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Jack Grealish, l'Angleterre et la bonne manière de jouer au football

Philippe Auclair

Mis à jour 18/11/2020 à 17:38 GMT+1

LIGUE DES NATIONS - Tout frais international, Jack Grealish (25 ans) a impressionné son sélectionneur, Gareth Southgate, lors de la défaite anglaise en Belgique. Son style déroutant pour les défenses l'est aussi pour son pays qui se demande s'il ne ferait pas mieux de ranger ses arabesques.

Jack Grealish in azione contro il Belgio

Crédit: Getty Images

Il est tout de même remarquable qu'au sortir d'une défaite, l'Angleterre semble d'abord ne vouloir parler, et en quels termes, que d'un joueur qui a déjà vingt-cinq ans et a joué en tout et pour tout 241 minutes pour son pays. Vous aurez deviné que c'est de Jack Grealish qu'il s'agit; Grealish, excellent contre le pays de Galles au mois d'octobre, laissé de côté par Gareth Southgate dans les deux matches de Ligue des Nations qui suivirent, puis titulaire face à l'Irlande et la Belgique, contre laquelle il fut tout simplement éblouissant.
Le pauvre Thomas Meunier en témoignera, lui qui eut bien de la chance de terminer la rencontre après avoir vainement pourchassé l'ombre du joueur d'Aston Villa pendant quatre-vingt-dix minutes, commettant faute sur faute, y compris lorsque Grealish le laissa cloué sur place par une aile de pigeon qui n'a pas fini de tourner en boucle sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas si souvent qu'on voit un joueur anglais faire de ces pieds-de-nez sur une pelouse.

Nous ne sommes pas là pour rigoler, voyez-vous

La preuve : il n'existe pas de terme pour ce geste technique dans le lexique anglo-saxon du football. Les commentateurs doivent se contenter de "oh!" et de "ah!", les analystes de périphrases et de ce mot, flick, mot fourre-tout qui sert également à "décrire" les touches de balle et les déviations qui sortent de l'ordinaire servi dans les académies du royaume. Cette lacune du vocabulaire du soccer peut surprendre au pays de Paul Gascoigne, Glenn Hoddle, Joe Cole et Matt Le Tissier; mais elle est surtout révélatrice d'une culture du ballon avant tout pragmatique, dont l'un des fondements inavoués reste la méfiance par rapport à tout ce le reste de la planète a apporté de fantaisie au jeu "viril" qui obséda si longtemps (et continue d'obséder, de manière plus subtile) ses inventeurs anglais.
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Jack Grealish

Crédit: Getty Images

Vous n'avez qu'à écouter ce que disent les consultants de BT ou de Sky Sport lorsqu'un joueur de Premier League a le malheur de perdre le ballon après une passe de l'extérieur du pied qui n'arrive pas à destination. Peu importe qu'il y avait pu en avoir une dizaine d'autres - exécutées de l'intérieur du pied, elles - toutes aussi imprécises que celle-là auparavant, qu'ils n'avaient pas jugé bon de relever dans leur commentaire. Ce n'était pas la perte du ballon qui les faisait s'offusquer. C'était qu'un footballeur professionnel puisse prendre ce genre de libertés avec le ballon. Nous ne sommes pas là pour rigoler, voyez-vous.
Et pourtant, dans le même souffle, les mêmes spécialistes pourront se plaindre du manque d'imagination de leur sélection, et même y voir l'une des explications de ses "échecs" répétés dans les grands tournois : pour une raison qui leur échappe, ces footballeurs anglais qui séduisent avec leurs clubs portent le maillot des Three Lions comme si c'était une chape de plomb qu'ils avaient endossée. La névrose du football anglais tient presque toute entière dans ce paradoxe.

Grealish doit-il "simplifier" son jeu ?

