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L'affaire Trippier en symbole : Sportifs professionnels et paris, le mauvais ménage

Antoine Donnarieix

Mis à jour 29/01/2021 à 18:18 GMT+1

En fin d'année 2020, Kieran Trippier a été suspendu pour dix semaines par la fédération anglaise. En cause, une infraction de la réglementation sur les paris en ligne. Mais au fait, pourquoi les footballeurs, et plus largement les sportifs professionnels, ne peuvent pas parier ?

Kieran Trippier of Club Atletico de Madrid reacts during the La Liga Santander match between Real Sociedad and Atletico de Madrid at Estadio Anoeta

Crédit: Getty Images

La nouvelle est tombée juste avant le début des fêtes de fin d’année et elle avait l’archétype du cadeau empoisonné pour l’Atlético de Madrid. Le 23 décembre 2020, l’actuel leader de Liga prenait acte de la décision de la fédération anglaise de sanctionner Kieran Trippier de dix semaines de suspension de toute activité professionnelle liée au football et 70 000 livres sterling (environ 77 000 euros) d’amende pour avoir enfreint la réglementation des paris en ligne de la FA.
Naturellement, le club madrilène a immédiatement fait appel de la décision renvoyée devant la commission de discipline de FIFA, puis s’est mis à grincer des dents trois semaines plus tard lorsque l’instance suprême du football a rejeté l’appel concernant le jugement de l’international anglais. Voilà donc Trippier, parfaitement apte physiquement, contraint d’observer ses coéquipiers depuis les tribunes jusqu’à la fin du mois de février. Comment en est-on arrivé là ?

Trippier savait qu'il partait à l'Atlético

Si la sanction paraît extrêmement lourde à première vue, Trippier aurait dû savoir que le pari sportif comporte de nombreux risques en tant qu’athlète de haut niveau. En France, "la première contrainte, c’est l’article L131-16 du code du sport, explique Benjamin Chomel, avocat spécialisé en droit du sport dans le cabinet Martin et associés à Lyon. C’est une barrière légale qui invite les fédérations délégataires, en coordination avec les ligues professionnelles, à édicter des règles ayant pour objet d’interdire aux acteurs des compétitions sportives plusieurs actions comme réaliser des prestations de pronostics ; détenir une participation au sein d’un opérateur de paris sportif ; engager, directement ou par personne interposée, des mises sur des paris reposant sur l’une des compétitions de leur discipline et communiquer à des tiers des informations privilégiées." En l’occurrence, c’est dans ce dernier cas de figure que Trippier a commis une faute.
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Kieran Trippier, l'arrière latéral de l'Atletico Madrid.

Crédit: Getty Images

Durant le mois de juillet 2019, le défenseur de Tottenham sait que son transfert vers l’Atlético de Madrid est acté mais l’information n’a pas encore été officialisée. Dès lors, Trippier se serait confié à des proches sur son avenir et ces derniers auraient profité de la situation pour parier (avec certitude) sur la future destination du footballeur. Un procédé illégal à l’égard du règlement de la FA sur les paris sportifs mis en place depuis le début de la saison 2014-2015.
"En France, ce sont les règlements généraux de la FFF et plus précisément l’article 124 qui reprennent les dispositions légales", précise maître Chomel. En Angleterre, le règlement parle ainsi de "inside information", comprendre l’obtention d’une information confidentielle dans sa discipline grâce à son travail ou sa position privilégiée et qui n’a pas encore été rendue publique.
À ce sujet, les footballeurs sont tenus de garder la confidentialité de l’information jusqu’à son officialisation sans même en informer leurs amis ou leur famille. Pourquoi ? Parce que si l’information privée permet d’obtenir un gain lié à un pari originellement incertain, la personne ayant divulgué l’information au départ peut être condamnée. En outre, si le fautif nie les faits face aux accusations, la sanction peut aussi être alourdie en cas de preuve irréfutable, ce qui pourrait aussi expliquer des circonstances aggravantes dans la sentence infligée à Trippier.
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Paris sportifs

