D'Arteta à Pedro, comment les "Spanglish" ont envahi le royaume d'Angleterre

MATCHES AMICAUX - En l'espace d'une décennie, les joueurs espagnols ont débarqué en masse sur les terrains de Premier League. Jadis peu enclins à quitter leur pays, ils constituent une valeur sûre auprès des clubs anglais. Pour Espagne-Angleterre, Vicente Del Bosque a convoqué sept "Spanglish".

Cesc Fábregas celebra un gol con David Silva en el España Irlanda en la Eurocopa 2012

Crédit: Eurosport

L'allusion est quasi-systématique. Dans toutes les interviews qu'accordent les joueurs espagnols, il y a toujours un passage consacré à "mi pueblo, mis amigos, mis padres". Mon village, mes amis, mes parents. L'immigration ibérique a été l'une des plus conséquentes du XXe siècle. Au point que les générations suivantes n'ont jamais voulu partir ? Possible.
Quoi qu'il en soit, jusqu'au début des années 2000, imaginer ne serait-ce qu'une poignée d'Espagnols débarquant sur le sol anglais aurait constitué un affront pour les descendants de Sir Francis William Drake qui avait donné une leçon de tactique militaire à l'Invicible Armada en 1588. Pourtant, en l'espace d'une décennie, l'Angleterre a appris à conjuguer son football avec l'accent de Federico Garcia Lorca. Et les deux pays y ont largement gagné.

Arteta, le pionnier

Les supporters du PSG se souviennent encore du toucher soyeux de Mikel Arteta. Eduqué au football de la Masia, le Basque n'a passé que deux saisons dans la capitale et pourtant son talent est encore unaninement reconnu. Le milieu de terrain a tout d'abord arpenté les terrains de Scottish Premier League sous le maillot des Rangers : "C'est vraiment un pionnier, le premier exemple de réussite, explique Romain Molina, journaliste français installé en Andalousie et spécialiste du football britannique. A l'époque, malgré son physique, il a laissé un énorme souvenir chez les Gers. Et attention, le football écossais de l'époque, ce n'était clairement pas pour les tendres !".
Rentré à San Sebastian en 2004, il ne reste que 6 mois à la Real Sociedad avant de rejoindre Everton, lors du mercato hivernal en 2005. Après six saisons à Goodison Park, il met le cap au sud pour enfiler la tenue d'Arsenal. La greffe a tellement bien pris qu'Arteta a obtenu la nationalité anglaise en 2010 et a même été envisagé pour jouer avec les Three Lions. Au même titre que Gaizka Mendieta (Middlesbrough), Albert Luque (Newcastle) et Xabi Alonso (Liverpool), Arteta a ouvert la voie. Cela a eu pour conséquences de modifier profondément le football des deux pays.
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Arteta avec Everton en 2006

Crédit: Imago

Le rêve anglais

Pendant longtemps, la Roja a été surnommée "la championne du monde des matches amicaux". Toujours favorite, toujours décevante. Certes, elle avait payé son arrogance, son rêve de mettre Zinedine Zidane à la retraite, mais la Coupe du Monde 2006 a réellement constitué un point d'inflexion, d'autant que le Barça de Franck Rijkaard avait soulevé la Ligue des Champions contre Arsenal quelques semaines auparavant. A l'époque, Luis Aragonés avait sélectionné 5 "Anglais" : Pepe Reina, Luis Garcia, Xabi Alonso (Liverpool), Cesc Fabregas et Juan Antonio Reyes (Arsenal).
Une petite révolution. A partir de ce moment-là, l'attrait réciproque entre l'Espagne et l'Angleterre ne s'est jamais démenti. Globalement, si la part de sélectionnés jouant à ce moment-là reste sensiblement la même (entre 3 et 5), celle des joueurs ayant évolué en Premier League croît invariablement. Il y a plusieurs explications à cela.
Tout d'abord, la Premier League s'est exportée sur les écrans du monde entier. Elle a littéralement envahi l'espace. L'Espagne n'a pas fait exception. Le championnat anglais est un produit parfaitement marketé. Les retransmissions sont d'une qualité rare, ce qui constitue une grande différence avec les chaînes espagnoles (le récent Real Madrid-PSG n'est qu'un mince aperçu des "prouesses" ibériques en la matière).
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Fabregas face au Barça de Busquets en Ligue des champions en 2010

