Avec Mihajlovic, la Serbie a perdu deux ans, elle en a deux autres pour se reconstruire

Il y a un peu plus de deux ans, le stade Auguste-Delaune de Reims accueillait une sélection de Serbie rajeunie et inexpérimentée dirigée par le légendaire Sinisa Mihajlovic. L’idée avancée par la fédération serbe et son très contesté président Tomislav Karadzic était alors de tourner la page des années Antic et Petrovic et de leurs deux joueurs cadres désormais retraités Nemanja Vidic et Dejan Stankovic.

Mihajlovic avait pour mission de lancer des jeunes afin d’être prêts pour l’Euro 2016. Seulement voilà, il y a eu entre temps la campagne de qualifications pour le Mondial 2014 ponctuée par une 3e place derrière la Belgique et la Croatie.

Au-delà des résultats bruts, c’est la méthode Sinisa qui a failli, et qui l’a conduit à quitter ses fonctions pour retourner dans le Calcio. De lui on attendait trois choses. D’abord, insuffler un état d’esprit de guerrier à ses joueurs, et vu son histoire personnelle, il était très qualifié pour le faire. Ensuite, lancer dans les meilleures conditions les meilleurs jeunes du pays pour leur faire gagner de l’expérience. Enfin, consolider l’unité du peuple serbe derrière son équipe nationale, où la ferveur est moindre qu’en Croatie pour des raisons politico-historiques.

De très longue date, le mental a toujours été le problème des équipes yougoslaves puis post-yougoslaves. Alors quand on voit le non-match livré par ses joueurs et par lui-même à Zagreb dans un match ô combien important et symbolique, sans parler de l’humiliante défaite contre la Macédoine, on ne peut que constater son échec sur le premier point.

Dès sa prise de fonction, il a instauré un code de bonne conduite dans lequel notamment les joueurs avaient l’obligation de chanter l’hymne serbe. Pour avoir refusé de le faire, Adem Ljajic a été durablement écarté de la sélection. Rappelons que les paroles de l’hymne évoquent le peuple serbe orthodoxe tandis que Ljajic est un Serbe musulman du Sandjak qui ne peut pas se sentir représenté par ces paroles mais a toujours affirmé son désir sincère de jouer pour la Serbie. En outre, Mihajlovic s’est également brouillé avec le milieu de terrain Nemanja Matic qui avait émis des réserves sur la tactique. Ainsi, on demande à Sinisa de préparer l’avenir en misant sur les jeunes les plus talentueux, et lui se prive pour des raisons illégitimes et absurdes des deux meilleurs.

Enfin, cette ambiance, ces choix, ces résultats n’ont rien fait pour que les Serbes soient derrière leur équipe, sauf contre la Croatie. Mihajlovic a plusieurs fois déclaré qu’il préférait jouer en dehors de Belgrade où l’ambiance était mauvaise. Bref, il a échoué sur ses trois missions, et a fait perdre deux ans à la Serbie.

C’est pourquoi à un plan sur le long terme succède l’exigence du résultat immédiat, et après avoir fait le tour des meilleurs entraîneurs locaux et constaté leurs échecs, absolus ou relatifs, la fédération a voulu s’assurer à la fois une compétence et un savoir-faire dans un entraîneur étranger imperméable aux pressions et aux histoires louches qui sont monnaie courante dans le football serbe.

Qu’on ne s’y trompe pas, Dick Advocaat n’est pas venu pour l’argent. Il en a pris assez en laissant tomber la Belgique pour la Russie il y a quelques années. Il est venu parce que le potentiel de jeunes joueurs est toujours impressionnant pour un aussi petit pays aux infrastructures faibles et aux résultats en clubs désastreux. N’oublions pas que la Serbie est championne d’Europe 2013 des moins de 19 ans.

Pourtant, cela fait des années que cette équipe n’est pas capable d’élever son niveau de jeu à la hauteur du talent individuel parfois immense de ses joueurs. Même sans Vidic, la ligne de défense reste de classe mondiale avec Kolarov, Subotic, Nastasic et Ivanovic. Au milieu, Matic se révèle un très précieux métronome du jeu, tandis que les joueurs de couloirs, Tadic, Jojic, Markovic, Ljajic sont capables de provoquer, d’écarter et de marquer. Enfin, Aleksandar Mitrovic est parti pour faire une grande carrière d’avant-centre s’il parvient à canaliser sa folie. Il ne manque plus qu’un gardien, introuvable en attendant peut-être le jeune Predrag Rajkovic. L’inégal Vladimir Stojkovic fait donc l’affaire faute de mieux.

Pour remédier à ces performances sous-optimales, Advocaat a insisté sur la cohésion, les joueurs offensifs racontent tous comment leur coach insiste sur le bloc, la capacité de défendre haut et surtout tous ensembles, des efforts qui n’étaient pas forcément effectués auparavant. Gagner en maîtrise doit venir compenser les absences de concentration que les Serbes connaissent régulièrement contre les équipes supposées inférieures. Ainsi Advocaat ne redoute pas tant les futures confrontations contre le Portugal ou le Danemark que celles contre l’Albanie et l’Arménie.

En tout cas, pour lui comme pour ses joueurs, jouer contre la France est un très bon test pour se situer, même en l’absence de Subotic, laissé au repos. En revanche, Adem Ljajic effectue son grand retour. Enfin, le fait de ne pas jouer régulièrement en club vaut à l’ancien niçois Pejcinovic d’être absent de la liste, mais pas à Zdravko Kuzmanovic pourtant dans la même situation à l’Inter. Très ouvert d’esprit, Advocaat a même laissé la porte ouverte à Milos Krasic, porté disparu depuis deux ans.

Avec l’élargissement de l’Euro à 24 sélections, la Serbie augmente considérablement ses chances de se qualifier pratiquement à chaque fois, il devient donc essentiel pour elle de multiplier ces rencontres contre des sélections européennes de premier plan. Cela dit, si Advocaat travaille bien, l’équipe qui viendra en France en juin 2016 sera une version bien plus forte et cohérente que celle qui accueillera les Bleus dimanche.