Ligue 1 I Nice - OM I Damien Ott, ancien coach de Jonathan Clauss : "Clauss ? Je dirais qu'il peut être proche puis distant avec vous"

Et si la tension actuelle entre Nice et Jonathan Clauss était une illustration de plus de la personnalité et du caractère insaisissables du latéral de 33 ans ? Il faut écouter Damien Ott, son ancien entraîneur à Avranches (en National, en 2016-17), aux sentiments assez tourmentés et à l'émotion palpable au moment d'évoquer les souvenirs d'un joueur à la fois génial et imprévisible.

Jonathan Clauss, le latéral droit de l'OGC Nice

Crédit: Getty Images

Si on vous demande de résumer Jonathan Clauss en un seul mot...
Damien Ott : Je dirais "instable". Parfois, il est proche de vous, parfois il est distant. C'est à la fois sa force et sa faiblesse. Je ne le connais pas suffisamment, je ne veux absolument pas donner des leçons. C'est un garçon avec un talent fou, mais qui vit sa vie.
C'est un instinctif ?
D.O. : Oui, instinctif. Quand il est en situation de confiance, il a un potentiel énorme et il est capable de l'exprimer. Mais, ensuite, il peut parfois se perdre... C'est difficile pour moi, parce que je n'ai pas envie de mal en parler. Mais ce côté instinctif fait qu'il peut aussi vous échapper.
Quel exemple de votre époque commune à Avranches peut vous revenir immédiatement ?
D.O. : C'est un garçon qui, parfois, n'arrivait pas à l'heure, donc il vous échappait dans la rigueur, dans les codes, dans cet esprit collectif. Mais, ça, c'était tout au début d'Avranches, lors du premier ou deuxième match. Il est en retard et il perd sa place de titulaire, pour la récupérer très rapidement ensuite. Car, derrière, il s'est fondu totalement dans le moule. Il a été capable d'être lucide et de respecter les normes. L'illustration d'un potentiel immense, mais qui, à l'époque, n'avait pas mis un peu d'ordre dans ses pensées.
Qui vous parle en premier de Jonathan Clauss ?
D.O. : C'est un copain alsacien. Il me dit : "Tiens, j'ai vu une pépite jouer à Raon-l'Etape." Je lui réponds : "Ouais, super, il joue quel poste ?" "Latéral droit." Je n'avais pas besoin à ce poste, l'effectif était déjà constitué, on avait entamé la préparation d'avant-saison... Mon ami insiste : "Essaye-le quand même..." Je lui dis : "Allez, pour toi, je le fais. Et parce que c'est un Alsacien." C'est parti de là. Sinon, jamais je ne l'aurais pris. Il me l'amène. Et au premier entraînement, je vois tout de suite qu'il a quelque chose de différent. C'était un jeune très frêle, pas dans les codes du football de haut niveau. Fantasque, c'est trop exagéré. Dans la lune, aussi. Mais un garçon qui ne se pose pas de question : le mec arrivait, ça marchait, tant mieux, si ça ne marchait pas, tant pis. Il était sans pression.
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Au quotidien, comment appréhendez-vous ce profil particulier ?
D.O. : Je suis conscient qu'il est en rupture, qu'il a perdu du plaisir dans le football. Je voyais bien, plus en tant qu'éducateur qu'en tant que coach, qu'il fallait l'aider à franchir les paliers, à rendre les choses plus rigoureuses, à respecter un collectif. Mon rôle n'était pas dans le sportif, mais dans l'éducation d'un savoir-être, plus que dans le savoir-faire. Le savoir-faire, il l'avait. Je ne lui ai pas appris à jouer au football. Je pense qu'il a retrouvé la même chose avec Franck Haise à Lens, par exemple, même chose en Allemagne, à Bielefeld, avec cette rigueur allemande. Il avait besoin de se sentir guidé. Mais dès qu'il l'est, son talent est tellement immense... En plus, il devait toucher un salaire de misère. Ce n'était rien du tout, mais il a accepté de venir quand même. Il faudrait lui demander, mais je pense vraiment qu'il aurait arrêté le football s'il n'était pas venu à Avranches. Je n'ai pas senti un garçon extrêmement motivé par la suite d'une carrière. D'ailleurs, je vous avoue que je n'aurais pas parié une seule seconde qu'il réussirait au haut niveau. Qu'il puisse réussir, ça, c'est une chose, mais au niveau amateur, jusqu'en Ligue 2 peut-être. Mais finir en Ligue 1 et en équipe de France : impossible !
Quel salaire pouvait-il toucher à Avranches ?