Crédit: AFP

"Comme il existe un rêve américain véhiculé à travers Hollywood, il existe un rêve anglais, un mythe de la Premier League relayé par les joueurs, les consultants, les médias, détaille Romain Molina. On dit qu'il y a de l'ambiance mais d'une part, les micros sont mis du côté des "away fans" et, d'autre part, il n'y a pas plus de bruit que dans de nombreux stades d'Espagne, comme dans les deux clubs de Séville par exemple.La mondialisation du football a attiré les joueurs espagnols, au même titre que les autres."
"Surtout, la Premier League est le championnat le plus riche et le plus puissant. Elle seule peut s'offrir des joueurs à prix d'or et des salaires aussi incroyables (Torres était payé environ 90000 livres par semaine à son arrivée à Liverpool en 2007 et 180000 livres par semaine à Chelsea en 2014, NDLR). Cela a été d'autant plus facile que les clubs espagnols étaient vendeurs car mal gérés et en proie à des difficultés financières. Même actuellement, ils sont contraints de vendre pour acheter à d'autres clubs de Liga".
Célébrés aujourd'hui comme faisant partie des meilleurs joueurs de Premier League, David Silva et Juan Mata ont quitté Valence car les Murciélagos avaient besoin de liquidités. Le contexte de crise a favorisé cet exode qui s'étend également aux divisions inférieures. Beaucoup de clubs de la péninsule ont eu des difficultés pour régler les salaires de leurs joueurs. L'Angleterre est donc apparu comme un pays de cocagne, d'autant qu'ils sont considérés outre-Manche comme des joueurs techniquement parfaits.
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Arsenal-Manchester City, Santi Cazorla vs. David Silva

Crédit: Eurosport

Deux paradigmes complémentaires

La Premier League fantasme le joueur espagnol comme le joueur espagnol fantasme la Premier League. Petit à petit, la mondialisation du football a fait son œuvre. Peu de clubs anglais se limitent encore au kick and rush des années 80. Les terrains boueux sont devenus des billards. Le jeu a changé : il s'est pour partie hispanisé. Rafael Benitez (Liverpool), Roberto Martinez (Swansea, Wigan, Everton), Aitor Karanka (Middlesbrough) et, quoique Chilien, Manuel Pellegrino (Manchester City) ont apporté leur touche latine.
Par ailleurs, la rivalité Barça-Real a contribué à édifier le clasico en véritable franchise, un porte-étendard du football ibérique. L'Espagne est devenue LA référence dont il fallait impérativement s'inspirer, quitte à renier une partie de son identité footballistique. Dans le même temps, au contact d'une nouvelle culture, en s'ouvrant à une approche différente de leur sport, les joueurs de la Roja sont devenus des machines à gagner.
Pendant 4 ans, elle a marché sur le football mondial avec un style caractéristique et un supplément d'âme qui lui faisait défaut jusqu'alors. A l'image des joueurs français qui avaient fait de l'Italie leur seconde patrie pour apprendre la culture de la victoire au milieu des années 90, les Espagnols se sont nourris de la Premier League, championnat cosmopolite par excellence.
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FOOTBALL 2012 Espagne-Eire (Torres)

Crédit: AFP

Option Espagnol LV1

Fort d'une puissance économique inégalable, les clubs anglais sont à la recherche de joueurs espagnols, y compris de profils de plus en plus jeunes qu'ils post-forment. La première réussite de ce modèle est à mettre au crédit d'Arsenal avec Cesc Fabregas, arrivé à 17 ans en provenance de la Masia. Certes, cela ne marche pas à tous les coups.
Si Gerard Piqué a pu se relancer au Barça après avoir été barré à Manchester United, Fran Mérida (Arsenal) et Oriol Romeu (Chelsea) n'ont jamais pu exprimer le talent décelé. Récemment, Fran Villalba, considéré comme le futur grand crack de Valence, a refusé les avances de Liverpool. Bientôt, il pourrait devenir une exception.
Pour l'Euro 2004, l'Espagne n'avait qu'un seul joueur évoluant à l'étranger : Fernando Morientes (Monaco). Depuis le Mondial 2006, l'exception est devenue la norme. Le Bayern Munich dispose aussi d'un contingent espagnol (Javi Martinez, Juan Bernat, Thiago Alcantara) mais l'Angleterre reste la destination préférentielle. Tous les postes sont concernés, du gardien (Pepe Reina, David De Gea) aux attaquants (Fernando Torres, Alvaro Negredo, Roberto Soldado), en passant évidemment par les milieux (Santi Cazorla, David Silva, Pedro).
A l'heure actuelle, tous les clubs majeurs de Premier League ont plusieurs Espagnols dans leur équipe, que ce soit Arsenal (Cazorla, Bellerin, Monreal, Arteta), Chelsea (Pedro, Azpilicueta, Fabregas, Costa), City (Silva, Navas), United (De Gea, Valdés, Herrera, Mata) ou Liverpool (Moreno, Enrique). Une politique qui devrait se poursuivre dans les prochaines années car ils sont dépositaires du jeu de leur équipe et sont massivement plébiscités par leurs supporters.
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