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Quand le foot français se "portuguise" : les raisons d'un phénomène de mode

Nicolas Vilas

Mis à jour 03/10/2015 à 11:05 GMT+2

Cette saison, la Ligue 1 et la Ligue 2 comptent un nombre record de joueurs portugais en leur sein. Voilà que le foot français se la joue portugaise. Et inversement. Cela au moment où la France passe devant le Portugal à l’indice UEFA. Décryptage d’une tendance qui n’a peut-être rien d’une coïncidence…

Leonardo Jardim à l'entraînement avec ses joueurs de l'AS Monaco

Crédit: AFP

Les clubs français n'ont pas loupé l’occasion. Dès la première journée européenne, ils ont repris la cinquième place de l’indice UEFA aux Portugais. Sans surprise, le Big 5 s’apprête à redevenir celui des plus grosses puissances économiques. Cette performance hexagonale s'écrit au moment où ses championnats comptent un nombre inédit de joueurs portugais. Une douzaine en Ligue 1 et une dizaine en Ligue 2. L’élite dépasse les chiffres de 2002 et 2003 (9). Une tendance qui a un sens.
Le foot français n’a pas une immense tradition de footballeurs portugais. L’histoire de ces derniers a longtemps été traumatisante. Les 18 millions de francs déboursés en 1984 pour Chalana font partie de la légende girondine. Un record d’achat dans la D1 d'alors pour une star trop souvent blessée. Quelques années plus tôt, le PSG battait le sien avec João Alves. L’homme aux gants noirs n’avait pas été plus épargné. Son héritier tout aussi malheureux s’appellera Hugo Leal. Depuis, Pauleta a balayé tout ça. Mais il n’est pas le seul…

La Liga, un label reconnu

La saison qui vient de débuter (et qui est donc encore loin d’être terminée niveau transferts) affiche aussi un volume de footballeurs émanant du Portugal jamais atteint en Ligue 1. Huit joueurs (toutes nationalités confondues) viennent d’atterrir en L1 et six en L2, pas loin d’égaler le record de 2013-2014 (peut-être cet hiver ?). Les "non-Portugais" Seri, Quintero, Goicoechea ou Wallyson viennent de troquer la Liga pour la Ligue 1. Au milieu des années 2000, une lusophilie avait touché la France du football. Les performances portugaises en Coupes d’Europe (le FC Porto vainqueur de la C3 en 2003 et de la C1 en 2004), le bel Euro organisé par le Portugal en 2004 - dont il sera finaliste - et la bonne pub offerte par un certain Pauleta à Bordeaux, puis au PSG, sans oublier les Ballons d’Or de CR7, ont certainement flingué certains préjugés.
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Pedro Pauleta (PSG)

Crédit: Eurosport

Sur les cinq dernières saisons, Nice a débauché quatre éléments au Portugal. Yannick Djaló aurait même pu (dû ?) faire gonfler ce chiffre. Un penchant que Julien Fournier, DG des Aiglons, justifie : "Les Portugais ont un temps d’avance en termes de recrutement. Le Portugal compte de nombreux joueurs qui possèdent des caractéristiques techniques que nous recherchons." Au cours de la même période, seul son voisin, Monaco (8), fait plus. Voilà trois mercatos de suite que le club de la Principauté recrute au Portugal.
Monaco a donné des idées
Depuis cet été, Monaco est devenu avec onze joueurs le club de L1 comptant le plus de Portugais dans son histoire. Il devance ainsi le PSG (10). A elle seule, l’ASM englobe sept des douze Portugais de la L1 2015-2016. Le succès (sportif et économique) de la bande à Jardim et Campos a inspiré certains de ses concurrents. Révélé au FC Porto avant de rejoindre City, Mangala envoie : "Le travail réalisé par l’AS Monaco a donné des idées à d’autres clubs français. Monaco a donné plus de visibilité aux joueurs portugais et a réalisé de jolis coups, comme Bernardo Silva. Ils se sont vite adaptés et ça a inspiré d’autres clubs."
En L2, le FC Metz s’est mis à l’heure portugaise. Orchestré par nouveau directeur sportif portugais, Carlos Freitas, les Grenats en sont à cinq arrivées du Portugal (et quatre Portugais). Le Red Star, qui a confié son équipe à Rui Almeida, a engagé deux de ses compatriotes. Créteil a longtemps été LE point de chute de nombreux "lusos". Lorsqu’en 2002, l’USC a apposé Lusitanos à son nom - suite à la fausse fusion avec les Lusitanos de Saint-Maur -, elle a tenté d’allier les mots aux actes. Une dizaine de joueurs a débarqué du Portugal. Bientôt, un DG lusophone (José Ferreira) les rejoindra. L’ancien dirigeant de Laval avait déjà réalisé quelques coups entre la Mayenne et son pays d’origine. La confusion du projet cristolien et les faits-divers auxquels le club a été mêlé ces dernières années n’ont toutefois pas aidé à valoriser l’organisation et les joueurs issus du Portugal.