D.O. : Ce n'était même pas le SMIC. Il devait vivre de pas grand-chose. Peut-être 1200, 1300 euros. Il était au plus bas de l'échelle de la rémunération d'un club comme Avranches. Donc déjà que ça ne payait pas beaucoup. C'était une misère... Je me souviens de nos jeux en fin d'entraînement, où le perdant devait aller acheter le café pour le reste du groupe. Vous vous rendez compte : Jonathan Clauss allait acheter du café dans une supérette d'Avranches, alors qu'il avait, entre guillemets, tout juste les moyens... C'est fou. Mais je reviens toujours à cette notion d'identité : je me suis attaché à lui parce que c'était un Alsacien. Peut-être que c'est ça qui a développé mon envie de l'aider. Mais, ensuite, j'adorais parce qu'il était très généreux dans les entraînements. Cela lui a permis de gagner sa place de titulaire. Ensuite, il a commencé à faire des matchs hors normes, et notamment un, dont tout le monde se souvient : le 32e de finale de Coupe de France contre Laval où il marque un but somptueux, quand il dribble tout le monde (NDLR : 6 janvier 2017). Et là, tu te dis : "Wow, il se passe quelque chose."
Sentait-il de son côté que vous aviez envie de l'aider ?
D.O. : Je pense, parce qu'il m'écoutait. Après, dans la saison, il y a eu zéro problème, de beaux échanges. Je me rappelle par exemple rentrer ensemble en Alsace pour Noël, je le ramenais chez lui. On était assez proches pour, ensuite, et c'est là que ça devient un peu ambigu, finalement se distendre et ne plus se parler à la fin. Il est parti dans son monde, et moi dans le mien. Il n'y a plus de reconnaissance, c'est incroyable. C'est un trait de son caractère qui fait qu'il passe vite à autre chose. Mais c'est aussi une force.
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A vous entendre, la fin d'aventure à Avranches se passe mal ?
D.O. : Elle ne se passe pas très bien. J'aurais aimé le garder. Lui est parti à QRM (Ligue 2) derrière, ce qui était logique. Donc moi aussi je n'étais pas très clair car c'était par simple égoïsme (il sourit). Mais j'ai fait la part des choses, lui peut-être un peu moins, parce qu'on s'est vraiment perdus de vue. On s'est retrouvé quatre ou cinq ans plus tard, lors d'un match à Lens, où j'étais entraîneur-adjoint de Troyes et où on a eu plaisir à se retrouver, à normaliser les choses parce que lui aussi avait peut-être mal vécu cette fin à Avranches. Il m'avait d'ailleurs offert son maillot très gentiment. Mais il a fallu du temps.
Aviez-vous osé lui faire comprendre qu'il aurait pu y avoir davantage de reconnaissance de sa part ?
D.O. : Non, car son histoire n'appartient qu'à lui. Je ne voulais surtout pas qu'il croit que je récupère sa notoriété pour me faire de la publicité et me mettre en valeur. Mais, là, c'est de l'histoire ancienne, donc je peux en parler... Donc, non, je ne lui en ai jamais parlé, et je pense, d'ailleurs, qu'il s'en fout.
Question anecdote, comme un symbole de cette année passionnée à Avranches, c'est Jonathan Clauss qui vous rase la tête lors de ce fameux soir d'exploit en Coupe face à Laval...
D.O. : J'avais dit, avant le match : "Si vous vous qualifiez, vous avez le droit de me tondre." Jonathan était non seulement un leader technique, mais aussi un vrai leader d'ambiance. Il a un très, très bon fond. Il sait se faire apprécier par le collectif. Donc je me suis laissé tondre par Jonathan. Une période incroyable. Mais la saison que j'ai passée avec lui a été superbe ! C'est simplement la fin qui nous a éloignés et, entre guillemets, nous a séparés. Mais, oui, il n'a plus retenu le fait que, en début de saison, si je ne le prends pas, il est nulle part. Il s'en foutait que je sois Alsacien. Pas moi (il sourit).
Qu'est-ce que sa destinée vous fait dire aujourd'hui ?
D.O. : La dernière fois que je l'ai vu, je lui ai dit : "Il faut que tu écrives un livre sur ta vie, pour bien montrer que tout est possible à partir du moment où on croit en ce qu'on fait." Car c'est une trajectoire irréelle, un conte de fée. Mais le conte de fée, il le mérite, car il a fait les efforts, il avait du talent pour. C'est une bonne leçon pour tous les jeunes footballeurs qui ne doivent pas lâcher leurs rêves, continuer à travailler et croire en eux. La vie est faite de rencontres, d'événements. Et lui, ce sont des événements incroyables. Qu'il vienne à Avranches, c'est impossible. Si je ne connais pas cet ami, il ne vient pas. Ensuite, après QRM, il doit partir en Roumanie, il va finalement en Allemagne de façon improbable. Après, il trouve Lens grâce à l'analyste-vidéo qu'il avait connu à Quevilly-Rouen et qui travaillait depuis à Lens... Que des trucs improbables ! Des phénomènes improbables. Sa vie est improbable. Mais elle marche. C'est fou. Mais la grosse leçon, c'est qu'à chaque opportunité, il était prêt à franchir le pas et il s'est donné les moyens de le faire.
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