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Hafiz Mammadov - RC Lens : Les gueules noires arrosées à l’or noir

Benoît Vittek

Mis à jour 16/05/2014 à 14:28 GMT+2

Hafiz Mammadov, puissant investisseur à la richesse nourrie par le pétrole azerbaïdjanais, a sauvé le Racing club de Lens. Pour mieux mener son véritable projet, il flatte les fantasmes des supporters Sang & Or, qui rêvent d’un PSG du Nord.

Gervais Martel - RC Lens

Crédit: AFP

Avant les grands travaux qui occuperont le stade Bollaert l’an prochain, une première retouche cosmétique retient l’œil affûté. Plutôt que la pelouse ou la légendaire tribune Marek, il faut fixer son regard vers le ciel pour s’en apercevoir. Au-dessus du stade, au côté des drapeaux français et du RC Lens, flottent désormais les couleurs bleu, rouge et vert de l’Azerbaïdjan.
Historiquement entre les mains d’acteurs financiers locaux, le club est devenu l’été dernier la propriété d'un investisseur venu de Bakou, Hafiz Mammadov. Depuis, de nombreuses voix suggèrent que le Racing a vendu son âme au diable. L’étendard du bassin minier aurait cédé au foot-business, vendu à la folie des grandeurs d’un oligarque soviétique.
Proche du pouvoir dans un pays corrompu, Hafiz Mammadov soulève également l’interrogation sur l’origine de ses fonds, mais les services français ne sont pas parvenus à étayer leurs soupçons. En fait, le RC Lens a ouvert ses portes au représentant d’un Etat riche de ses ressources naturelles et décidé à employer le football comme arme diplomatique, à l’instar du Qatar au Paris Saint-Germain.
Le club a permis à certains de sortir de la mine, ceux qui y restaient venaient les encourager et c’est comme ça qu’est née une famille
Si le club et le public parisiens ont bien changé avec leur nouvel actionnaire, le peuple Sang & Or reste tel qu’on le connaît. Prompt à lever le coude. Volontiers potache. Sincère, ouvert et spontané. Et surtout débordant de fierté. Gare à celui qui s’en moquera. Début avril, l’attaquant caennais Mathieu Duhamel en a fait les frais, conspué pour avoir chambré les supporters adverses après une défaite cruelle pour les Lensois en championnat de France de Ligue 2. Une demi-heure plus tôt, dans une fin de match à la tension extrême, l’injure s’effaçait devant la dignité du chant des Corons, opus de Pierre Bachelet.
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Hazif Mammadov au milieu des joueurs de Lens

Crédit: From Official Website

A Lens, l’association entre le Racing et l’histoire minière de la région s’impose à tous, à commencer par ceux qui ont accueilli à bras ouverts un investissement étranger. "Le club a permis à certains de sortir de la mine, ceux qui y restaient venaient les encourager et c’est comme ça qu’est née une famille", explique Dominique Leroux, leader des Cap’tain Siko, une section de supporters née il y a douze ans. "C’est une passion qui se transmet de père en fils, rebondit Daniel Leclercq, dit le Druide, l’entraîneur qui a mené le club à ses plus grands succès à la fin des années 1990. L’esprit du Nord est toujours là."
Pris au débotté quelques instants avant d’assister à une conférence sur l’héritage minier, le président de la région Nord-Pas-de-Calais Daniel Percheron se souvient lui de "la cité 12 de Lens, avec au bout de l’avenue où j’ai grandi un jeune employé des houillères, mon idole, ailier droit de l’équipe de France : Maryan Wisniewski. Ainsi fonctionnait le bassin minier lensois." Ces temps ont changé, bien avant l’arrivée d’Hafiz Mammadov.

A Lens, Mammadov est un sauveur

Grand amateur de football, Daniel Percheron connaît l'histoire du RC Lens sur le bout des doigts. A 71 ans, dont 35 de mandats politiques dans le Nord, il sait aussi l’impact déterminant du club sur la vie, notamment politique, de la région. Et s’il déroule aujourd’hui le tapis rouge à Hafiz Mammadov, il est loin d’être le seul. La France du football s’interroge sur cet obscur investisseur ; les acteurs locaux saluent son intervention essentielle à la survie du club.
"Le Racing s’est retrouvé à deux doigts de déposer le bilan", rappelle Luc Dayan, mandaté en 2012 par le Crédit Agricole Nord pour organiser la revente du club. La banque se retrouve alors actionnaire majoritaire d’un club dont le président historique, Gervais Martel, ne pouvait plus assumer l’endettement. Par l’intermédiaire de Luc Dayan, qui a mené pareille mission avec le FC Nantes en 2007, le CA-Nord opère une restructuration expresse du club et cherche un repreneur qui lui permet de sortir d’une affaire peu juteuse.
Trois candidats se présentent pour reprendre le RC Lens et, à l’été 2013, Hafiz Mammadov remporte l’appel d’offres. Son groupe, Baghlan, reprend 60% des parts du club. A Gervais Martel les 40% restants pour son grand retour aux affaires Sang & Or. Le président déchu a enfin trouvé un investisseur pour relancer le Racing, dont les caisses sont immédiatement renflouées de vingt millions d’euros. "J’ai encore une bonne étoile, elle a brillé au bon moment", peut-il souffler. Baghlan Group assume la part financière du deal ; Gervais Martel en est la caution. "J’ai toujours pensé qu’il était important pour le club malgré les erreurs qu’il a faites, explique Luc Dayan, également ami du président lensois. Pour le Crédit Agricole, l’offre de M. Mammadov était la plus intéressante parce qu’elle permettait une sortie complète du capital."
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Hafiz Mammadov et Gervais Martel à Lens

Crédit: From Official Website

Une fortune personnelle estimée à un milliard d’euros

Dans le football moderne, l’argent est un outil de développement indispensable. Hafiz Mammadov n’est certainement pas aussi riche que les Qataris à la tête du PSG ou Dmitri Rybolovlev, qui a racheté l’AS Monaco, mais sa surface financière a de quoi faire rêver les Lensois – sa fortune personnelle est estimée à un milliard d’euros. Entre deux gorgées de bière bon marché, les supporters assument : "Quand on voit les autres, on se dit pourquoi pas nous !" Le sauveur des Sang & Or se plaît à entretenir les fantasmes. "Le RC Lens sera le plus grand club du monde", proclame-t-il en septembre à l'occasion d'une rare visite dans le Nord-Pas-de-Calais, trois mois après sa prise de contrôle officielle du RC Lens. Le pas marqué par une opération à la hanche, l’homme d’affaires de 49 ans est à Lens comme chez lui : maître des opérations, qu’il dirige avec beaucoup de finesse. Dans un anglais avec un fort accent, il obtient ce qu’il veut, à commencer par une visite privée du Louvre-Lens.
Près d’une saison plus tard, le Racing est encore très loin de régner sur le monde. Il faudrait plus de temps pour en arriver là. Dopée aux fonds russes, l’AS Monaco ne retrouvera les grandes compétitions internationales que la saison prochaine, trois ans après son changement d’actionnaire alors que le club végétait en Ligue 2, comme le RC Lens à l’arrivée des investissements azerbaïdjanais. Et de toute façon, il ne s’agit pas là des véritables ambitions d’Hafiz Mammadov.
L’oligarque n’est pas venu pour le RC Lens ou par goût personnel. Il a investi un peu pour Gervais Martel, avec qui une véritable amitié se serait développée après une rencontre organisée en 2012 par un loueur de yachts sur la Côte d’Azur. Derrière la façade, il est surtout en mission pour son pays. Depuis Bakou, le président Ilham Aliyev (fils du précédent chef d’Etat, NDLR) nourrit ses propres rêves de grandeur.
Transformée par des projets urbains hypermodernes financés à grands coups de pétrodollars, la capitale azerbaïdjanaise veut montrer au monde ses nouveaux atours. En bord de mer Caspienne, on dirait une nouvelle Doha, la capitale du Qatar qui accueillera la Coupe du monde de football en 2022. Bakou n’est pas encore prête à organiser le plus grand événement sportif du monde mais, après l’Eurovision en 2012, elle prépare les Jeux européens de 2015. Le pouvoir azerbaïdjanais analyse le sport comme un outil essentiel de diplomatie, le football tout particulièrement, et demande à ses hommes d’affaires d’incarner cette politique.