Une formation maintenant reconnue

Pour Hugo Leal, si les clubs français se mettent aux Portugais, "cela prouve que les joueurs ont du talent et une formation maintenant reconnue." L’homme qui avait coûté près de 10 millions d’euros au PSG en 2001 s’occupe aujourd’hui de la formation à Estoril. Et il rappelle les dernières belles prestations des jeunes de la Seleção, finalistes de la Coupe du monde U20 2011 ou de l’Euro Espoirs 2015. Sporting, Benfica et Porto sont les principaux pourvoyeurs de ces catégories. Et logiquement, les principaux émetteurs portugais vers la France. Sur les dix dernières années, les Aigles et les Dragons ont "envoyé" 13 joueurs chacun vers la L1. Viennent ensuite les Lions (6). Rien d’étonnant.
Les trois géants restent à ce jour (et en attendant Braga) les seuls clubs de leur pays à posséder un centre de formation. Et un label (re)connu. Car Hugo Leal va plus loin : "Les Portugais ont une volonté de se sublimer. Une capacité d’adaptation intéressante, une facilité à apprendre les langues, à s’accoutumer." Passé par Braga entre 2012 et 2015, le Français Vincent Sasso attire l’attention vers "cette nouvelle génération d’entraîneurs et de joueurs qui est super talentueuse au Portugal." "Les joueurs portugais et du championnat portugais sont un peu à la mode, comme les coachs", poursuit le défenseur dirigé à Sheffield Wednesday par Carlos Carvalhal.
A noter que parmi ces Lusitaniens évoluant en France, certains y ont été formés. La question des binationaux n’a jamais été aussi centrale. Le 14 novembre 2014, face à l’Arménie, Raphaël Guerreiro est devenu le premier joueur formé en France à jouer pour les A portugais. Anthony Lopes suivra quelques jours plus tard.
Le joueur portugais est bon marché
Pour expliquer ce penchant lusophile, "il faut aussi prendre en compte la réalité économique, poursuit Hugo Leal. Le joueur portugais est bon marché, moins cher si on le compare à ceux d’autres championnats." Le dirigeant niçois, Julien Fournier, confirme : "Au-delà de l’aspect technique, l’autre élément, c’est que financièrement, c’est un championnat qui est encore accessible. Même si avec certaines grosses machines comme le FC Porto ou le Sporting, ça reste plus compliqué. On arrive à réaliser quelques coups y compris avec eux. Le but pour nous serait de détecter ces joueurs avant qu’ils signent dans de gros clubs." Au-delà des prétentions économiques des joueurs installés au Portugal, les clubs français peuvent profiter du climat de crise dans lequel bon nombre d’écuries portugaises sont plongées. Crise bancaire, quête de sponsors (Porto, Sporting ou Braga n’ont toujours pas trouvé de partenaire-maillot), droits télé individualisés… La conjoncture est dure et ça perdure.
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L'équipe de Porto sans sponsor maillot avant son match contre le Real Madrid en Ligue des champions

Crédit: AFP

La connexion entre les marchés français et portugais a été facilitée par certains "intermédiaires". Le boss de la Gestifute, Jorge Mendes, son principal concurrent au Portugal, Carlos Gonçalves (Pro Eleven), Paulo Tavares ou Nélson Almeida (International Foot) ont multiplié les voyages entre les deux pays cet été. De plus en plus de sociétés françaises en conseil et management sportif, comme Essentially France, s’appuient sur des collaborateurs lusophones (Patrick Esteves). Les relais de ces derniers vont souvent bien plus au-delà de la péninsule ibérique. Et puis il y a la maintenant célèbre Doyen Sports. La société siégeant à Malte et dirigée par le Portugais Nélio Lucas a mis un pied en France. A Marseille, DS est lié au replacement de Sougou à Sheffield Wednesday, à la vente record d’Imbula au FC Porto ou aux arrivées de Rolando et de Michel.

Le Portugal se métamorphose aussi

La TPO qui était l’une des activités de Doyen avant son bannissement par la FIFA n’est d’ailleurs pas condamné par l’ensemble des dirigeants français. "La TPO est un système qui est légal dans certains pays, rappelle Julien Fournier. Ce n’est pas le cas en France. A Nice, nous ne cherchons même pas à flirter avec la ligne jaune. Je traite de club à club et que de club à club. Il est arrivé dans certaines négociations que des tierces personnes soient conviées, mais nous avons refusé. Mais plutôt que de la diaboliser, il faut savoir de quoi on parle. Si la TPO a une influence sur l’avenir d’un joueur, si elle correspond à son avilissement, tout le monde sera contre. Mais il ne faut pas être dans l’excès. La TPO, ce n’est pas que ça. C’est aussi une source, une aide de financement pour un club, autre qu’une banque. Un partenaire financier qui peut, en plus, connaitre les rouages, les pratiques, les spécificités du monde du foot."
Visiblement, le foot français s’intéresse à ce que font ses voisins. Y compris en matière de business. En attendant que la Commission européenne ponde une décision sur la question, les clubs portugais s’adaptent. A défaut de jouir des mêmes droits télé qu’en France, de trouver des sponsors et des investisseurs solides, ils continuent de vendre leurs actifs pour (sur)vivre. Porto a battu cet été un record d’achat sec avec Imbula (plus de 20 millions d’euros) et mise maintenant sur des joueurs confirmés aux gros salaires (Casillas, Maxi). Le Benfica se met à la formation. Le Sporting a mis le pactole pour attirer Jesus (jusqu’à 6 millions d’euros annuels) et poursuit son redressement économique. Et voilà que certains coachs comme Jesus ou Vitória dévalorisent la C3. Parce que "la priorité est le championnat". C’est pourtant l’Europe qui reste leur plus belle vitrine. Le meilleur moyen de (se) vendre. Finalement, le Portugal se gallicise autant que la France se lusophilise. Et l’indice qui le traduit le mieux est peut-être celui de l’UEFA.
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Fabio Coentrao et Leonardo Jardim en conférence de presse avant Anderlecht-Monaco

Crédit: Eurosport

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