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Pression, médias et "mensonges" : A Rome, les coulisses d'un environnement toxique

Guillaume Maillard-Pacini

Mis à jour 15/04/2021 à 14:20 GMT+2

LIGUE EUROPA - Près de trois ans après sa demi-finale de C1 perdue face à Liverpool, l'AS Rome peut se qualifier pour le dernier carré de la Ligue Europa, ce jeudi, en éliminant l'Ajax Amsterdam au Stadio Olimpico. Critiqué par "l'environnement" romain, Paulo Fonseca, l'entraîneur des Giallorossi, prendrait une sacrée revanche. Mais pourquoi est-ce si difficile de durer dans la ville éternelle ?

Edi Dzeko

Crédit: Getty Images

Tout le monde sait, grâce au Cardinal Luca Manzoli, que Rome "ne s’est pas faite en un jour". Mais rares sont ceux qui savent en combien de temps la capitale italienne peut détruire. Réponse : plus ou moins le même laps de temps. Du moins sportivement parlant. Un jour tout blanc, l'autre tout noir. La nuance n'existe pas vraiment à Rome. La demi-mesure non plus. En l'espace d'un match, tout peut basculer du bon ou du mauvais côté.
Parlez-en, par exemple, aux nombreux entraîneurs passés sur le banc de l'AS Rome ces dernières années. Un article à charge dans la presse, une critique sur les nombreuses radios de la capitale, des rumeurs qui se propagent dans la ville aussi vite que les vespas un soir d'été... Ils sont nombreux à être tombés face à ce qu'on appelle, en Italie, "l'ambiente romano". Soit plus ou moins littéralement "l'environnement romain". Quelque chose de plus ou moins invisible qui vous amène au bord d'un ravin et qui, au moment de faire marche arrière, décide de vous y pousser. Létal.
De Luis Enrique à Rudi Garcia, de Luciano Spalletti à Eusebio Di Francesco : presque personne ne peut faire face au tourbillon romain une fois en marche. Dans un pays où le changement d'entraîneur est parfois un sport national, Rome est probablement l'une des villes où durer demeure le plus compliqué. Paradoxale pour la ville éternelle, non ? Même Fabio Capello, vainqueur du dernier scudetto des Giallorossi en 2001, en est resté presque traumatisé.
"L'environnement romain est compliqué, confiait-il à Radio Anch'Io Lo Sport en 2015. Il peut t'ensorceler, te cerner et t'endormir (...) Rome est une ville merveilleuse, mais pour penser à travailler, tu dois parvenir à t'en isoler. Ce n'est pas une légende qu'un scudetto à Rome en vaut plus qu'un à Milan ou Turin (...) Les joueurs, les agents... Il y a toujours quelqu'un qui parle. C'est difficile de maintenir un secret à Rome. Tout se sait toujours là-bas. Moi, j'avais tout de suite prévenu : je n'étais pas d'accord avec les radios romaines, et donc je ne parlerais à personne." Mais même si vous ne parlez pas aux radios romaines, les radios romaines, elles, parlent de vous.

