Ligue Europa | Brighton – Ajax | Des astres aux abysses : L’Ajax Amsterdam ou le syndrome d’Icare

C’est l’histoire d’une chute vertigineuse qu’on n’avait pas vue venir. Celle d’un géant européen, 123 années au compteur et quatre Ligue des champions rangées dans l’armoire au milieu d’une nuée de titres de champion des Pays-Bas (36). Au-delà des trophées, c’est aussi une certaine excellence que renvoyait l’Ajax Amsterdam, modèle longtemps copié du jeu de position et de ses déclinaisons emballantes, portées par les maestros Rinus Michels et Johan Cruyff.

En automne 2023, le lustre a pris un sacré coup de poussière. Les Lanciers ont manqué la saison passée le ticket pour la Ligue des champions (3e d’Eredivisie), une première depuis 2018. Pire encore, le club d’Amsterdam végète dans les tréfonds du classement, avant-dernier (17e) après neuf journées. Comment expliquer la périclitation d’un club à l’allure si saine vu de l’extérieur, auteur d’un parcours mémorable en 2019 en C1 (demi-finaliste) et dont la politique sportive est encore érigée en exemple ?

"Connaissez-vous l’histoire d’Icare ? L’Ajax a tout simplement volé trop proche du soleil et tout est tombé en morceaux, commence Kevin Van Nunen, journaliste pour Eurosport aux Pays-Bas. Le club a voulu concurrencer les tops clubs européens, mais comme l’histoire récente l’a montré… aucun club intermédiaire n'a réussi à soutenir la comparaison à long terme. Ni Porto, ni Valencia, ni les autres…" Le message est cynique, presque cruel pour ces clubs incapables de gommer d’éventuelles erreurs dans leur stratégie sportive avec un investissement financier massif.

Pour rester vertueux, l’Ajax doit suivre la même routine au fil des années : former des talents à fort potentiel, les vendre au prix fort, puis investir au bon moment sur les bons joueurs et les bons entraîneurs. Un modèle semblable à celui de l’AS Monaco, qui tient sur un fil : celui des talents issus de la formation. "Dès lors que ces jeunes de l’académie sont incapables d’avoir le niveau requis, vient l’effondrement," résume Van Nunen.

L’effondrement n’est pas venu d’un coup. Après la demi-finale de C1 en 2019, l’Ajax a continué de régner sur le pays creux (champion en 2021 et 2022, le titre 2020 n’étant pas attribué en pleine crise Covid), le tout sous le joug de l’architecte du parcours héroïque des lanciers, Erik ten Hag. Avant son départ précipité en avril 2022 à Manchester United, le technicien néerlandais a su tirer le meilleur du contexte de l’Ajax, et ce malgré une presse locale pas tendre.

Certains échos se demandaient même si l’Ajax n’allait pas se muer en glouton national, à l’instar d’un Bayern Munich en Allemagne. "Il n’y avait aucune chance que cela se produise !, martèle Van Nunen. Malgré les succès du duo Marc Overmars – Erik ten Hag, aucune structure viable n’a été mise en place. Le départ soudain du premier (en février 2022) n’a pas été compensé. Il ne restait plus rien de la vision sportive d’Overmars, de ses contacts avec les joueurs et les agents. Tout est parti en fumée."

Sans Overmars aux commandes, l’Ajax se jette sur des opérations douteuses. La fenêtre estivale de 2022 cristallise tous les déboires d’une direction sportive aux abois, autrice de transferts tirés par les cheveux, comme l’arrivée de Steven Bergwijn contre 30 millions d’euros. Un choix incompréhensible pour Van Nunen : "Bergwijn était en difficulté depuis des années à Tottenham et avec la sélection nationale. Ils n’auraient jamais dû payer autant pour lui. En ce moment, c’est le capitaine, mais simplement parce qu’aucun meilleur joueur n'est disponible."

Un été lourd de conséquences pour l’Ajax, privé la saison passée de C1 pour la première fois depuis 2018. Les coupures de budget s'enchaînent alors, sous la houlette du nouveau directeur technique Sven Mislintat. Arrivé avec des idées modernes et axées sur le développement du club, comme une refonte du département de recrutement des jeunes, Mislintat doit composer avec des querelles intestines et un climat délétère qui ont finalement eu raison de lui.

Autre pièce majeure du navire amstellodamois, Klaas-Jan Huntelaar a subi un burn-out qui l’a obligé à faire un pas de côté (il n'est toujours pas revenu). Comme dernier jet sur cette toile à l'allure cadavérique, rajoutez les nombreuses prestations indigestes cornaquées par Maurice Steijn, intronisé sur le banc de l’Ajax cet été et destitué lundi, à l’aube d’une semaine charnière, avec les déplacements à Brighton (Ligue Europa, jeudi) et chez le leader de l’Eredivisie (PSV, dimanche). Une structure claudicante, un jeu pauvre si loin des aspirations romantiques de l’institution, des dirigeants fantômes : tout porte à croire que l’Ajax se dirige vers un fiasco monumental.

"L’Ajax ne sera pas relégué, annonce Van Nunen. C’est tout simplement impossible. L’Ajax est trop fort pour descendre. Peut-être pas à cause des qualités du club, mais davantage à cause des faiblesses des clubs en danger.” Le journaliste d'Eurosport aux Pays-Bas se veut même un poil optimiste pour les Lanciers : “Il n’est toujours pas impensable que l’Ajax marque encore de gros points, termine dans le top 9 et se qualifie pour les barrages, ce qui lui offre au moins une chance pour finir européen." Pour cela, il faudra se relever d’une des pires crises de l’histoire du club.