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Coupe du monde | Iran - Etats-Unis : 24 ans après, Iraniens et Américains se retrouvent dans un contexte plus tendu

Chérif Ghemmour

Mis à jour 29/11/2022 à 19:15 GMT+1

COUPE DU MONDE - C’est dans un contexte géopolitique et sportif hyper tendu que se déroulera ce mardi soir le match décisif pour la qualification pour les 8es de finale dans le Groupe B entre les Etats-Unis et l'Iran. Rien à voir avec celui de 1998 à Lyon lors de la Coupe du monde en France où, dans un contexte moins envenimé, le sport et l’esprit de paix l’avaient emporté…

Et si c'était la Coupe du monde des surprises ?

"Je pense qu’aujourd’hui on pourrait faire jouer un nouveau match entre l’Iran et les États-Unis. Je crois que ça ne poserait pas de problèmes". En 2013, au moment d’évoquer le fameux match Iran - Etats-Unis du Mondial 1998 (2-1), Earnie Stewart affichait alors son optimisme en vue d’un éventuel replay. A 53 ans aujourd’hui, l’ancien attaquant de la Team US entré en jeu à la 57e minute face aux Iraniens et devenu aujourd’hui Sporting Director de la fédé US de football avait en effet gardé un souvenir positif de la diplomatie du ballon rond. Flash back…
Le 21 juin 1998, à 21 heures au stade Gerland de Lyon, devant 40 0000 spectateurs majoritairement en faveur de l’Iran, l’enjeu sportif est clair pour le deuxième match du Groupe F. L’Iran ayant été battu 1-0 par la Yougoslavie et les USA vaincus 2-0 contre l’Allemagne, la rencontre s’avère donc décisive : le perdant sera éliminé ! Mais ce match est lesté d’une charge géopolitique titanesque : depuis 1979 et la Révolution islamique qui a installé la théocratie très autoritaire des ayatollahs à Téhéran à la place du régime pro-américain du Shah, l’Iran et les USA sont à couteaux tirés sur le plan international.
"Amérique, Grand Satan" pour l’Iran, "Iran, "État voyou" pour l’Amérique : les deux pays ont entretenu depuis, à travers des crises régulières, des relations envenimées qui ont parfois même fait craindre un conflit militaire. C’est pourquoi lors du tirage au sort de la Coupe du Monde 1998 du 4 décembre 1997, lorsque les deux protagonistes s’étaient retrouvés dans ce Groupe F, certains politologues y avaient vu l’illustration symbolique du fameux "choc des civilisations" ("The Clash of Civilizations" - 1996) théorisé par Samuel P. Huntington…

Un problème de protocole

Mais, heureusement, en cette fin d’année 1997 le contexte s’était en fait déjà sensiblement détendu depuis le mois de mai, quand le mollah réformateur Mohammad Khatami avait gagné l’élection présidentielle contre le très conservateur Ali Akbar Nategh Nouri soutenu par le terrible Guide Suprême de la Révolution, l’Ayatollah Khamenei. Khatami avait rapidement instauré un début de normalisation des relations binationales avec la présidence de Bill Clinton, engagé lui aussi dans la voie de l’apaisement. Ne restait plus, à travers la diplomatie du ballon rond, donc, qu’à déminer le terrain de cet USA-Iran de Gerland. Pas facile…
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Les drapeaux iraniens et Américains au Mondial 2022

Crédit: Getty Images

Car outre les risques d’attentats terroristes, la présence suspectée d’au moins 7 000 opposants au régime des Mollahs (les Moudjahiddines du Peuple), pour ce match classé à hauts risques par la FIFA, les services de sécurité français doivent parer à toute manifestation politique visible à l’écran, y compris un envahissement de terrain. On renforce le dispositif policier et on avise les réalisateurs TV de ne filmer dans les tribunes aucune démonstration militante.
Et puis d’inévitables difficultés protocolaires surgissent : "Les USA étaient l’équipe qui reçoit et l’Iran l’équipe visiteuse. Donc, selon le règlement FIFA, les joueurs iraniens devaient se diriger vers les Américains pour leur serrer la main. Problème… L’ayatollah Khamenei, avait donné l’ordre express à l’équipe iranienne de ne pas aller au devant de l’équipe américaine", rappelle l’Irano-Américain Mehrdad Masoudi, officier FIFA délégué pour la rencontre.

La déclaration de Bill Clinton

Finalement Masoudi négociera un compromis qui verra les Américains aller serrer la main des Iraniens… Le jour du match, Bill Clinton fait une déclaration télévisée apaisante : "Alors que nous célébrons aujourd’hui un match entre les sportifs de nos deux pays, j’espère qu’il pourra constituer un nouveau pas vers la fin de l’hostilité entre nos nations". Même approche conciliante, côté iranien, narrée par Mehrdad Masoudi :
"Le président de la fédération iranienne souhaitait faire de ce match l’occasion de donner de son pays l’image la plus favorable. Il demanda au régisseur de la sélection d’acheter un bouquet de roses blanches que les joueurs iraniens offriraient à leurs adversaires américains, ainsi qu’un plateau d’argent au capitaine Thomas Dooley. Les roses blanches sont symbole de paix en Iran."
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Une manifestation en faveur des protestations en Iran à Washington DC