Des promesses qui n’engagent personne

Le RC Lens n’est pas le premier investissement footballistique d’Hafiz Mammadov. Il est déjà propriétaire du FC Bakou, sponsor de l’Atlético Madrid (actuel leader du championnat d’Espagne), aurait des billes dans le meilleur club portugais, le FC Porto, et lorgnerait également l’Angleterre. Mais à Lens, il s’est engagé beaucoup plus concrètement en devenant propriétaire du club. L’occasion pour lui de mettre la main sur un formidable outil de formation et de détection des jeunes joueurs : La Gaillette, le centre technique depuis lequel 150 employés ont été préservés et continuent de développer l’expertise lensoise. Derrière le decorum, c’est dans ce domaine que l’arrivée d’Hafiz Mammadov a pour l’instant les effets les plus concrets. Des délégations de jeunes talents azerbaïdjanais viennent régulièrement à La Gaillette découvrir les structures et l’exigence de performance qui constituent le plus haut niveau.
L’argent frais a permis de soulager les finances à l’agonie du club et d’installer un entraîneur d’expérience sur le banc : Antoine Kombouaré. Mais les investissements ne sont pas allés plus loin et le club reste sous la surveillance étroite de la DNCG, le gendarme financier du football. La montée en Ligue 1 a été conquise par un groupe emmené par de nombreux jeunes joueurs issus du centre de formation. Hafiz Mammadov pourrait désormais réouvrir les cordons de la bourse. La perspective semble encore lointaine et même les dirigeants lensois ignorent totalement de quoi sera fait leur été. "Il est capable de mettre 100 millions sur la table mais ce serait une très mauvaise idée, a déclaré devant la presse locale le directeur sportif du Racing, Jocelyn Blanchard. On veut une progression maîtrisée, par étapes."
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FOOTBALL 2014 Lens - Danijel Ljuboja

Crédit: Panoramic

A Monaco, 150 millions d’euros ont été investis sur le marché des transferts dès le retour en Ligue 1. Mais les ambitions de Dmitri Rybolovlev sont plus nettement dessinées que celles d’Hafiz Mammadov. Déjà, Lens craint un éventuel départ de son sauveur, une fois qu’il aura intégré le savoir-faire lensois pour l’exporter en Azerbaïdjan. "Le jour où il aura décidé que Lens ne lui plaît plus, il partira et puis c’est tout", anticipe Dominique Leroux. Le président de section de supporters n’a pour l’instant eu à faire à la puissance azerbaïdjanaise qu’une seule fois : "Il nous a promis de rembourser le déplacement à Monaco (pour un match de Coupe de France, le 26 mars), j’attends toujours."
Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent et comme les oligarques ne sont pas toujours dignes de confiance, les supporters s’en remettent plutôt aux joueurs. Fin du match à Caen, le public continue de chanter dans la défaite. Les joueurs lensois viennent saluer les quelque 2 000 supporters qui ont fait le déplacement pour les soutenir. Il y a là Alphonse Areola, le jeune gardien dont le nom a été scandé en une demi-douzaine d’occasions pendant la rencontre. Moins heureux sur le côté gauche de la défense, Ludovic Baal engage le dialogue avec le leader des ultras, qui veut porter haut la voix de supporters exigeants car extrêmement investis. Le capo libère bientôt la fougue des siens : "On veut la Ligue 1 !On veut la Ligue 1 !", tonne le parcage visiteurs. Grâce à Hafiz Mammadov, ils vont bientôt la retrouver. Pas sûr qu’ils obtiennent beaucoup plus de leur sauveur.
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