Montanier joue pour gagner

PHILIPPE MONTANIER, dix ans après son passage à la Real Sociedad, sentez-vous encore l'héritage de Raynald Denoueix ?
P.M. : Totalement. Il a marqué les esprits. Et si je suis là aujourd'hui, c'est en grande partie parce qu'il a laissé une bonne image de la méthode française. Ma philosophie est la même que celle de Raynald. Comme lui, je cherche à développer un football attrayant, basé sur le jeu au sol. Mais on n'est pas exactement dans le même contexte. En 2002-2003, Raynald avait une très grosse équipe, composée de Xabi Alonso, Darko Kovacevic, Valeri Karpin... Ce n'est pas un hasard si la Real a terminé deuxième cette année-là, juste derrière le Real Madrid. Moi, j'ai une équipe en construction.

Vous avez dû tout casser ?
P.M. : Quand je suis arrivé, j'ai dû changer pas mal de choses. J'ai essayé d'importer un jeu plus posé, moins direct. J'ai changé de système (la Real est passé du 4-4-2 au 4-3-3), bouleversé la méthode de préparation. L'idée, c'est que pour gagner durablement, il faut une qualité de jeu constante. Aujourd'hui, on ne peut plus gagner sans jouer. Avec mon adjoint, on disait déjà il y a dix ans que ce serait ça le football du futur. Le Barça et l'Espagne ont imposé cette idée. Tant mieux. Ça veut dire que le football a évolué. Qu'on n'est plus dans une logique d'être avant tout costauds derrière.

Beaucoup d'entraîneurs, y compris en France, tiennent aujourd'hui ce discours. Ils semblent moins frileux. Vous y voyez l'influence du Barça ? 
P.M. : Forcément. Depuis quelques saisons, c'est ce football-là qui gagne. Ce qui m'impressionne chez le Barça, c'est la capacité de ses individualités, extraordinaires, à se mettre au service du collectif. Ça vient de la culture du club, mais aussi du fait que les joueurs ont grandi ensemble. Ils ont été formés ensemble et se connaissent par cœur. Pour moi, c'est une voie à suivre. Evidemment, on n'atteindra jamais le niveau du Barça. Mais on peut s'en inspirer, à notre échelle.

L'hégémonie du Barça et du Real est-elle une bonne chose pour la Liga ?
P.M. : Mais même en Coupe d'Europe, ils sont capables de coller des raclées à n'importe qui. Regardez comment Manchester United a pris une leçon face au Barça, en finale de la Ligue des Champions. Manchester United, quand même !

Dans ce cas, vous comprenez qu'on considère la Liga comme un championnat à deux vitesses ?
P.M. : Barcelone et Madrid sont deux monstres, c'est sûr. Mais ils faussent un peu l'image qu'on a de la Liga. Elle est beaucoup plus homogène qu'on le dit. Avant de venir, je la voyais comme un championnat très technique, sûrement le plus technique d'Europe. Ça se confirme. Il y a énormément de qualité, même dans les équipes un peu moins huppées.

Mais le football espagnol est très endetté et repose sur un modèle économique fragile...
P.M. : Vous avez raison. Certains vivent clairement au-dessus de leurs moyens. Mais ils auraient tort de se priver : pour l'instant, on les laisse faire. Nous, on est dans une toute autre logique.

Laquelle ?
P.M. : A la Real Sociedad, on ne bâtit pas une équipe à coups de millions. De toute façon, on n'en a pas les moyens. Et le club ne cherche pas ça. La Real s'appuie beaucoup sur les joueurs issus du Pays basque. Ici, il y a un vrai sentiment d'appartenance à un club, à une région. Les joueurs sont très attachés à leurs racines. Ils veulent grandir ici, et pour un entraîneur, ça facilite forcément le travail. J'ai été recruté pour ça. Pour s'appuyer sur le vivier régional, pour favoriser l'éclosion des jeunes du cru.