Trois radios, dix sites et un quotidien uniquement pour la Roma

"Ici, à Rome, il y a trois radios qui parlent 24h/24 de la Roma, nous confie un dirigeant des Giallorossi. Pour les contrer, le club a décidé d'en lancer une officielle. C'est notamment pour contrebalancer des messages pas vraiment positifs. Ou simplement pour en démentir d'autres. Ici, il y a un quotidien qui traite uniquement de l'actualité du club : "Il Romanista". C'est probablement unique au monde. Il y a aussi à peu près dix sites internet qui rapportent uniquement notre actualité. Cela donne une idée du poids que peuvent avoir les médias."
S'il y a bien deux clubs dans la capitale, la Lazio, elle, est relativement épargnée par ce climat parfois irrespirable. Pourquoi ? "C'est un environnement moins pollué", nous explique cette source. Les radios laziale ont moins de poids que celles de la Roma. L'environnement existe, certes, mais il n'a pas une influence aussi importante sur la réalité de la ville et du club au quotidien." Du côté "biancoleste" de Rome, stabilité et calme sont d'ailleurs de rigueur. En poste depuis avril 2016, Simone Inzaghi devrait prolonger son contrat dans les prochaines semaines. Et si les critiques font parfois surface pour une raison ou une autre, l'impression est qu'elles sont moins violentes que chez le voisin romain.
Arrivé à l'été 2019 sur le banc de l'AS Rome, Paulo Fonseca ne s'attendait probablement pas à une telle déferlante en moins de deux ans. Bien que défendu par ses joueurs et une grande partie des tifosi, l'entraîneur portugais est régulièrement au centre des discussions dans la ville éternelle. Jeudi, face à l'Ajax Amstedam (1-2 à l'aller), il est pourtant en bonne posture pour décrocher une demi-finale de Ligue Europa. Mais en championnat, les hauts et les bas de son équipe, incapable de battre une équipe de haut de tableau cette saison (3 points sur 27), ne passent pas auprès du fameux "ambiente" romain. Son conflit avec Edin Dzeko a également fait jaser.
Paulo Fonseca (AS Rome)
La semaine passée, après le nul à Sassuolo (2-2) et donc peu avant le match aller contre le club néerlandais, le Corriere dello Sport n'hésitait pas à parler d'une dispute assez forte en Fonseca et ses joueurs. "Des mensonges", répondait l'intéressé en conférence de presse dans une colère noire. Après vérification, le quotidien s'excusera officiellement le 10 avril. "On lui doit des excuses (...) L'information avait été vérifiée à plusieurs reprises, mais elle s'est révélée partiellement infondée. L'unique désaccord "bruyant" était dû à un coup franc sifflé lors du match d'entraînement." La veille, les tifosi romains n'avaient pas hésité à lancer un hashtag "#AvecFonsecapourlaRoma" sur Twitter. Un exemple saisissant du contraste qui peut exister autour de ce club. Et de tout le brouhaha qu'il peut susciter.
La tribune de presse de l'Olimpico est la plus grande d'Italie
"L'humeur varie toujours en fonction des matches et des résultats, nous assure ce dirigeant de l'AS Rome. Les tifosi protègent toujours le club des critiques des médias, mais n'hésitent pas à en faire quand cela va un peu moins bien. C'est un rapport assez étrange qu'il y a entre le club, les médias et les supporters. C'est un écosystème où vivent ces trois éléments en ayant paradoxalement besoin l'un de l'autre. L'autre jour, sur les réseaux sociaux, quelqu'un a fait un thread des dix dernières années avec tous les entraîneurs de la Roma confrontés à l'environnement romain et qui ont fini par s'en plaindre en conférence de presse. C'est une fatalité et non pas une légende métropolitaine. A votre avis, pourquoi la tribune de presse de l'Olimpico est la plus grande d'Italie ?"
Luciano Spalletti, passé par deux fois par le banc romain, en a lui aussi fait les frais. Coupable d'avoir envoyé Francesco Totti à la retraite lors de son second mandat, en plus de ne pas l'avoir vraiment respecté selon les plus irréductibles, le natif de Certaldo s'en était allé dans les sifflets à l'issue de la saison 2016-2017. Et dire que son retour avait été accueilli dans l'euphorie générale un peu plus d'un an plus tôt... Oui mais voilà, rien n'est jamais acquis à Rome. "Si tu réussis ou non, ce sont toujours les grandes plumes du journalisme romain qui le décident", lâchait-il en mars 2017. Comme lassé par un environnement qu'il avait pourtant défini, un jour, comme "un privilège".
Luciano Spalletti
Si les entraîneurs sont donc souvent dans le collimateur des médias, les joueurs, eux, ne sont pas en reste. Toutefois, à l'heure des réseaux sociaux, ces derniers "n'écoutent plus vraiment certaines émissions" sur les ondes, nous assure l'un d'entre eux. Et contrairement à une époque désormais révolue, ils ne lisent plus les journaux non plus. "C'est vrai qu'ils en pâtissent moins, ajoute un membre de l'entourage d'un milieu de terrain de la Roma. Ils sentent le pouls de la ville sur les réseaux sociaux. Ils ne s'informent presque que comme ça et lisent régulièrement les commentaires qui peuvent être faits sur eux. Et s'ils ne le font pas, il y aura toujours quelqu'un pour lui dire, du cousin éloigné au cercle proche." Il y a une vingtaine d'années, un joueur pouvait prendre sa voiture, allumer sa radio et rouler jusqu'à Trigoria, le centre d'entraînement du club giallorosso. Il y entendait alors les réactions, les critiques ou les avis des tifosi après un match. Même parfois les notes de certains journalistes. Plus maintenant. Les réseaux sociaux (et plus globalement Internet) ne sont finalement qu'un mélange de tout ça. Une arrivée dans le paysage médiatique que doit gérer n'importe quel club de football.
"Nous nous sommes fixés un seuil de tolérance, fait savoir la Roma. Mais une fois ce dernier dépassé, on répond. Comme on ne peut pas le faire avec tout ce qui circule, nous avons préféré établir cette ligne de conduite." Alors, l'environnement romain serait-il vraiment le responsable de tous les maux du club de la louve ? "C'est simple de tout mettre sur notre dos, rétorque un célèbre animateur d'une radio qui s'occupe principalement de l'actualité des Giallorossi. De l'extérieur, la radio romaine est perçue comme un monstre, une entité qui diffuse des mensonges. Il y a certaines personnes qui font ça, mais il y a aussi celles qui font leur métier et travaillent respectablement. Comme dans tous les corps de métiers. Il ne faut pas généraliser et mettre tout le monde dans le même panier. Même à l'intérieur d'une seule et même rédaction, il y a des sensibilités différentes et des avis qui divergent. A Rome, la pression a toujours été omniprésente." Mais ça, Paulo Fonseca n'en a pas vraiment peur, lui qui expliquait un jour que celui qui ne la "supporte pas" peut "s'acheter un morceau de terrain" pour "cultiver des patates". Annoncé comme partant en fin de saison, l'entraîneur portugais se souviendra probablement longtemps de son séjour à Rome.
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