Aussi, quand un Grealish parait, crinière au vent, avec ses cuisses et ses mollets de percheron, cavalcadant comme un lippizan viennois, on est un peu perdu. Il y a ceux pour qui un tel talent est une bénédiction, un don du ciel qu'il faut accepter avec joie. On les entend beaucoup en ce moment. Il y a ceux qui modèrent l'enthousiasme ambiant en insistant sur ce que son jeu a de perfectible (une autre façon de dire qu'il devrait le "simplifier", alors que Grealish joue justement "simple", libre du carcan d'inquiétude qui a freiné tant de ses compatriotes avant lui).
Et il y a ceux qui n'attendent qu'un match raté de sa part pour y voir la preuve qu'on s'était emballé pour pas grand-chose. Dieu sait que le football anglais a produit sa part de mavericks, de footballeurs hors-normes - au sens propre - auxquels on ne fit jamais complètement confiance.
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Jack Grealish

Crédit: Getty Images

Peut-être est-ce normal lorsque vous avez conquis votre seul titre mondial en seniors avec une équipe dont Alf Ramsey avait évacué le footballeur le plus naturellement doué, à savoir Jimmy Greaves, officiellement écarté pour une blessure dont il était en fait remis. Peut-être est-ce normal quand on sait que Terry Venables, qui n'était pourtant pas un ennemi du beau jeu, titularisa à dessein Matt Le Tissier dans un match-piège à Dublin, dont il savait qu'il se jouerait sur une surface médiocre, et dans des conditions telles que "Le Tiss" serait incapable de briller. La rencontre fut en fait abandonnée après moins d'une demi-heure de jeu, et Venables n'inclut pas le joueur de Southampton dans son groupe pour l'Euro 96. Il lui avait donné sa chance - façon de parler -, Le Tissier n'avait su, ou pu la prendre. Le problème était réglé.
Il a répondu présent contre l'un des adversaires les plus durs que nous puissions rencontrer
Fort heureusement, Gareth Southgate est tout autrement disposé vis-à-vis de Grealish. "Il a fait un match absolument remarquable", dit-il dimanche dernier, après la défaite de Louvain, dans laquelle l'Angleterre avait développé bien plus de jeu que lors de sa victoire 2-1 sur le même adversaire à Wembley, un mois plus tôt. "Jack a vraiment fait grosse impression sur nous par son approche. Depuis qu'il a rejoint [le groupe], il a montré de la curiosité par rapport à ce que nous voulons de lui, il l'a intégré à l'entraînement, et, ce soir, il a traduit sa forme en club dans un match contre l'une des meilleures sélections du monde. Il a répondu présent contre l'un des adversaires les plus durs que nous puissions rencontrer". Amen.
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Jack Grealish

Crédit: Getty Images

Le système que Southgate avait choisi pour l'occasion - un 3-4-2-1 dans lequel l'Angleterre manquait de vitesse sur les flancs en attaque - n'était pourtant pas nécessairement le mieux adapté aux qualités du milieu offensif de Villa. Mais avant de critiquer le sélectionneur, on doit se souvenir de l'ampleur de sa tâche, lui qui doit trouver un équilibre entre le talent pléthorique dont il dispose en attaque - Kane, Greenwood, Rashford, Sterling, Sancho, plus Mount, Foden, Grealish et Maddison, qui dit mieux ? - et une "salle des machines" dans laquelle il manque toujours un demi défensif ou deux dignes de ce nom (Jordan Henderson n'est pas Fabinho, Declan Rice non plus), plus une défense dans laquelle aucune association, en duo ou en trio, de centre backs ne s'est encore imposée.
Peut-être Southgate sera-t-il amené à faire des choix en apparence plus risqués à l'avenir. Sur la foi de ce qu'il accomplit en club depuis plusieurs saisons, et désormais avec l'Angleterre, si Grealish n'est pas à lui seul la solution du problème, il doit en être l'un des éléments. L'Angleterre le sait, même si c'est parfois confusément, et c'est tant mieux.
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