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Le football portugais snobe ses jeunes pousses

Nicolas Vilas

Publié 29/01/2014 à 00:14 GMT+1

Le départ de Matic du Benfica a relancé le débat sur la formation au Portugal. Pas sûr que l’envol du Serbe laisse place aux jeunes. Et ce sont encore vers les "Grandes" que les regards se tournent.

Benfica Filipe Nascimento 2013/2014

Crédit: Imago

"Puiser dans la formation pour remplacer Matic ? Il faudrait naître dix fois." Les mots de Jorge Jesus qui ont suivi la vente de Matic à Chelsea ont fait du bruit. Même les jeunes pousses du Benfica ont réagi sur les réseaux sociaux. "Nous naîtrons encore neuf fois s’il le faut ! Personne ne nous volera le rêve de notre vie", écrit Filipe Nascimento. Ce jeune international portugais espère, comme beaucoup d’autres de ses coéquipiers, compatriotes et prédécesseurs, percer avec l’équipe première. Et ça s’annonce dur. Les "Grandes" de la Liga portugaise investissent lourdement sur des joueurs étrangers qu’il convient de rentabiliser et valoriser. Mais les temps devraient changer. L’austérité concerne aussi le monde du foot. Et parler formation redevient tendance, pour des raisons, avant tout, économiques...
Une majorité d’étrangers
Le 15 janvier dernier, Ivan Cavaleiro faisait le break pour le Benfica face au modeste Leixões (2-0) dans l’insipide Coupe de la Ligue (non qualificative pour l’Europe). L’attaquant de 20 ans devenait le premier - et seul à ce jour - buteur portugais de son club cette saison (sur 52 buts). En 2011/12, aucun des 66 pions inscrits en championnat par le SLB n’avait été l’œuvre d’un autochtone. En août 2011, Jorge Jesus alignait en Coupe d’Europe le premier onze de l’histoire du club sans aucun joueur portugais. Dans un club qui n’a autorisé les footballeurs étrangers qu’en 1979, son choix a fait polémique. JJ a répondu : "Pour moi il n’y pas d’étrangers ni de Portugais mais des joueurs du Benfica." Le tout récent rapport annuel de l’Observatoire du football (CIES) le confirme. Avec 79,3% de joueurs étrangers utilisés l’année dernière, le SLB est le huitième club "le plus étranger" du continent. Le FC Porto a lui recours à 83,3% de joueurs non-nationaux. En Europe, seule la bien nommée Inter va plus loin (88,9%). En moyenne, 52,1% des footballeurs de la Liga sont étrangers, soit le cinquième ratio le plus important d’Europe, bien loin du bon élève français (31,2%). Mais cette tendance est à la baisse. En 2010, le chiffre atteignait 56,2%. Depuis le début de saison, Porto et Benfica ont aligné respectivement, au moins une fois, cinq et six joueurs portugais. Et certains sont même formés au club…
Portugais chez les grandes
Porto et Benfica donnent peu de chances aux "leurs"
Au Benfica, Ivan Cavaleiro fait encore figure d’exemple. Il n’est pas le seul produit de la "casa" à s’être glissé dans l’équipe première. Révélation de la saison dernière, André Gomes n’a cumulé que 65 minutes de jeu avec l’équipe première en 2013-2014. Le milieu de terrain de 20 ans qui était convoqué par Paulo Bento il y a tout juste un an peine à se faire une place au milieu des nombreux et coûteux arrivants serbes (Fejsa, Djuricic, Markovic, Sulejmani). Les rumeurs d’un départ se font insistantes. André pourrait la jouer comme les internationaux Silvio et Ruben Amorim, couvés par les Aigles mais qui ne s’y sont imposés qu’à leur retour, après avoir pris leur envol sous d’autres cieux. Même histoire pour Josué à Porto. Le voilà de retour "à la maison" après avoir bourlingué entre les Pays-Bas (VVV-Venlo) et les alentours de la cité invicta (Penafiel, Paços). Il est le seul joueur portugais formé au FCP à avoir pris part à un match de l’équipe première cette saison. Pas étonnant donc que le championnat portugais n’aligne que 12% de joueurs formés localement (qui entre 15 et 21 ans ont joué au moins trois ans au Portugal), bien loin de la moyenne européenne (21,2%). Seuls trois clubs dépassent ce chiffre : Maritimo, Guimarães et la référence portugaise en matière de formation : le Sporting.
Le Sporting, la référence
Le CIES est formel. Parmi les joueurs utilisés par le Sporting, 33,3% sont formés au club. Aucun club portugais ne fait mieux. Les Lions sont encore loin du Barça (64%) ou des Hongrois du Szombathelyi Haladás (85,7%) mais ils vont au-delà de la moyenne européenne (21,2%). Le Sporting est aujourd’hui le quatrième pourvoyeur de joueurs de première division en Europe (l’Ajax reste leader). Son président Bruno de Carvalho peut l’avancer, sans démagogie : "Le Sporting est l’un des meilleurs clubs formateurs du monde." Pas moins de huit joueurs issus d’Alcochete ont été utilisés depuis le début de l’exercice par Leonardo Jardim et ils ont inscrit 35% des buts de l’équipe première. Est-il besoin de rappeler que c’est l’Academia sportinguiste qui a sorti deux des trois Ballon d’Or lusitaniens : Figo et Cristiano Ronaldo ? De Carvalho en est convaincu : "Nous avons d’autres Cristiano Ronaldo à venir." Par tradition et surtout par nécessité économique, le leader des Vert-et-Blanc a rompu avec la politique dépensière et recruteuse de son prédécesseur, Godinho Lopes. Mais former coûte cher et il s’inquiète : "Le Sporting dépense autour de 9 millions par an pour sa formation. L’intervention des agents rend sa valeur exagérée." Le très médiatique cas Bruma et la fuite d’autres jeunes talents menace le travail de ces centres. La question sur la protection des jeunes revient. Cette inflation constatée par BdC s’explique aussi par le lancement des équipes B.
portugais equipes B
Les équipes B
En signe de bonne volonté, les meilleurs clubs portugais ont investi la saison dernière dans une équipe B. Intégrée dans une D2 élargie à 22 clubs, ces formations ont pour objectif de valoriser la formation. Seuls trois joueurs âgés de plus de 23 ans sont autorisés sur la feuille de match où au moins dix joueurs formés localement - ayant joué au moins trois saisons au Portugal entre 15 et 21 ans - doivent figurer. Une avancée qui suppose pas mal de dépenses. Les clubs doivent multiplier par deux (voire plus vu le nombre de rencontres à disputer en D2) leurs frais logistiques. Mais les "Grandes" se sont pris au jeu. Une grande majorité de Portugais y brillent. Les B de Porto et du Benfica figurent en deuxième et troisième place. Mais à mi-saison, rares sont les réservistes ayant été employés par l’équipe fanion. Dur de rivaliser avec des éléments plus expérimentés et plus coûteux qu’il convient d’amortir et de valoriser pour mieux vendre.
portugal U19
Concurrence étrangère chez les jeunes
Il y a un peu plus de cinq ans, la très sérieuse agence de presse Lusa publiait une info qui allait grandement contrarier les instances du foot portugais : "Il y a de plus en plus de joueurs étrangers dans la formation portugaise." En 2009-2010, le nombre de ces "immigrés" a atteint un record dans les équipes U19 des trois "Gigantes". Mais la politique est passée par là… Fin 2011, le gouvernement met en place un groupe de travail afin "d’analyser la défense du joueur national." Les juristes vont vite calmer ces envies. Impossible de revenir sur la règlementation européenne ni sur le statut particulier des Brésiliens au Portugal. Hasard ou pas, les dernières générations comptent beaucoup moins d’allochtones. Les clubs ont déjà trouvé le moyen de contourner une éventuelle interdiction ou limite de jeunes venus d’ailleurs : ce sont eux qui expatrient leur savoir-faire. Depuis quelque temps, de nombreuses académies estampillées Porto, Benfica et Sporting (mais aussi Braga en Afrique et Maritimo au Japon) ont été inaugurées dans le monde. Sans compter les protocoles signés avec des formations étrangères. Il y a les anciennes colonies (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Macao, Cap-Vert…) mais pas que : Inde, Afrique du Sud, Gabon, Colombie, Belgique, Brésil, Chine, pays du Golfe, France, Suède, Serbie… Ils sont partout. En 2011, les Dragons avaient carrément pour ambition de monter un centre ultra-moderne à Pará Minas, au Brésil. Un bijou à 44 millions d’euros cofinancé par la banque MG mais qui tarde à avancer. Qu’il voie le jour ou non, ce projet ne saurait cacher un mal profond. Le foot portugais manque de centres de formation. Braga attend son Academia, Estoril envisage la sienne et les petits clubs comme Arouca ou Olhanense – qui n’ont pas aligné un seul joueur formé au club – n’ont pas les outils pour s'appuyer sur la formation.
Générations perdues ?
Pas la peine de remonter à la "Génération Dorée" championne du monde juniors 1989 et 1991. Autre temps, autres règlementations. Regardons plutôt ce que sont devenus les finalistes du Mondial des moins de 20 ans de 2011. Les deux héros Mika et Nélson Oliveira n’ont pu percer en équipe première du Benfica. Le gardien végète en équipe B, pendant que le buteur cogite à Rennes. Des 14 joueurs ayant disputé la finale face au Brésil (2-3 a.p.), un seul évolue aujourd’hui avec l’équipe première d’un club majeur portugais : Cédric avec… le Sporting. Treize d’entre eux ont pourtant été ou sont devenus joueurs de l’incontournable trio. De l’Euro U17 remporté en 2003 - dernier titre majeur remporté en jeunes par la Seleção -, seuls Miguel Veloso, Paulo Machado, João Moutinho, Vieirinha et Hélder Barbosa ont "survécu" chez les A. Pas autant chez les grands clubs portugais… Du coup, de plus en plus de nationaux tentent leur chance ailleurs. Il y a un an, lorsque le syndicat des joueurs portugais (SJPF) s’inquiétait de ces chiffres, Jesus répondait : "Nous sommes un pays d’émigrés, arrêtez vos histoires." "Le joueur portugais va continuer de partir pour gagner trois ou quatre fois plus", continuait-il. Pas sûr qu’à Chypre ou en Roumanie, les joueurs portugais soient mieux payés qu’au Benfica, FC Porto ou Sporting…
A quand le "made in Portugal" ?
Le président benfiquiste Luis Filipe Vieira l’a encore rappelé récemment : "Je travaille pour réaliser le rêve d’un Benfica made in Benfica." Il assure qu’"en 2020 plus de 60% ou 70% des joueurs du Benfica seront formés à la maison." Les socios vont compter les jours et les joueurs. En 2006, son plus grand rival, le FC Porto lançait le projet Visão 611 qui visait à en faire "le meilleur club formateur" du pays. Un plan établi sur cinq ans (le 6 pour 2006 et le 11 pour 2011), fondé notamment sur le savoir-faire néerlandais. Aucune des jeunes pousses concernées ne s’est trouvée une place chez les Dragons. Très peu évoluent aujourd’hui dans l’élite. L’équipe B semble toutefois avoir pris le relais. A Porto, on milite pour trouver des solutions. Le vice-président de Penafiel promettait il y a un peu plus d’un an une équipe "100% portugaise". Avec un seul joueur étranger (Mbala, RDC), il s’en approche. Et son équipe est cinquième de D2. Le district de foot de Porto est allé plus loin encore en votant une circulaire limitant le nombre de joueurs de plus de 35 ans à trois par match sénior, afin de "donner des opportunités aux plus jeunes". Et c’est aussi à Porto que Monaco a inauguré, en octobre dernier, l’AS Monaco Soccer School, une école de foot découlant d’un partenariat signé avec Salgueiros. La preuve que le vivier portugais n’est pas mort.
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