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Mohamed Salah, l’histoire d’un raté à Chelsea

Bruno Constant

Mis à jour 02/05/2018 à 14:38 GMT+2

LIGUE DES CHAMPIONS - S’il fait aujourd’hui le bonheur de Liverpool, l’attaquant égyptien est passé chez les Blues de 2014 à 2015 où Mourinho, qu’il avait convaincu personnellement de signer à Chelsea plutôt qu’à Liverpool, ne lui a pas laissé le temps de grandir. Comme pour De Bruyne et Lukaku…

Mohamed Salah, le milieu de terrain de Chelsea (2014)

Crédit: AFP

La scène date de février 2015. On est à Cobham, au sud de Londres, où est installé le centre d’entraînement de Chelsea. Comme chaque vendredi, Jose Mourinho y donne sa conférence de presse. Le Special One est d’humeur joyeuse. Son équipe file vers le titre après avoir maintenu Manchester City à distance (5 points) à Stamford Bridge (1-1). Une rencontre au cours de laquelle le Portugais avait créé la sensation en titularisant Kurt Zouma, du haut de ses 20 ans et pour la deuxième fois seulement en Premier League, au cœur de la défense des Blues face à Kun Agüero. Et le Français a répondu à la confiance de son entraîneur par une grande performance.
Au cours de cette conférence de presse, je lui rappelle qu’il avait déjà lancé Raphaël Varane au Real Madrid et lui demande ce qu’il pense de l’avenir des deux prodiges en équipe de France. La réponse de Mourinho est à la fois drôle et symptomatique de sa modestie : "Je pense que votre fédération (française) devrait m’écrire une lettre pour me remercier parce qu’ils ont, aujourd’hui, les deux meilleurs jeunes défenseurs au monde. Imaginez où ils seront dans deux ou trois ans ! Didier (Deschamps) doit être très heureux…" Trois ans après, on ne peut pas dire que la prédiction de Mourinho se soit totalement vérifiée. S’il est titulaire au Real Madrid, Varane ne fait pas forcément l’unanimité en Bleu et Zouma se remet doucement d’une grave blessure au genou en prêt à Stoke, relégable (19e). Mais leur jeune âge pour des défenseurs, respectivement 25 et 23 ans, nous donne le droit d’y croire.
Mourinho aime se vanter d’avoir lancé les deux Français au plus haut niveau, beaucoup moins de ne pas avoir décelé le talent de Kevin De Bruyne, Romelu Lukaku ou Mohamed Salah. Trois joueurs qu’il a eus sous la main durant la même saison à Chelsea (2013-2014). Trois joueurs pleins de promesses à l’époque. Mais trois joueurs repartis des Blues faute d’un temps de jeu suffisant, d’abord en prêts puis définitivement en rapportant trois fois plus qu’ils n’ont coûté à leurs nouveaux clubs respectifs. La pilule a encore plus de mal à passer chez les supporters de Chelsea. Imaginez une attaque Hazard (déjà au club) - De Bruyne - Salah en soutien de Lukaku… Et, à l’heure où l’Egyptien marche sur l’eau avec Liverpool, l’épisode est revenu comme un boomerang sur Mourinho. Avant d’affronter les Reds en mars dernier, le Portugais a senti le besoin de se défendre : "C’est moi qui ai dit à Chelsea d’acheter Salah. Avec le board et le directeur technique, nous pensions que le football italien pourrait être bien pour son développement. Il voulait aller à la Fiorentina. Après ça, je suis parti. Chelsea a décidé de le vendre et, lorsqu’ils disent que j’ai été celui qui l’a vendu, c’est un mensonge."

Mourinho en 2015 : "Je vois l’avenir de Salah ailleurs (qu’à Chelsea)"

Dans les faits, les choses ne se sont pas passées exactement comme ça. Si le Portugais n’était effectivement pas présent physiquement au moment du transfert définitif en juin 2016, le Portugais n’avait pas l’intention de garder le joueur alors qu’il était toujours en poste un an plus tôt. Interrogé sur les chances de voir l’Egyptien revenir à Chelsea en juillet 2015, Mourinho avait déclaré : "Je vois son avenir ailleurs, soit en prêt soit vendu contre une offre que nous sommes heureux d’accepter. Nous avons cinq ailiers et il est mieux de ne pas avoir Salah de retour." En revanche, lorsque l’Egyptien débarque à Chelsea en janvier 2014, c’est bien grâce à un coup de fil de Mourinho.
Approché par les Blues, Arsenal et surtout Liverpool avec lequel il semble parti pour s’engager, Salah reçoit un appel en absence de Mourinho puis un message du Portugais lui demandant de le rappeler. Mais l’Egyptien, qui n’a pas payé sa facture de téléphone, ne peut émettre d’appels. Il décide alors d’envoyer un message au Special One sur… Whatsapp. Au bout du fil, Mourinho convainc le joueur de venir à Londres. Ce que ne dit pas le Portugais c’est que l’Egyptien figurait déjà sur les tablettes de Michael Emenalo, le directeur technique du club londonien en charge du recrutement depuis 2011.
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Mohamed Salah et José Mourinho en février 2014 à Chelsea

Crédit: Getty Images

Avant même le retour au club de Mourinho, Salah avait brillé et marqué contre Chelsea lors des demi-finales de l’Europa League. Puis une fois son retour acté, la saison suivante, il avait inscrit un but dans chacune des deux victoires de Bâle face à Chelsea en Ligue des Champions. A l’époque, Emenalo, homme de confiance d’Abramovitch, met en place une politique de recrutement de jeunes joueurs à fort potentiel : Lukaku (18 ans) et Romeu (20 ans) en 2011, De Bruyne (20 ans), Hazard (21 ans), Marin (23 ans) et Oscar (20 ans) en 2012, Schürrle (22 ans), Van Ginkel (20 ans) et Atsu (21 ans) en 2013. Lors de ce dernier été, Emenalo propose sa démission à Abramovitch pour faciliter le retour à la maison du Special One. Le propriétaire des Blues refuse et le Nigérian poursuit son travail. Les arrivées de Salah (21 ans) et Zouma (19 ans) en 2014 vont dans ce sens. Mais, à l’été suivant, la volonté de Mourinho d’apporter davantage d’expérience à son onze avec Fabregas, Diego Costa, Filipe Luis, Rémy et le retour de Drogba bouchent un peu plus l’horizon des jeunes et notamment de Salah.

Mourinho a-t-il court-circuité le transfert de Salah à Liverpool en 2014 ?

Après une année civile décevante et seulement dix titularisations sous le maillot de Chelsea, il est prêté à la Fiorentina en Italie, où il restera. L’une des principales raisons dit que le joueur n’était "pas prêt physiquement ni mentalement" pour la Premier League (dixit Mourinho), qu’il était barré cette année-là par Hazard, qui évoluait pourtant sur l’autre aile, Schürrle, qui partira au même moment que Salah, Oscar, qui dépannait parfois à droite, et Willian. Néanmoins, à écouter Eden Hazard et certains membres du staff technique de l’époque, l’Egyptien épatait par son talent à l’entraînement où "il faisait tout ce qu’il voulait" avec le ballon. D’autant qu’une autre théorie fait son chemin sur la vraie raison de cet échec.
Certains soupçonnent Mourinho d’avoir court-circuité le transfert du joueur en partance pour Liverpool, concurrent direct de Chelsea pour le Top 4 et dans la course au titre (les Reds finiront deuxièmes devant les Blues) comme il l’avait fait avec Willian et Tottenham en 2013. Dans les derniers jours du mercato d’hiver 2014 et alors qu’un accord a déjà été conclu verbalement avec Bâle sur la base d’un transfert à hauteur de 14 M€, Liverpool attend la confirmation du président suisse. Ce dernier souhaite se donner une nuit de réflexion. Le lendemain, les dirigeants des Reds ne recevront jamais l’appel tant attendu mais un simple email : "le joueur a décidé de rejoindre Chelsea". Mourinho a-t-il privé Liverpool d’un renfort qu’il ne voulait pas vraiment et surtout dont il n’avait pas besoin ? La ficelle paraît grosse quand même.
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Fiorentina's Egyptian midfielder Mohamed Salah looks on (AFP)

Crédit: AFP

Prêté un an plus tard à la Fiorentina, Salah est remplacé poste pour poste par Cuadrado qui fait le chemin inverse contre 35 millions d’euros. Mais, débarqué avec une belle réputation, le Colombien subit le même échec que l’Egyptien. Après quatre titularisations pour un total de quinze apparitions et aucun but, Cuadrado est prêté six mois plus tard à la Juventus où il s’imposera et contribuera à l’épopée du club jusqu’en finale de la Ligue des Champions en 2017. Un autre raté de Mourinho ? Car, si, à Arsenal, on se moque des nombreux joueurs manqués par Arsène Wenger (Ronaldo, Suarez, Ibrahimovic, Drogba, Piqué, Yaya Touré, Xabi Alonso…), à Chelsea, on regrette les nombreux talents partis du club à qui Mourinho n’a pas su donner sa chance (Salah, De Bruyne, Lukaku, Cuadrado, Bertrand…). Le club londonien n’est pas non plus exempt de tout reproche. Il a ainsi laissé partir Matic en 2011 pour une somme estimée à 6 M€ dans le transfert de David Luiz avant d’être racheté trois ans plus tard contre 25 M€.

Aujourd’hui, Martial prend le même chemin à MU…

Mais c’est un fait, le Special One préfère le talent aguerri à l’espoir, le court terme au long terme, les résultats et les trophées au projet de jeu. C’est comme ça qu’il a bâti ses succès et sa réputation. Et c’est la raison pour laquelle son cycle dure généralement trois ans. Cela ne dit pas qu’il ne changera pas, et pourquoi pas à Manchester United, mais ce qui arrive aujourd’hui à Anthony Martial n’est pas totalement étranger aux sorts réservés à Salah, De Bruyne et Lukaku. Le Français était le meilleur mancunien avant l’arrivée d’Alexis Sanchez qui l’a envoyé sur le côté droit puis sur le banc et peut-être vers une autre destination cet été. On peut se demander, par exemple, si Mourinho aurait pris le temps de laisser éclore Firmino qui a connu deux saisons moyennes à Liverpool (11 buts et 10 passes en 2015-2016, 12 buts et 8 passes en 2016-2017) avant de devenir le formidable joueur qu’il est cette saison.
Cet exemple rappelle également ce qui est arrivé à Florent Malouda. Lorsqu’il débarque à Chelsea en provenance de Lyon en juin 2007, le Français est la plus grosse recrue de Mourinho. Auteur d’un début de saison tonitruant, Malouda voit celui qui l’a fait venir limogé deux mois plus tard. Ses performances plongent sous la direction d’Avram Grant, au point d’être relégué sur le banc, de subir les critiques. Deux ans plus tard, Malouda est toujours à Chelsea et explose sous la baguette d’Ancelotti au point de devenir l’un des grands artisans du titre dans le trio d’attaque qu’il compose avec Drogba et Anelka. Preuve que le remède à l’émergence d’un talent hésitant est bien souvent la patience.
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José Mourinho et Anthony Martial après le match Burnley - Manchester United en Premier League.

Crédit: Eurosport

La valeur n’attend point le nombre des années, disait Rodrigue dans Le Cid. Et pourtant, Walt Disney s’est fait mettre à la porte par le rédacteur en chef d’un journal parce qu’il "manquait d’imagination et n’avait pas de bonnes idées". Oprah Winfrey s’est fait renvoyer de son premier poste de télévision avant de connaître le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Steven Spielberg a été rejeté à plusieurs reprises par la prestigieuse University of Southern California School of Cinematic Arts, ce qui ne l’a pas empêché de réaliser quelques chefs d’œuvre du cinéma américain. Et l’histoire du ballon rond retiendra que Mohamed Salah a été rejeté de Chelsea avant d’exploser à Liverpool.
Bruno Constant fut le correspondant de L’Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd’hui avec RTL et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté. Pour approfondir le sujet, écoutez son Podcast 100% foot anglais sur l’actualité de la Premier League et du football britannique.
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