Crédit: Getty Images

Placé par la FIFA sous l’égide la Journée du fair-play et arbitré dans une neutralité toute helvétique par l’excellent Urs Meier, ce match au sommet débute par une séance photo historique qui voit les joueurs des deux équipes tout sourire, mélangés, de rouge et de blanc…
Face à l’Iran emmené par son trio d’attaque évoluant en Allemagne Ali Daei et Karim Bagheri (Arminia Bielefeld), et Khodadad Azizi (FC Cologne), la Team US drivée par Steve Sampson qui rêve de refaire le coup de USA 1994 en accédant encore aux 8es de finale attaque feu au plancher.
"On partait a priori favoris pour ce match, rappelait Earnie Stewart en 2013. Il y avait bien sûr ce contexte de rivalité politique mais nous n’avions qu’une seule idée en tête : gagner ce deuxième match à tout prix ! On était obsédés par la victoire ! La victoire sportive, car penser politique durant le match c’est impossible, tu es focalisé sur le jeu et le résultat. Je n’ai pas ressenti d’agressivité particulière de la part des Iraniens. Genre, comme s’ils voulaient à tout prix 'battre les Américains'. Nous n’avions pas non plus de ressentiment contre eux : on a tous donné le meilleur de nous-mêmes.»
Ce soir encore, l’oppresseur puissant et arrogant a éprouvé le goût amer de la défaite que nous lui avons infligée
Les Américains domineront en effet la partie mais de façon trop stéréotypée (on écarte sur les côtés et on centre sur la tête de Mc Bride) face à un bloc iranien redoutable sur contres. La Team US frappera bien trois fois sur les poteaux et la barre, mais Estili (40e) et Mahdavikia (84e) donneront la victoire à l’Iran, laissant Mc Bride réduire le score sur une tête puissante à la 87e. Les joueurs iraniens célébreront ce succès comme une finale de Coupe du monde !
A la frustration de l’élimination exprimée par Steve Sampson ("On aurait pu gagner facilement en en plantant trois ou quatre ce soir"), son homologue iranien Jalal Talebi affiche le triomphe modeste : "c’est une grande victoire pour la nation iranienne. Non pas parce que c’était contre l’Amérique, mais parce que c’était la première victoire de l’Iran en Coupe du monde."
Au pays, le Guide Suprême Khamenei instrumentalise la victoire sans vergogne : "Ce soir encore, l’oppresseur puissant et arrogant a éprouvé le goût amer de la défaite que nous lui avons infligée." Dans les rues iraniennes, c’est la liesse : "Déjà, quand l’Iran s’était qualifiée pour la coupe du monde 98, tout le pays avait fêté cet évènement, témoigna Mehrdad Masoudi dans les années 2000. Les gens dansaient dans les rues de Téhéran, buvant ouvertement de l’alcool, et les femmes s’étaient débarrassées de leurs longues écharpes."
Des propos aux échos étrangement contemporains depuis les manifestations insurrectionnelles qui embrasent aujourd’hui le pays depuis le 14 septembre 2022, suite à la mort de de Jina Mahsa Amini… L’épilogue de cette rencontre historique s’écrira ensuite en trois actes : malgré une défaite éliminatoire face à l’Allemagne (2-0), les joueurs iraniens seront fêtés en héros à leur retour à Téhéran puis seront autorisés à aller disputer en janvier 2000 trois rencontres dans l’Ouest américain dont une, mémorable, à Pasadena, pour le plus grand bonheur de la diaspora iranienne locale (André Agassi est d’origine iranienne). La "diplomatie du football" avait ainsi contribué à normaliser un peu plus les relations entre Iran et USA.

Trump, Biden, Khamenei et les autres...

Et puis les crises majeures autour du programme nucléaire iranien avaient à nouveau envenimé les relations entre le Grand Satan et le rogue state (état voyou, selon Bush Junior). L’accord de conciliation autour du nucléaire iranien signé à la fin de la présidence Obama en 2015 fut résilié par Donald Trump en mai 2018, occasionnant encore d’autres escalades diplomatiques pas vraiment désamorcées sous la présidence Joe Biden. En juillet dernier, il avait même menacé l’Iran d’un recours à la force…
Du côté de la nation perse, l’ayatollah Khamenei (toujours en place depuis 1989) et toujours animé d’anti-occidentalisme maintient sa poigne de fer sur le pays, secondé par le président de la République islamique d'Iran, le peu modéré Ebrahim Raïssi, élu le 3 août 2021. Le passage obligé de la Team Melli au Palais présidentiel avant son départ pour le Qatar a coupé la sélection d’une bonne partie du peuple iranien, mécontente de cette allégeance au Pouvoir répressif.
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Des supporters iraniens

Crédit: Getty Images

Contrairement à 1998, toute la nation ne supportera pas entièrement son onze national quand bien même les joueurs ont refusé de chanter l’hymne national avant d’affronter l’Angleterre. Un hymne qu’ils ont repris face au pays de Galles, sans doute sous la pression du régime sur leurs proches restés au pays…
L’administration Biden a apporté son soutien appuyé aux manifestants durement réprimés par un pouvoir iranien frappé en outre depuis le 24 novembre par de nouvelles sanctions par l’administration US pour son aide à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine et la continuation de son programme nucléaire... On ignore si dans ce contexte hyper tendu, l’optimisme d’Earnie Stewart d’hier de voir s’affronter à nouveau les deux pays dans un esprit apaisé se matérialisera ce mardi soir à 20 heures à l’Al Thumama Stadium de Doha. Avec un résultat favorable de l’Angleterre face au Pays de Galles, un match nul suffirait à l’Iran pour une qualification historique en 8e aux conséquences insoupçonnées au pays…
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