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Après Allemagne - Angleterre : Raheem Sterling, Wembley est son jardin

Philippe Auclair

Mis à jour 01/07/2021 à 19:28 GMT+2

EURO 2020 - Oubliez Harry Kane, le vrai leader de la sélection anglaise se nomme Raheem Sterling. Le joueur de Manchester City porte les offensives des Three Lions, lui qui aura encore plus que les autres dû se battre pour trouver grâce auprès des observateurs outre-Manche. A Rome samedi, Sterling va devoir trouver ses repères, comme il l'a si bien fait, depuis tout petit, à Wembley.

Raheem Sterling au Stade de Wembley, avant Angleterre - République tchèque durant l'Euro 2020

Crédit: Getty Images

Enfant, chaque matin qu'il prenait le chemin de son école, Copland School, il pouvait voir le stade qui était encore dominé par les fameuses Twin Towers, et rêver ("il parlait de la Coupe du Monde quand il avait cinq ans", a dit sa soeur aînée Lakima). La modeste maison où sa mère Nadine s'était installée après avoir émigré de Jamaïque n'était distante du National Stadium de Wembley que de cinq cent mètres, suffisament proche pour que les clameurs de la foule puissent y être entendues les jours de match, cette foule qui l'acclame aujourd'hui, cette foule qu'il a forcée à le respecter, puis, doit-on espérer, à l'aimer.
Cet Euro, qu'on annonçait côté anglais comme devant être celui de Foden, Mount ou Grealish, a d'abord été celui de Raheem Sterling, buteur décisif contre la Croatie, la République Tchèque et l'Allemagne, même si beaucoup de journaux préférèrent illustrer leurs unes d'une photo de son capitaine Harry Kane au lendemain de l'exorcisme du 29 juin. Il était pourtant loin d'arriver en terrain conquis, lui qui sortait d'une saison si délicate avec Manchester City, dont on pensait qu'elle serait peut-être la dernière en compagnie de Pep Guardiola. Mais la conquête est enfin en bonne voie, et ce n'est que justice.
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"'Football is coming home' en 2018, c’était de l'ironie mais maintenant…"

Le pied droit comme arme, pour rester debout

Comme tous les plus beaux succès, le sien est l'aboutissement d'autres victoires, sur lui-même comme sur les autres et sur le monde dans lequel il a grandi, et dont il est passé si près d'être exclu. Il n'a pas connu son père, qui avait déjà quitté le foyer familial lorsqu'il fut assassiné à Kingston, alors que son fils n'avait que deux ans. "Je me suis juré de ne jamais toucher une arme à feu de ma vie", expliqua-t-il lorsqu'on lui demanda pourquoi il avait fait tatouer un fusil d'assaut sur sa jambe droite. "C'est avec le pied que je tire, le droit".
Il sait que, sans le football, les choses auraient pu très mal tourner pour lui. Chris Beschi, l'un de ses professeurs au collège pour enfants 'difficiles' dans lequel on l'envoya quand il avait dix ans, lui avait dit : "si tu continues comme ça, à dix-sept ans, soit tu joueras pour l'Angleterre, soit tu seras mort". Quinze ans plus tard, guidé par une mère qui fit tout pour le protéger des gangs de son quartier, le gamin tourmenté n'est pas seulement devenu un international capé à soixante-cinq reprises, mais un modèle, une source d'inspiration, et le symbole - tout comme son entraîneur Gareth Southgate - d'une Angleterre qui n'a pas grand-chose à voir avec l'image qui en est projetée dans le reste du monde, et en particulier en Europe, depuis qu'elle est prise dans la tourmente du Brexit.
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La joie de Raheem Sterling face à la Croatie

Crédit: Getty Images

Certains, beaucoup, même, ont eu du mal à l'accepter et ne l'accepteront jamais tout à fait. "Tu sais, quand tu vois quelqu'un à la télévision et tu te dis, 'je ne l'aime pas', eh bien certains gens ont ce genre de visage", avait-il confié dans un entretien donné au Guardian en 2017. "Moi, je l'ai". Disons les choses crûment : Sterling est trop noir, trop 'quartier', trop bling aussi, au goût, en particulier, de tabloïdes qui n'ont jamais manqué une occasion de le massacrer dans leurs colonnes, lui inventant de toutes pièces des enfants qui n'ont jamais vu le jour, par exemple, ou, dans le cas du Daily Mail, le plus nauséabond de ces torchons, trouvant le moyen de le descendre en flammes après que le 'flop' avait acheté une maison "extravagante" et "vulgaire" à sa mère au retour de l'Euro 2016.

L'ex-paria fait désormais les unes

S'ils ont changé de ton aujourd'hui (le Sun fut l'un des rares journaux à mettre l'attaquant de Manchester City à sa une après la victoire contre les Allemands), c'est que Sterling ne leur a pas laissé le choix de faire autrement. Quinze buts marqués lors de ses vingt derniers matches avec les Three Lions imposent le respect, tout comme la façon dont il a endossé le rôle de mentor pour des jeunes et des nouveaux venus de la sélection comme, hier, Marcus Rashford, et aujourd'hui Bukayo Saka et Kelvin Phillips.
Cela ne signifie pas que la conquête soit achevée. Vous pouvez être certains que ceux qui le dénigraient hier le dénigreront à nouveau, et de la manière le plus insidieuse qui soit, dès qu'il montrera le moindre signe de faiblesse. Vous pouvez être certains qu'ils l'auraient fait, et le plus cruellement possible, si le ballon hasardeux que Sterling avait bien malgré lui mis dans la course de Thomas Müller avait mené au but de l'égalisation allemande. C'est que Sterling est à la fois bouc émissaire et exutoire pour ces supporters et ces médias anglais qui peinent à se reconnaître dans le groupe divers et inclusif que Gareth Southgate a su fédérer. Il est un paratonnerre pour les anxiétés identitaires d'une partie de l'opinion anglaise. Il est un écran vierge sur lequel elle peut projeter ses inquiétudes et ses fantasmes.
Il est aussi l'attaquant numéro 1 des Three Lions, celui sur lequel ils se reposent en attendant que Harry Kane confirme que le second but contre l'Allemagne - son premier dans un Euro - était celui du réveil. Dans une équipe qui regorge de ressources offensives mais ne les utilise qu'au compte-gouttes, il est aussi le créateur, le détonateur, le provocateur en chef, en attendant que Jack Grealish, déterminant mardi, assume pleinement ce rôle. Autrement dit, dans le système mis en place par Southgate, il est l'élément le plus important pour transformer ce qui pourrait être un excès de prudence (et le demeure au moins en partie) en un pragmatisme victorieux. Beaucoup de joueurs s'écrouleraient sous le poids d'une telle responsabilité. Pas Raheem Sterling, pas l'enfant de Wembley qui a si bien su grandir.
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