tchouaméni manquent leur tentative. Hugo Lloris ne parvient pas à briser la malédiction. Et Gonzalo Montiel envoie Messi et son peuple au septième ciel.
C'était plus fort en perdant là qu'en gagnant en 2018 !
Le temps de la déception passera petit à petit. Mais pour les Français présents, sur le moment, c'est se rendre compte de l'incroyable émotion de ce 18 décembre 2022. "Même si tu n'as pas la coupe, les 40 minutes entre la 80e et la 120e m'ont totalement rentabilisé le voyage, remarque Yannick. J'ai pris un shot d'adrénaline et de bonheur... C'est se dire : 'Putain, j'ai vécu ça. Je suis fier de dire que j'y étais.'" Vivre ça depuis Lusail fait même dire à Fouzia : "C'était plus fort en perdant là, qu'en gagnant en 2018 ! Même si, en 2022, on est passés à côté de l'histoire."
Arbitre de Ligue 1 passé supporter le temps d'une rencontre, Éric Wattellier explique pourquoi ce jour restera si particulier par rapport à son quotidien au sifflet : "Je suis un peu rompu à arbitrer dans des stades de 50-60 000 places, replace-t-il. On est focus sur la prise de décision, donc l'environnement ne nous fait quasiment plus rien. Le fait d'être passé de l'autre côté, comme spectateur... Je ne pensais pas que le foot m'apporterait ça un jour. J'ai redécouvert des émotions assez incroyables. Je n'aurais pas imaginé vivre ça dans un stade. Oui, ça aurait été sublime de gagner, mais qu'on gagne ou qu'on perde, les émotions vécues sont juste extraordinaires." Quant à Jean-Marc Sentein, a-t-il été le seul à penser à cela après la rencontre ? Pas sûr : "Je ne devrais pas le dire en tant que Français, mais c'est aussi une façon de remercier Messi. En tant qu'amoureux du foot, le fait que ce soit lui qui porte et qui gagne la coupe... Je ne dis pas que ça a atténué ma déception, mais un petit peu."
L'heure est de quitter Lusail et de prendre l'avion pour mettre fin à cette parenthèse irréelle. Yannick conclut : "Avant le match, j'ai dit à l'inconnu à côté de qui j'étais assis : "Je te checke, je ne te connais pas. Mais on va sûrement vivre ensemble l'un des plus grands moments de notre vie de supporter. Jusqu'à la 80e minute, c'était des conneries. Je ne sais pas qui il était, je ne sais pas qui il est encore aujourd'hui. Mais à la toute fin, on s'est pris dans les bras en reconnaissant qu'on avait vécu un truc de fou."
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LUSAIL CITY, QATAR - DECEMBER 18: Lionel Messi of Argentina celebrates with the World Cup Trophy during the FIFA World Cup Qatar 2022 Final match between Argentina and France at Lusail Stadium on December 18, 2022 in Lusail City, Qatar. (Photo by Marc Atk

Crédit: Eurosport


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