Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Equipe de France - "C'est tout sauf une loterie" : les tirs au but, l'angle mort du foot français

Martin Mosnier

Mis à jour 08/12/2023 à 09:04 GMT+1

En un an, la France s'est fait sortir de quatre compétitions internationales à l'issue d'une séance de tirs au but. C'est ainsi, par exemple, que la bande à Mbappé a vu ses rêves de titres s'envoler à l'Euro 2021 et au Mondial 2022. Didier Deschamps n'a jamais fait de mystère : il ne travaille pas spécifiquement l'exercice. Pourtant, il est prouvé que cela ne se joue pas sur un coup de dés...

Les tirs au but ont coûté très cher au foot français depuis un an

Crédit: Quentin Guichard

En Australie, on l'appelle "Grey Wiggle" (ndlr : le "Wiggle gris"). Andrew Redmayne a une carrière tout à fait modeste dans le championnat australien et ne compte que quatre sélections, mais il est pourtant devenu un héros national le 13 juin 2022 au cours des barrages qui enverront l'Australie à la Coupe du monde au détriment du Pérou. Entré en jeu quelques secondes seulement avant la séance de tirs au but, il gesticule grossièrement sur sa ligne de but, reproduisant les mouvements d'une danse du groupe australien "The Wiggles" et gagne, au passage, un surnom pour la postérité.
Plus fourbe encore, il s'empare de la gourde du gardien péruvien où figure quelques indications sur les tireurs australiens et l'envoie balader dans les tribunes. Le but est clair : déstabiliser l'adversaire. Plus original encore, Redmayne a accompagné tous les tireurs australiens jusqu'au point de penalty les protégeant des manipulations mentales adverses. Le Pérou ratera deux tentatives et regardera la Coupe du monde depuis son canapé. Mission accomplie. Redmayne s'expliquera après le match : "C'était une question de vie ou de mort alors, même si cela va à l'encontre de tous mes principes moraux d'être ce genre de personne…"
La séance de tirs au but est une guerre psychologique et Redmayne est tout sauf un fou. Une étude, citée par The Telegraph et portant sur toutes les séances de tirs au but des Coupes du monde et des Championnats d'Europe de 1984 à 2012, a révélé qu'un gardien qui tente de déconcentrer le tireur de penalty réduit de 10% le nombre de buts marqués. Tous les moyens sont bons comme ceux utilisés par the "Grey Wiggle" ce jour-là. Le gardien est à la fois un agent du chaos, même si une modification du règlement réduit sa marge de manœuvre aujourd’hui, et un statisticien capable de connaître sur le bout des doigts les préférences de ceux qui se présentent face à lui.
Un exercice qui se prépare techniquement et mentalement
"Les tirs au but, ce n'est pas une loterie, nous renseigne Christophe Revel, ancien entraîneur des gardiens du Maroc, de l'OL, de Rennes et de Brest aujourd'hui. C'est un exercice qui se prépare techniquement et mentalement à l'aide de répétitions de gestes, de situations, se rapprochant tant bien que l'on peut de la réalité. Le plus important étant de rendre le gardien de but acteur de ce moment, de le mettre à l'aise et de lui enlever toute pression pour optimiser ses chances de réussite."
"Je ne vois pas ça comme une loterie mais comme une opportunité pour le gardien, nous confie de son côté Cédric Carrasso, deuxième gardien à avoir arrêté le plus de penalties en L1 depuis 2006. Il y a bien sûr une bonne part d'intuition et d'observation. On donne des renseignements au gardien, c'est une aide mais pas une science exacte. Après, moi, à partir du moment où j'entrais sur le terrain, j'observais tout. L'échauffement des adversaires, leur tendance pendant le match, est-ce qu'untel tire croisé ou pas ? A partie de tout ça, je prenais ma décision."
picture

Hugo Lloris n'a pas arrêté une tentative argentine lors de la séance de tirs au but

Crédit: Eurosport

Le football français a-t-il oublié que les tirs au but n'étaient pas un jeu de hasard ? En un an, les Bleus ont perdu une finale de Coupe du monde, deux finales d'Euro et de Mondial U17 et un quart de finale de Coupe du monde féminine au terme d'une séance de tirs au but. Depuis la Coupe du monde 1998, les sélections ou clubs français ont disputé 16 séances de tirs au but dans des compétitions internationales et en ont remportées… trois (les Bleues face à l'Angleterre au Mondial 2011, Lyon face au Besiktas en Ligue Europa 2017 et les U17 en quart de finale du Mondial contre le Sénégal le mois dernier).

