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Bruno de Carvalho, un révolutionnaire chez les "vicomtes" du Sporting

Nicolas Vilas

Mis à jour 17/09/2014 à 20:05 GMT+2

De retour en Ligue des champions ce mercredi après cinq ans d’absence, le Sporting poursuit sa renaissance. A sa tête, son jeune président, Bruno de Carvalho, parle autant qu’il fait parler. Portrait du boss des vicomtes d’Alvalade au discours révolutionnaire.

Bruno de Carvalho, le président du Sporting

Crédit: AFP

Ce mercredi, le Sporting retrouve la douce saveur de la Ligue des champions. Maribor sera le lieu des retrouvailles. Après cinq ans d’absence l’autre géant de Lisbonne est de retour sur la grande scène européenne. Mais depuis quelques jours, c’est Bruno de Carvalho qui cause et fait causer. Il fut l’une des révélations du dernier Soccerex. La grande "foire" de l’industrie du foot s’est réunie la semaine dernière à Manchester. Le président du Sporting qui y avait laissé Rojo quelques jours plus tôt, en était revenu avec une jolie valise.
Le transfert de l’Argentin lui avait aussi valu une belle brouille avec le fond d’investissement Doyen Sports. Le Lion a jugé le contrat de ladite société "illégal", leur a rendu leur investissement initial (trois millions d’euros pour 75% de ses droits en 2012) et a empoché le pactole. Doyen menace de porter l’affaire devant les tribunaux. BdC ne lâche pas le barreau : "Les fonds sont des monstres qui doivent être bannis". La pratique est autorisée en péninsule Ibérique. Et courante à Benfica ou Porto. Il assène : "Le monde voit ce qui se passe au Portugal". Le positionnement du patron lisboète dénote et détonne. Un révolté à Alvalade. Presque un comble pour le club fondé en 1906 par le Vicomte qui a donné son nom au stade. Mais qui est donc Bruno Miguel Azevedo Gaspar de Carvalho ?

Le "fou" du Sporting

Lorsqu’il conte sa propre histoire, de Carvalho aime commencer par son premier match à Alvalade. Il avait six ans mais c’est comme si tout débutait là. C’était un derby face au Benfica. A l’issue du duel, il balance à son paternel : "Un jour, je serai président du Sporting". Son grand-père, Eduardo Azevedo, a écrit L’Histoire et la Vie du Sporting. "Une grande fierté", scande son petit-fils. Le vice l’a poussé dans les travées d’Alvalade. Il intègre les ultras de la Juventude Leonina. Sa rencontre avec Claudia, sa femme, vire vite au vert. "Nous nous sommes rencontrés lors de l’anniversaire d’une amie en commun (…) Je me suis présenté et ma première question a été de savoir si elle était sportinguiste. Quand elle m’a dit oui, j’étais certain que ça ne pouvait que coller entre nous", se marre-t-il. BdC est atteint. Il a tous les symptômes de la "verdisse". Lorsque sa fille, Ana Catarina, n’était qu’un bébé, il se posait avec elle devant une lucarne pour lui faire admirer son antre tant aimée : "Près de la fenêtre, il y avait des enceintes. Je lui mettais l’hymne du Sporting. Ça aurait été une déception s’il n’avait pas été sportinguiste…"
Autant d’anecdotes qui lui valent le surnom de "doidinho" (fou, cinglé) du Sporting. Chef d’entreprise dans le domaine de l’immobilier et du BTP, Bruno a longtemps été l’un des principaux activistes de la fondation Aragão Pinto qui développe des actions de solidarité à travers le sport. Né en 1972 au Mozambique, il devient socio du SCP en 1986. Titulaire d’une Licence en gestion et d’un Master en gestion du sport et des organisations sportives, il possède aussi un diplôme d’entraîneur de niveau II. Son militantisme l’a d’abord mené au poste de vice-président de la section de rink-hockey du club. Battu par Godinho Lopes aux élections de 2011 (il pose alors aux côtés de "son" entraîneur : van Basten), il lui succède, deux ans plus tard, au cours d’un scrutin anticipé. Et très vite, il impose son style.

Né dans la politique

Ses talents oratoires et verbaux, BdC les façonnent depuis sa tendre enfance. Sa maman bossait à l’assemblée. "Je fuyais à sa vigilance et je faisais des discours dans l’hémicycle", se souvient-il. Son arrière-grand-oncle n’était autre que Pinheiro Azevedo, un militaire, Premier ministre du Gouvernement de transition du Processus révolutionnaire en cours (PREC), qui a succédé à la révolution du 25 avril 1974. Ce démocrate-chrétien est l’auteur d’une des plus fameuses citations politiques de son pays. Fin 1975, sur le Terreiro do Paço, il livre un discours aux côtés de Sa Carneiro et Mario Soares. Une manif pro-gouvernementale soutenue par la majorité des partis de l’époque. Mais pas par les extrémistes. Des grenades lacrymos explosent. "Ce n’est que la fumée. Le peuple est serein, le peuple est serein", rétorque-t-il.
Bruno s’inspirera de la verve de son ancêtre. Il sera délégué de classe, chef d’entreprise, dirigeant puis président d’un grand club. Omniprésent. Les jours de match, il s’assoit sur le banc. Et son coach doit faire avec. En bon gouverneur, il sait aussi faire plaisir à sa nation. Il a retiré le numéro 12 de toutes les disciplines collectives du Sporting, fait floquer les noms de socios sur le maillot des joueurs, offert la 100 000e carte de socio à Cristiano Ronaldo dont il ne manque jamais de commenter les exploits et les origines sportives. Tout ça, pour le peuple vert.

L’économe

Pour tenter de combler un passif qui dépasse les 400 millions d’euros, Bruno de Carvalho a pris des mesures drastiques. Il a taillé sec dans les dépenses. Finies les photocopies couleurs à outrance,  les joueurs et salariés sont invités à économiser l’eau chaude. BdC a résilié les contrats qu’il jugeait les plus encombrants. Et les joueurs ne sont pas les seuls concernés. Plusieurs salariés ont dû pointer au chômage. Il a ainsi réduit la masse salariale du SCP de 30% en un an. Son plan de restructuration économique a été adoubé par 97% des socios, il y a un peu plus d’un an. Comme annoncé lors de sa campagne, BdC a ordonné un audit sur la gestion de son prédécesseur, Godinho Lopes. Et comme promis, il entend mener Godinho devant les tribunaux. Il réclame explications et réparations sur les coûteux dossiers Izmailov, Jeffren et Rodriguez.
Très rare dans l’histoire de son club, de Carvalho est un président salarié. Il perçoit 5000 euros par mois, depuis octobre 2013. Mais il aime préciser que c’est cinq fois moins que Pinto da Costa à Porto et que c’est surtout là une décision des socios qui l’ont voté en AG. Depuis qu’il est à sa tête, le SCP est (re)devenu bénéficiaire en matière de transferts. Cet été, il a dégagé un surplus de 14 millions d’euros ; le double lors du précédent exercice. Il a multiplié les voyages en Asie ou en Afrique pour tenter d’y dénicher partenaires et investisseurs. Le 1er octobre prochain, les actionnaires sportinguistes seront amenés à se prononcer sur un prêt obligataire de 30 millions d’euros. BdC entend surfer sur ses résultats positifs (au niveau sportif et comptable) en utilisant parfois les mêmes ressorts que certains de ses rivaux qui ne l’ont jamais autant été.

Fabricant de rivalités

"Le football portugais est comme un anus, avec deux fesses qui se font face, l’une disant à l’autre : 'Je suis meilleur que toi !'" Cette tirade demeurera comme l’une des plus célèbres œuvres decarvalhiennes. Le patron du Sporting faisait bien évidemment référence au Benfica et au FC Porto qui ne sont plus que rivaux pour lui mais aussi ennemis. "L’alliance entre Benfica et Porto existe depuis très longtemps", scande-t-il. En plus de dénoncer la "bipolarisation" du futebol, il s’attaque ouvertement aux autres grands. Le Benfica possède une "stratégie pathétique". "Pour quelles raisons KPMG n’a pas été autorisé à faire l’audit des compte du club ?", s’interroge-t-il, avant de tailler les choix de Jesus. Lorsqu’on l’interroge sur Rui Costa, le maestro du SLB devenu administrateur de la SAD de la Luz, BdC réplique : "Il a beaucoup valorisé le Portugal avec son titre de champion du monde". Il parle en fait du cycliste.
Avec Porto, il passe carrément au braquet supérieur. Le Sporting vient d’envoyer les Dragons devant les tribunaux et réclame une partie du transfert de Moutinho vers Monaco. En juillet 2013, de Carvalho et le vice-président des Dragons, Adelino Caldeira, se sont violemment expliqués sur cette affaire avant un match de handball opposant leur club. BdC a alors coupé les ponts. Pinto da Costa en sourit : "Je n’aurais pas l’occasion de le (Bruno de Carvalho) connaitre, puisqu’il a coupé unilatéralement toutes relations avec le FC Porto". Le Lisboète assume. "Nous ne sommes pas en syntonie avec le FC Porto", dit-il lorsqu’il évoque, une fois encore, la question des fonds d’investissements. Doyen Sports est autant un allié du FCP qu’il est devenu un adversaire de BdC. Et dire que la fédé s’en remet à une commission emmenée par les trois grands pour tenter de résoudre la crise au niveau national… Le Lion montre les dents et ne se fait pas que des amis. Y compris chez les plus petits. Après le Maritimo, Estoril ou Santa Clara, depuis samedi dernier, il s’est frité avec le Belenenses. Sa volubilité ne plait pas à tous.
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Bruno de Carvalho lors de la présentation de Marco Silva

Crédit: Panoramic

L’éternel discours sur l’arbitrage

Samedi soir, à peine avait-il signalé la fin du nul entre le Sporting et le Belenenses (1-1) que Cosme Machado était assailli par Bruno de Carvalho. Le Lisboète était furieux contre l’arbitre de Madère. Pour tenter de se distancer au maximum de ses ennemis et de justifier leurs résultats (autant que les défaites de son club), BdC ressort un vieux classique : "C’est la faute des arbitres". Il accuse le FC Porto d’influencer le Conseil de justice de la fédé sur la nomination des officiels. Il souffle dans le Sifflet doré : "Porto compte de nombreuses années avec des pratiques peu recommandables". Le Benfica ? "Il a un nouveau renfort qui s’appelle nominations". Et forcément, "le Sporting est préjudicié", "le club le plus touché des trente dernières années". En 2011, le quotidien Record (pourtant proche d’Alavalde) s’est replongé dans ses archives : "Le Sporting est l’équipe qui a obtenu le plus de penalties au cours de ce siècle" parmi les trois grands, écrivait-il. Mais Bruno de Carvalho n’en démord pas. La saison dernière, il martelait : "Le Sporting n’est pas premier à cause de l’arbitrage". Il poursuit : "Ma fille de dix ans comprend déjà tout ce qui se passe dans le football portugais".
C’est sa façon de dénoncer certaines vieilles habitudes, alliances ou autres arrangements qui gangrènent le futebol. Une volonté de réformisme invariablement portée par un langage victimaire et, au final, peu original. Les méthodes non plus ne sont pas toujours éloignées des pratiques dénoncées. De Carvalho est devenu un acteur de la politisation du foot portugais. En mai dernier, il a dîné avec plusieurs parlementaires sportinguistes. "Le Sporting n’a pas cette tradition", communique le club qui la joue donc comme… ses deux grands concurrents. Mais BdC a tapé encore plus haut, plus fort. Un mois auparavant, il a rencontrait José Barroso, le président de la Commission européenne, afin de lui exposer la nécessité de changements dans son sport concernant les paris en ligne, la protection des jeunes joueurs, l’harmonisation fiscale ou la sécurité dans les stades… Une volonté de changement impossible tant qu’elle ne sera pas acceptée au niveau national.

Combattant des ennemis de l’intérieur

Il y a un an, Bruno de Carvalho devait gérer le délicat cas Bruma. Partis au clash avec son club formateur, l’ailier et ses représentants avaient remis en cause son contrat. BdC finira par trouver une issue : Galatasaray et un chèque de 10 millions d’euros. Le boss du SCP ne s’en sort pas si mal. Et déjà, il se montre ferme. Il s’en prend aux agents du joueur. De Carvalho n’est pas un président complaisant avec les "conseillers". Lorsqu’il aura à régler les dossiers Rojo, Slimani, Dier ou Elias, il se montrera ferme. Une rigueur qui ne déplait pas à des socios lassés de la gouvernance trop souvent permissive de leurs dirigeants. BdC va jusqu’à poursuivre ces derniers.
Il travaille ainsi son image, celle d’un leader fort voire autoritaire. Outre les médiatisés Rojo et Slimani, Ruben Semedo vient d’être sanctionné suite à un incident avec l’un de ses coéquipiers. La discipline peut ainsi devenir le meilleur des prétextes lorsqu’il s’agit de se régler les dossiers gênants. A l’été 2013, huit joueurs sont mis à pied pour avoir violé les règles de bonne conduite du club. Huit éléments embauchés par l’ancienne direction et qu’il convenait, pour la plupart, de virer. BdC l’a fait. Et les syndicats n’ont pas aimé. Et si le rebelle d’Alvalade n’était pas un révolutionnaire mais l’idéaliste d’un monde qui tournerait à l’an vert…
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