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Hatem Ben Arfa, la cigale contre les fourmis

Thibaud Leplat

Mis à jour 03/10/2016 à 19:04 GMT+2

On pensait l’affaire réglée depuis longtemps mais il était écrit quelque part que l’histoire ne s’arrêterait jamais pour lui. C’est toujours la même fable qu’on reprend. Celle de cette maudite fourmi venue empoisonner notre mémoire. Qui défendra la cigale contre la fourmi ?

Hatem Ben Arfa avec le PSG

Crédit: Panoramic

Quel est le péché d’Hatem Ben Arfa ? Revenons au jour de son arrivée officielle à Paris. On avait senti le vertige poindre sous ses pieds. Hatem arrivait du "paradis", c'est-à-dire du soleil de Nice. Et, après avoir bercé les spectateurs fidèles de contrôles orientés, de feintes de corps et de buts d’une beauté à s’en arracher les yeux, il semblait enfin avoir pris en main les rênes de sa destinée chaotique. Il avait choisi pour son avenir le Paris-Saint-Germain : "Il y a un an, j’étais au chômage, rappelait-il. Aujourd’hui, je me retrouve dans un des meilleurs clubs du monde. Je savoure. C’est une récompense après ce que j’ai vécu. Mais la route est encore longue".
Dans les journaux de l’époque, on se congratula aussitôt devant tant de bonnes intentions. Hatem avait "mûri" se félicitait-on (comprendre "changé"). Et pour cause, le gamin n’en était plus un. Il avait connu les enfers. Le fond des abîmes une fois touché, notre héros avait su prendre résolument l’ascenseur pour la surface dans l’autre sens et reprendre sa place dans le droit chemin. Après les années d’errance, le fils bien-aimé faisait amende honorable. Promettant de travailler (et détournant au passage une offre enthousiaste de Sampaoli et Lillo à Séville) il nous revenait le coeur léger. "Je retourne à la maison. Je suis né et j’ai grandi ici". La rédemption d’Hatem était en marche. Les Parisiens étaient aux anges.
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Emery et Ben Arfa

Crédit: AFP

Le silence de la cigale

L’idée de "rédemption" par le travail est l’un des ressorts dramaturgiques les plus féconds du cinéma (combien de Rocky, combien de Gladiator, combien de Officier et Gentleman ?), il est aussi devenu un redoutable outil du pharisianisme footballistique, cette façon qu’on a de se prendre soi-même en exemple et de dresser l’éloge de la fourmi toujours au détriment de la cigale. Expliquons-nous. Dire qu’Hatem avait changé - quand il n’avait fait rien d’autre (pour la première fois) qu’une saison complète auprès d’un entraîneur (Puel) partageant la même idée de football que lui (qualité, possession, beau jeu) - c’était perfidement nous mettre en garde contre nos errances d’antan et justifier par ce même biais tous les dispositifs de vigilance censés prévenir l’inévitable récidive d’une cigale en perpétuel sursis. Le dressage était à l’œuvre. Rendez-vous au troisième sous-sol de la fourmilière.
A ce titre que faut-il penser de cette vidéo du CFC (avec incrustations façon caméra de surveillance) montrant Hatem faisant des pompes de manière originale ? Les faisait-il avec dilettantisme ou parcimonie semble-t-elle interroger ? Quelles étaient les consignes du préparateur au moment où ces images ont été prises ? Peu leur importaient aux formicidés. Rien ne servait à vrai de dire de légender cette séquence tant leur idée sur la question était faite depuis longtemps : Hatem était un élève brillant mais qui, faute d’obstination, n’avait pas obtenu les résultats que les autres insectes attendaient de lui.
On le sait depuis qu’il a 12 ans. Il avait "des capacités" mais son "comportement" (en football on dit "sonimplication" sans qu’on comprenne vraiment de quoi il s’agit) frôlait l’insolence. Quand les autres faisaient mine d’être tristes, Hatem souriait. Quand les autres invoquaient le sacrifice et la dalle de points, Hatem chantait. On nous avait appris à l’école que quand la bise viendrait, la fourmi finirait par se moquer de cette cigale qui avait passé le temps des moissons à chanter. On nous avait appris à aimer les laboureurs, à nous méfier des poètes. Maudite fourmi qui nous empoisonne encore.

La cigale régale

Voilà pourquoi l’idée de rédemption est si nécessaire pour nos experts en entomologie sportive (combien de "nouvelles vies", combien de "résurrection" dans nos gazettes ?). Ces hommes à la morale bien instituée préfèreront toujours louer les qualités du loyal, de l’appliqué, du repenti. Et, au lieu de célébrer la beauté d’un geste ou la grandeur d’une œuvre faite de feintes, d’esquives et de sang-froid dans les surfaces (revoyez ses buts à Nice mais surtout ses contrôles et ses passes), ils ne manqueront jamais de répertorier avec précision la moindre des errances de l’insecte récalcitrant à l’heure de le faire plonger en profondeur dans les espaces vides ou de le jeter dans tous les duels de rond central.
Voilà comme on avait condamné un génie du geste, un styliste de la pelouse, à "travailler comme les autres" c'est-à-dire à défendre trop bas, à plonger seul dans d’improbables espaces, à courir trop fort et pour rien. Hatem n’est pas une fourmi qu’on écrase. Son pied gauche est fait pour les surfaces minuscules et les forêts de jambes. Hatem est un architecte de la densité, un fabricant d’autoroutes devant lui, un constructeur de petits et de grands ponts derrière. Oui, Hatem est bien Messi mais pas le Messi du Barça. Un Messi qui aurait grandi sans Xavi, sans Iniesta, sans Guardiola. Le Messi de l’Argentine, en somme.
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Hatem Ben Arfa est entré en jeu contre Bordeaux

Crédit: AFP

Quand la bise reviendra

Se féliciter que Ben Arfa devienne une fourmi méritante et se fonde ainsi dans un hypothétique "collectif" c’est ne plus rien comprendre à la poésie du football que porte en eux ce genre de joueurs. L’ignorant préfèrera toujours, au nom d’une drôle de conception de la justice, prôner une égalité bien confortable pour celui qui la décrète. Pourtant c’est l’inverse qui est admirable : traiter de manière différente des individus inégaux. Un talent de cette trempe n’est pas soluble dans le collectif. La grandeur d’un grand leader est de le reconnaître et de le faire fructifier plutôt que de tâcher obstinément de le soumettre.
Hatem n’a donc rien du repenti mais tout du rescapé. "Ceux qui arrivent au plus haut niveau sont les rescapés d’une sélection féroce, écrit I.Queval dans "S’accomplir ou se dépasser" (…) Aussi la vie de champion se résume-t-elle souvent à un combat contre soi, la douleur, l’échec, la blessure, le découragement, le doute, et contre les autres, dans le contexte compétitif".
Les poètes du calibre d’Hatem Ben Arfa sont les survivants d’un système d’une incroyable brutalité envers les esthètes. "Que faisiez-vous au temps chaud ?", lui répète-t-on toujours. Que faisait-il ? En juin dernier Hatem n’était pas à l’Euro avec les autres fourmis mais réalisait le rêve de tout artiste : choisir librement son club. Il n’aura donc personne à brocarder, lui, quand la bise reviendra, "ne vous déplaise". La Cigale est libre. C’est là son moindre défaut.
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