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Espagne, Angleterre, Allemagne... Le bilan tactique de l’année 2019

Christophe Kuchly

Mis à jour 25/12/2019 à 12:48 GMT+1

Les succès de Liverpool reflètent l’évolution d’un sport où les qualités physiques sont essentielles mais doivent s’accompagner d’une capacité à être dangereux sur les attaques placées.

mourinho klopp guardiola

Crédit: Eurosport

Tous les championnats sont entourés de clichés plus ou moins vrais. La Premier League serait la terre des duels, un endroit où les mal classés peuvent renverser n’importe qui à coups de ballons aériens. Du côté de la Bundesliga, la volonté de toujours marquer un but de plus que l’adversaire permettrait de faire d’énormes différences les jours de réussite. Dans les deux cas, les transitions – et la bravoure de "petits" pas impressionnés – seraient censées apporter une forme d’incertitude. La vérité est plus complexe.
En Grande-Bretagne, les quatre premiers au classement sont également les quatre équipes qui ont le plus souvent la balle. En Allemagne, c’est le top 7 qui est identique. Si l’ordre n’est pas parfaitement respecté, le constat reste : les meilleurs ont la balle. Loin d’être ringarde, la possession reste un indicateur important des rapports de force et, hormis Diego Simeone et José Mourinho, peu d’entraîneurs estiment pouvoir contrôler les débats quand ils ne l’ont pas. Ce contrôle du rythme est essentiel mais, pour gagner en 2019, il y avait une clé : combiner efforts et créativité.
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Jose Mourinho

Crédit: Getty Images

Travail sans ballon

Si la ligne offensive de Liverpool a une force, c’est d’abord de ne pas perdre en lucidité ce qu’elle gaspille en énergie. Malgré leur immense talent balle au pied, Mohamed Salah, Sadio Mané et Roberto Firmino font toujours les efforts nécessaires au pressing pour bloquer l’adversaire et récupérer le ballon dans le camp adverse. Si cela offre de belles opportunités en cas d’erreur de relance, cela permet surtout de ne pas défendre trop bas. Une donnée encore plus importante depuis l’arrivée de la vidéo, qui sanctionne de penalties des mains ou contacts autrefois tolérés. Difficile ainsi d’imaginer la virile charnière Samuel-Lucio, qui a contribué aux succès de l’Inter de Mourinho, être aussi efficace dix ans plus tard.
Tottenham, finaliste européen mais de moins en moins capable de défendre en avançant en Premier League jusqu’au départ de Mauricio Pochettino, symbolise les risques du plan de jeu dès que l’intensité baisse. Avec une demi-seconde pour prendre une décision, un défenseur aura tendance à précipiter son geste et ne pas profiter des cinquante mètres d’espaces dans le camp adverse. Si le pressing est moins frénétique, il aura tout le loisir de prendre l’information et d’ajuster sa passe.
La problématique et ses solutions ne sont pas nouvelles. Dans les années 90, Johan Cruyff assumait jouer avec un milieu reculé et un stoppeur pas adeptes du sale boulot. "S’il y a deux joueurs qui ne savent pas défendre, c’est bien Guardiola et Koeman", avait-il dit dans une interview télévisée. Sergio Busquets, moins bien entouré qu’il y a quelques années, a tout de même remporté une huitième Liga et longtemps cru à une qualification en finale de Ligue des champions. Très peu mobile lui aussi mais protégé par les nombreuses courses de N’Golo Kanté, Pedro et Olivier Giroud plus haut sur le terrain, Jorginho est lui allé au bout en Ligue Europa.
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Alexis Sanchez, Busquets - Barcelona-Inter - Champions League 2019/2020 - Getty Images

Crédit: Getty Images

Les succès du Real de Zinédine Zidane, qui assumait d’être parfois coupé en deux parce qu’il possédait un talent supérieur dans les deux surfaces, ont été trop nombreux pour qu’on les ignore. Ils s’inscrivaient cependant à contre-courant d’une tendance lourde, qui veut qu’on puisse difficilement "jouer la carotte" comme on entend sur les terrains le dimanche matin. Les résultats du PSG en Europe sont ainsi plus dépendants des courses que des dribbles réussis alors qu’en Bundesliga, le Bayern s’est relevé depuis qu’il a changé d’entraîneur… et a recommencé à presser. Il reste pourtant derrière Leipzig et Gladbach, qui courent partout et tout le temps.