3 sur 16 pour le foot français depuis 1998

Le problème peut venir des gardiens comme Fabien Barthez et Hugo Lloris qui n'ont stoppé aucune des 14 dernières tentatives subies dans le but des Bleus. Le week-end dernier, ce sont les tireurs des U17 qui ont failli en finale face aux Allemands quand leur portier sortait le grand jeu. La semaine dernière, sur les antennes de BeIn Sport, alors même que les Bleus ont été sortis des deux dernières grandes compétitions internationales après une séance de tirs au but, Didier Deschamps rappelait pourquoi il n'insistait pas sur ce travail spécifique : "À l’entraînement, il n’y a personne à part vous. Vous n’arrivez jamais à recréer les conditions d’un match. Si c’est une finale, le côté émotionnel, le public, le positionnement des tireurs, rien ne peut être préparé. Puis entre ce que vous pouvez prévoir et ce qu’il se passe, comme la dernière séance contre l’Argentine où tous les tireurs prévus n’étaient plus sur le terrain…"
Et l'entraîneur des infortunés U17, Jean-Luc Vannuchi avouait : "C'est encore une histoire de loterie, on a beau les travailler, c'est difficile." A force, il n'est sans doute plus question de loterie mais de syndrome. Il paraît urgent de réagir car, à force d'études en tous genres et de datas à foison, le hasard n'a plus vraiment sa place dans l'équation. Il est par exemple statistiquement prouvé qu'un attaquant a plus de chances de réussir sa tentative qu'un autre joueur de champ, qu'un tir au milieu du but est moins efficace que sur un côté (57% contre 74% lors des 30 dernières séances de tirs au but en Coupe du monde) et même qu'un joueur qui célèbre sa réussite de façon ostentatoire donne deux fois plus de chance au coéquipier qui suit de marquer (selon une étude parue en 2010 sur la contagion émotionnelle). Bref, réduire la séance de tirs au but à un jeu de pile ou face est en 2023 une totale incongruité. Tout comme croire que la terrible série du foot français relève du pur hasard.
picture

La joie des joueurs du Panathinaïkos après leur qualification en barrages de la Ligue des champions aux tirs au but face à l'OM

Crédit: Getty Images

Des psys au secours du foot français ?

Il semblerait d'ailleurs que la DTN s'empare enfin du sujet. "Il ne faut pas tomber dans quelque chose qui nous paralyse, dans une forme de psychose, révélait Hubert Fournier il y a quelques jours dans L'Equipe. La gestion des émotions doit être mieux maîtrisée. Il y a sans doute des solutions, et il va falloir qu'on les trouve (…). Il est nécessaire de mettre une cellule spécialisée en place pour accompagner les joueurs sur le plan émotionnel, faire en effet appel à des psychologues. Il est important d'y réfléchir et on va le faire, croyez-moi."
Des psys au secours du football français, voilà peut-être une partie de la solution. En Allemagne, la fédération donne accès à des psychologues sportifs à toutes les sélections de jeunes. De même, les gardiens de but reçoivent un briefing penalty sur leurs adversaires avant chaque match. Luis Enrique, avant le dernier Mondial, avait demandé à ses joueurs espagnols de tirer 1000 penalties avec leurs clubs respectifs avant de prendre l'avion pour le Qatar. Mais personne ne travaille mieux dans ce domaine que les Anglais, qui possèdent le pire ratio des grandes nations avec une réussite de 22% dans l'exercice.
e
picture

David Seaman console son coéquipier Gareth Southgate qui vient de rater un tir au but face à l'Allemagne à l'Euro 1996.

Crédit: Getty Images

L'Angleterre travaille dur et en France ?

Leur sélectionneur, Gareth Southgate, lui-même traumatisé par sa tentative ratée à l'Euro 1996, n'a jamais caché que son équipe bossait spécifiquement l'exercice : "Comme tous les autres aspects de notre jeu, nous sommes préparés et nous avons suivi un processus - nous devons être prêts mentalement et physiquement." Les Three Lions utilisent notamment des filets aux entraînements pour travailler les frappes dans les coins du but et toutes les statistiques d'entraînements et de match sont décortiquées pour déterminer le casting des tireurs en fin de match.
La France n'attache visiblement pas la même minutie. "Est-ce qu'on travaille assez en France les séances de tirs au but ?, s'interroge Carrasso. On ne prend pas assez en compte la possibilité des tirs au but et on entend trop souvent les coaches dire qu'on doit gagner le match avant. Ok, mais si on n'y arrive pas ? Si le mec qui s'avance tire parfaitement son penalty, le gardien n'a aucune chance et ça se travaille." D'autant que Grey Wriggle n'a pas l'intention de prendre la nationalité française. Mike Maignan, autre grand spécialiste de l'exercice, reste une vraie sécurité pour l'avenir. Même si le chantier dépasse le simple cas du portier des A, c'est un bon début…
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité