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Ligue des champions - Avant Manchester City - PSG - L'affaire gênante : Manchester City, gogo de la crypto

Philippe Auclair

Mis à jour 24/11/2021 à 14:01 GMT+1

LIGUE DES CHAMPIONS - Il y a quelques jours, Manchester City annonçait la suspension de son partenariat avec l'entreprise de crypto-monnaie, 3Key. Problème, celui-ci avait été noué une semaine plus tôt seulement. Certains pensent que 3key n'existe tout simplement pas et que City a été victime de son envie trop pressante d'entrer dans le monde de la crypto-monnaie. Philippe Auclair raconte.

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Crédit: Eurosport

Ce n'est pas d'hier que les clubs de Premier league flirtent avec des partenaires et sponsors douteux, à commencer par ces sites de paris en ligne aux profils pour le moins opaques qui arrosent le football anglais à coups de millions, d'Arsenal (sportsbet.io) à Leeds (SBOTOP), en passant par Crystal Palace (W88), Newcastle (FUN88) et, en fait, quasiment tous les autres, Leicester City méritant une mention toute particulière, puisque les Foxes ne comptent pas moins de cinq sites de paris en ligne parmi ses partenaires officiels.
La plupart de ces sites, dont personne, pas même la Commission qui attribue les licences de paris sportifs au Royaume-Uni, ne connait les véritables propriétaires, sont basés dans des paradis fiscaux. Leur clientèle est essentiellement asiatique, quand bien même parier sur des événements sportifs soit strictement illégal en Chine, en Thaïlande et quasiment partout ailleurs en Asie du sud-est. On se sert donc du football anglais pour contourner la loi et donner un vernis de légitimité à des entreprises dont beaucoup sont soupçonnées d'être contrôlées par la grande criminalité, et de servir de vecteurs d'évasion fiscale et de blanchiment de l'argent (*).

Après les sites de paris, la PL s'est tournée vers la crypto-monnaie

Après de longues années d'indifférence, les autorités britanniques semblent avoir enfin pris conscience de l'ampleur du problème et se préparent, dit-on, à interdire la publicité pour ces sites de paris sportifs sur les maillots et dans les stades (*). "Dit-on", dois-je insister; car le lobby des bookmakers est puissant, et généreux. N'a-t-il pas distribué l'équivalent de 265 000 € en divers cadeaux, invitations et émoluments à 28 députés de la Chambre des Communes (19 conservateurs, 9 travaillistes) depuis août 2020, comme l'a révélé une enquête du Guardian ?
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Jamie Vardy

Crédit: Getty Images

Toute cette agitation inquiète les clubs anglais, néanmoins, qui voient une source de revenus des plus conséquentes menacée à court terme par l'introduction d'une nouvelle législation. Que faire, alors ? Comment amorcer la pompe à phynances maintenant que le Père Ubu s'est découvert un embryon de conscience ?
A cette question, les clubs anglais ont répondu en se mettant en ménage avec d'autres partenaires dont on ignore également presque tout : les vendeurs de crypto-monnaies. D'une certaine façon, cela ne changeait pas grand-chose: les clients de ces centaines de sites qui promettent la lune aux "investisseurs" ne sont-ils pas, au fond, rien d'autre que des parieurs ?
Il convient ici de faire une distinction cruciale. Nous ne parlons pas des entreprises qui tâchent d'explorer et d'exploiter les potentialités de la technologie de chaîne de blocs ("blockchain technology") en matière de sécurisation des transactions - que celles-ci soient financières ou autres - ou pour servir de fondement au Web 3.0 tant attendu. Il s'agit de ces entités qui se sont engouffrées dans le sillage de Bitcoin et d'Ethereum, dont le profil a tant en commun avec les bookmakers non-régulés dont le football anglais va essayer de se débarrasser, à commencer par le fait que personne ne sait exactement qui se cache vraiment derrière elles.

17 clubs de Premier League sur 20

Mais si vous croyez que cela a découragé les clubs de Premier League de se jeter à l'eau, vous vous trompez. Le Mail on Sunday a fait les comptes. Ils sont dix-sept clubs sur vingt à l'avoir fait avec enthousiasme au cours des douze derniers mois, en prenant soin de se pincer le nez et de se bander les yeux. No questions asked.
Ils ne sont pas les seuls en Europe. Le FC Barcelone vient de rompre sa relation commerciale avec la société Ownix, qu'il avait chargée de développer et vendre ses "biens numériques" après que l'un des associés au projet, l'Israélien Moshe Ogeg (également propriétaire du Beitar Jerusalem) a été arrêté, soupçonné de crypto-fraude et d'avoir détourné des centaines de millions de dollars.
Mais même cela n'est rien auprès de l'histoire abracadabrante à laquelle a été mêlé un club qui, jusque-là, passait pour un modèle de bonne gestion dans le paysage de la PL, plutôt contrasté en cette matière : Manchester City. Cette histoire, la voici, celle de Man City, le gogo de la crypto.
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3Key, entreprise fantôme et... partenaire de Manchester City ?

Le 12 novembre, la propriété du Abu Dhabi United Group annonçait qu'un contrat avait été signé avec une société nommée 3Key, dont la mission serait de faire mieux comprendre aux fans des Cityzens "le marché et l'espace DeFi" ('DeFi' signifie "Finance décentralisée") et de les convaincre d'investir dans des crypto-monnaies telles que Ethereum. Vous me pardonnerez de ne pas entrer dans les détails ici, ou vous m'en saurez gré. Ce qu'il importe de savoir est que le end game de ce partenariat était la monétisation du supportérisme via de nouveaux outils numériques - le tube à la mode dans le Far West financier qu'est le football de 2021.
Cet accord n'avait rien de bizarre en soi. Ce qui l'était, par contre, est que, lorsqu'on regardait d'un peu plus près - d'un tout petit peu plus près, sans avoir à chausser ses lunettes -, cette société, 3Key...eh bien, n'existait pas. Enfin, pas vraiment.
C'est un détective amateur, nommé Martin Calladine (@uglygame sur Twitter), qui découvrit le pot aux roses. Il se rendit sur le site présumé de 3Key. Curieusement, aucun point de contact, aucune adresse de siège social, aucun numéro d'enregistrement sur quelque registre des sociétés que ce soit n'apparaissait sur ce site. Tout aussi curieusement, aucun des membres du personnel dont le nom était mentionné par 3Key n'avait la moindre trace numérique. Aucun compte Twitter, LinkedIn, TikTok, Facebook, Pinterest ou Instagram ne leur était associé. Et lorsque Calladine releva ces particularités sur son fil, le site de 3Key disparut de la toile pendant dix-huit heures.
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Raheem Sterling

Crédit: Getty Images

Partenariat suspendu une semaine plus tard

Il contacta alors Manchester City, qui finit par lui communiquer une lettre du propriétaire présumé de 3Key, un certain "Oliver Chen", puis en second lieu, une adresse email sur laquelle contacter ce gentleman; ce qu'il fit, lui demandant d'apporter la preuve que ses employés n'étaient pas de purs avatars. "Chen" se fit prier, expliquant qu'il avait été fort occupé par son business. Calladine attend toujours ces preuves. Manchester City aussi.
Une semaine plus tard, le 19 novembre, donc, le club annonçait qu'il avait "suspendu" son partenariat avec 3Key, s'étant rendu compte, mais un peu tard, qu'il avait négocié un accord avec une société-fantôme, dirigée par un homme (?) qui, s'il existe, ne s'appelle probablement pas "Oliver Chen", ce qui ne l'empêcha pas de convaincre l'un des clubs les riches du monde de faire affaire avec lui.
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Tel est l'effet que des mots comme "crypto-monnaie", "DeFi" ou "jeton non-fongible" ont sur les clubs de Premier League; plus le mensonge est gros, plus il est facile à leur faire avaler. L'appât de nouveaux gains est si séduisant qu'ils se ruent sur l'emballage sans se soucier de ce qu'il y a vraiment dans la boîte - et qu'ils entendent pourtant fourguer à leurs supporters, comme ils leur vendent aujourd'hui le mirage des paris sportifs. De ce côté-là, au moins, rien n'a changé.
(*) Cette "interdiction" a de fortes chances d'être des plus relatives. Il est en effet possible d'incruster des panneaux de publicité virtuels sur les images que reçoivent les téléspectateurs, et il sera même bientôt possible de cibler individuellement ceux d'entre eux qui seraient tentés de placer des paris.
(*) Ce sujet, dois-je préciser, me tient particulièrement à coeur, et ceux qui souhaiteront en savoir plus sur la question pourront se tourner vers la longue enquête que j'y ai récemment consacré pour le magazine norvégien Josimar.
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