Crédit: Getty Images

"Dans le critère d’appréciation de la sanction, il y a plusieurs éléments à prendre en compte, détaille maître Chomel. Il va y avoir des détails qui vont venir alourdir la sanction avec une succession de questions. Combien de temps ? Combien de matches ? Quels matches ? Quelles compétitions ? Quels montants ? Et à ce moment-là, il faut toujours analyser si le principe d’équité sportive, inhérent au sport de haut niveau, est respecté ou non." En l’occurrence, le litige n’a pas eu lieu sur un rectangle vert mais il concerne bien un résultat sportif, à savoir le prochain club d’un footballeur.
Quand on enlève l’incertitude sportive sur qui va gagner ou perdre, on tue le sport
Loin d’être une exception, le cas de Kieran Trippier fait écho à une problématique plus large concernant la cohabitation ambigüe entre les athlètes de haut niveau et les paris sportifs. "Par le passé, des sites de paris sportifs inspirés des bookmakers anglais vous permettaient de parier sur la première touche ou le premier ballon joué de la tête, souligne maître Chomel. Vous avez aussi le même type de pari dans le tennis : qui va gagner le premier échange, le premier jeu. Ces paris sont arrivés en France et l’Arjel (Autorité de régulation des jeux en Ligne) pose un regard extrêmement sévère sur ce genre de pari."
Pourtant, au même titre que de voir des footballeurs professionnels faire la promotion du pari en ligne via des publicités, est-ce bien raisonnable de floquer des noms de sites de paris en ligne sur les maillots et contraindre les footballeurs à ne pas se lancer dans une telle activité ? "Là, il faut faire la distinction entre politique commerciale d’un côté et interdictions légales de l’autre, tranche maître Chomel. Quand un club établit des partenariats commerciaux avec des sociétés pour permettre un rayonnement d’une marque à travers le sponsoring, c’est parfaitement légal. Ce que le footballeur doit garder en tête, c’est qu’il est un acteur sportif majeur dans sa compétition et qu’il ne peut pas pratiquer de pari en ligne. Quand on enlève l’incertitude sportive sur qui va gagner ou perdre, on tue le sport. La frontière peut parfois être poreuse… Les paris, c’est une limite que les sportifs de haut niveau ne doivent pas franchir."
Le footballeur peut être une cible facile du pari en ligne
Malgré des campagnes de sensibilisation faites par l’UNFP en amont, la commission de discipline de la LFP prend régulièrement des sanctions fédérales à l’égard des footballeurs suite à des dénonciations par l’Arjel de comportements contraires aux dispositions du code du sport et des règlements généraux. Ce fût notamment le cas de Mathieu Bodmer (Amiens SC) et Benjamin André (Stade Rennais) en juin 2018, tous les deux condamnés à trois matchs avec sursis et 1 500 euros d’amende. Aussi, les clubs peuvent avoir recours à des sanctions plus directes envers leurs salariés puisque "le règlement de chaque club professionnel français doit inclure une clause concernant l’interdiction de paris sportifs, et cette clause se situe également dans le contrat de travail du joueur qui se doit de le lire et d’en respecter tous les termes."
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Mathieu Bodmer et le père Noël

Crédit: Getty Images

Cependant, l’athlète de haut niveau contemporain reste un être humain avec des failles. Son comportement de compétiteur, ses moyens financiers, son temps libre, sa connaissance des nouvelles technologies et parfois même la tradition du pari (une réelle institution outre-Manche) sont des critères éligibles pour tenter un champion à basculer du côté obscur. "Le footballeur peut être une cible facile du pari en ligne, confirme maître Chomel. Parfois, ils peuvent être également approchés par des gens susceptibles d’avoir des intentions frauduleuses et à la recherche de l’information. Si les différentes ligues se sont emparées de ce sujet-là, c’est qu’il y avait des dérives dans ce domaine. Cela peut devenir encore plus problématique dans des sports individuels car il y a moins encore moins de facteurs à prendre en considération pour impacter illégalement un match."
Que faire pour éviter que ce type de pratiques s’étende et se diversifie ? "Il faut poursuivre la pédagogie et la sensibilisation à l’égard des sportifs mais aussi de leur entourage, conclut maître Chomel. Si cela ne suffit pas, alourdir les sanctions à l’échelle sportive peut être une mesure dissuasive et constituer un levier évident car pour les footballeurs les plus connus, l’aspect financier ne suffit pas. Sans avoir connaissance exacte du dossier Trippier, la FA a sans doute considéré que la sanction attribuée devait être un devoir d’exemplarité pour dissuader ceux qui souhaiteraient emprunter le même chemin à l’avenir." Et rappelons-le : nul n’est censé ignorer la loi.
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