Auxiliaires de créativité et polyvalence

Le temps du meneur référent est révolu mais les numéros 10 modernes continuent de bonifier leur équipe. La saison dernière, Papu Gomez, qui a aidé l’Atalanta à se qualifier pour la C1, était le plus grand créateur d’occasions des cinq grands championnats, James Maddison de Leicester occupant la troisième place. Au moins aussi performants depuis la rentrée, ils tirent vers le haut deux équipes très offensives (43 buts pour les hommes de Gian Piero Gasperini, 41 pour ceux de Brendan Rodgers), qui pratiquent un pressing en homme à homme incitant les adversaires à rendre rapidement le ballon.
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Alejandro Papu Gomez, Josip Ilicic

Crédit: Getty Images

Si la disponibilité de Maddison, qui peut compter sur l’aide de Youri Tielemans entre les lignes, est essentielle pour faire des différences, l’Atalanta varie les circuits de construction. Les pistons, qui doivent couvrir de grandes zones dans le système en 3-4-1-2, sont souvent libres, mais les défenseurs centraux sont également responsabilisés. Dès qu’un espace s’ouvre, Rafael Toloi et Berat Djimsiti portent le ballon jusque dans le camp adverse pour créer le surnombre. À Sheffield United, promu dans la course pour une qualification européenne, les dédoublements des centraux Chris Basham et Jack O’Connell sont systématisés pour créer des supériorités numériques sur les côtés. De quoi rendre jaloux Gerard Piqué ou Nicolas Pallois, habitués des montées balle au pied.
Si l’implication défensive des attaquants est importante, avoir des défenseurs capables d’attaquer offre des perspectives intéressantes. Alors que le Barça de Pep Guardiola avait des joueurs suffisamment créatifs pour rendre imprévisibles des circuits en triangle pourtant connus, la possession s’accompagne aujourd’hui d’un dépassement de fonction. À Liverpool, la plupart des attaques partent des pieds de Trent Alexander-Arnold, latéral droit dont les transversales font exploser tous les blocs, et passent par Roberto Firmino, numéro 10 déguisé en attaquant. Manchester City, certes en difficulté depuis la blessure d’Aymeric Laporte mais excellent sur la première partie d’année civile, aligne régulièrement Kevin de Bruyne et Bernardo (ou David) Silva comme relayeurs derrière trois attaquants. Même l’Ajax, à quelques minutes d’une finale de Ligue des champions, créait de l’espace en prenant des risques dans ses trente mètres avec Matthijs de Ligt et Frenkie de Jong en relanceurs/détonateurs.
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Trent Alexander-Arnold

Crédit: Getty Images

Si Antonio Conte a relevé l’Inter en automatisant des circuits de passes où l’initiative individuelle est limitée, la plupart des clubs ambitieux mettent le plus de joueurs créatifs possibles sur le terrain. L’hybridation des postes, à son paroxysme quand Pep Guardiola avait aligné un 3-7-0 pour battre Santos 4-0 en finale du Mondial des clubs, ne passe pour l’instant pas par des matches façon handball. Le football n’est pas un sport où tout le monde est milieu mais où tout le monde pourrait l’être. "Tour à tour, il faut un peu être numéro 10 dans l’action, développe Raynald Denoueix dans l’ouvrage L’Odyssée du 10. Il faut qu’il y ait des 10 bis, des 10 ter de plus en plus, que chacun à son tour aille dans l’idéal vers un rôle de numéro 10.

Gestion des temps forts

De plus en plus élevée, l’intensité conditionne la plupart des rapports de force, a fortiori dans les matches aller-retour. Tottenham, qui a marqué ses deux premiers buts en trois minutes à City en quart et à Amsterdam en demie de la dernière Ligue des champions, illustre bien cette capacité à maximiser un temps fort en partant à l’abordage. Personne n’ayant la capacité à jouer plein gaz pendant 90 minutes, pas même les équipes Red Bull (Leipzig, Salzbourg) où les sprints à haute intensité sont un axe de travail majeur – L’Équipe assure que Jean-Kévin Augustin a fait passer sa VMA (Vitesse Maximale Aérobie) de 16 à 20,5 en Allemagne – il faut être capable de se reposer avec le ballon. D’où des phases de possession neutres, et des accélérations quand le match s’emballe.
Cette capacité à mettre la tête de l’adversaire sous l’eau au moment où sa confiance baisse, qui est l’une des explications à l’augmentation des remontadas depuis quelques années, n’a pour l’instant pas de contre-modèle fiable. Pep Guardiola, dont les formations dominent toujours les classements de possession, en a encore fait plusieurs fois l’expérience : après avoir encaissé un but, ses hommes sont extrêmement vulnérables. Tenter de jouer comme d’habitude, avec des prises de risques dans la passe depuis sa propre surface, devient dangereux quand le moral est touché. Et rendre la balle est à peine plus rassurant, ses équipes n’étant pas construites pour défendre en bloc.
Le modèle de l’Espagne 2010, qui imposait son rythme assez tranquille à tous les adversaires et ne prenait pas le risque d’être menée, n’est plus viable. Même les meilleures équipes de possession sont bousculées et, pour contrôler le tempo, doivent être capables de rivaliser dans la vitesse. D’où un football hybride, où les équipes qui pressent marquent d’abord sur attaque placée, où les défenseurs ont parfois plus de responsabilités offensives que les joueurs devant eux sur le terrain et où les artistes ne peuvent plus s’épargner les courses défensives... hormis peut-être Lionel Messi, dont le talent suffit à gagner pas mal de matches moyennement maîtrisés. Et qui rend crédible sportivement une équipe dont le projet de jeu, flou et inconstant, est anachronique dans un football où on attend de voir sur le terrain les idées de l’entraîneur.
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