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France - Allemagne - Hatem Ben Arfa le maudit

Thibaud Leplat

Mis à jour 12/11/2015 à 11:15 GMT+1

Vendredi soir, on verra à nouveau Hatem Ben Arfa porter le maillot azur de l’équipe de France. Et, comme un malheur n’arrive jamais seul, les sirènes vont se remettre à brailler. Le destin de Ben Arfa, c’est notre malédiction.

Hatem Ben Arfa à Clairefontaine

Crédit: AFP

Si le génie est une malédiction c’est qu’il est la blessure la plus rapprochée de la foule. Il est une fine pellicule de souffrance entre l’âme du héros et le monde qui le contemple et dont, au soir tombé, les masses agglutinées viennent regarder religieusement saigner les stigmates. Ce n’est ni pour leur santé, ni pour leur vigueur que l’on se retrouve dans les gradins des temples et des stades pour y célébrer nos héros. Ce n’est pas pour voir nos idoles triompher de la fatalité sans une seule goutte d’effort, sans une seule larme de douleur qu’on paie tous ces abonnements. Il faut que devant nous, à chaque apparition, ils rejouent le mythe de Prométhée voleur de feu, le mythe du Dieu qui aida les hommes à devenir eux-mêmes et fut condamné pour ce crime à se faire dévorer éternellement les entrailles. Stakhanov est un mythe pour bureaucrate. L’homme libre, lui, a d’autres vanités.
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Hatem Ben Arfa est heureux d'avoir retrouvé l'équipe de France

Crédit: Panoramic

Nous, ce qu’on demande à nos idoles c’est une quantité indispensable de souffrance avant l’exploit final. Voilà en quoi consiste le football. Ce n’est ni leur force, ni leur plastique qui nous intéressent - c’est l’erreur de Cristiano et la source des sarcasmes dont il fait l’objet - mais plutôt le mal qu’ils se donnent à essayer de satisfaire notre avidité qui nous émeut. Le goût de l’admirable, c’est le goût du sang.
Un jour de mars 1991, dans les Inrocks, Bertrand Cantat, parlant de son métier de rockeur, dit quelque chose qui ressemble beaucoup à cette idée "le public n’attend qu’une seule chose, que tu te fasses mal. Il veut quelque chose de violent, de sensationnel. C’est le côté voyeur des gens qui ressort pendant les concerts. Ils veulent voir quelque chose qu’ils ne verront pas dans leur petite vie de tous les jours. Ils veulent de la nouveauté, ils veulent du spirituel. L’ennemi pour tous c’est le matérialisme. C’est la pire des gangrènes. Le public a besoin d’autre chose". Il n’y a de rédemption que provisoire pour les rockers. Hatem compris ? Oui, Hatem compris.

Les cuisses du héros

Car la croyance au génie nous condamne tous à la cruauté. Épris de surnaturel et de paranormal, nous prenons des vessies pour des lanternes et, plutôt que d’admirer dans la production de l’artiste la mécanique d’un travail minutieux et patient (il n’y a qu’à regarder l’épaisseur inimaginable des cuisses d’Hatem lors des entraînements du Gym au stade Charles-Ehrmann pour deviner la puissance de ses futurs démarrages dans les surfaces adverses), on n’en admire que les effets immédiats. Il n’y que les matches qui nous intéressent, pas les entraînements.
En outre, plutôt que de saluer la patience et l’effort de contention dont il fait preuve devant l’acharnement des défenseurs à lui arracher les côtes (cf 41ème minute de Nice-Nantes où Hatem manque de se laisser aller contre le nez de Miambé coupable d’une faute grossière contre lui), plutôt que d’admirer sa résolution nouvelle et son admirable intelligence tactique (cf toute la seconde période de ce match passé à oxygéner le jeu au milieu), on conclut toujours à la nature divine et surnaturelle de son talent. Certes. Mais Hatem a dit en 2007 qu’il aimait lire Nietzsche, il connaît donc la conséquence cruelle de cette idée remarquable "tout ce que demande vraiment la foule à la tragédie, c’est d’être bien émue pour pouvoir une bonne fois pour toutes verser son content de larmes" (Humain, trop humain I-166). Voilà la menace qui plane sur Hatem : la foule a beau dire, ce qu’elle réclame de son héros, c’est de le voir souffrir.
Comme elle est incapable, pour les raisons invoquées ci-dessus, d’admirer la méthode de l’artisan de la musique, de la peinture, du football, elle ne s’attache par conséquent à l’heure de faire les comptes qu’à des choses superficielles (trophées, buts, titres). Hatem Ben Arfa est sans doute le plus grand talent du football français. Ce qu’il fait sur nos terrains, beaucoup l’ont vu dans les salles de jeux, sur le synthétique ou sur le macadam. En revanche, personne n’a vu, sur une aussi grande pelouse et un seul contrôle de balle, un joueur affoler à ce point les défenses de France.
Le dernier en Europe à avoir été ainsi applaudi par les stades adverses s’appelait Lionel Messi. Et maintenant que Ben Arfa revient en équipe de France, il est passible de la même malédiction que l’Argentin quand il quitte son exil catalan et rentre au pays pour y défendre les couleurs de la patrie. Combien de matches vont passer avant qu’on exige de lui l’impossible, l’infaisable ? Combien de minutes la grâce va-t-elle se prolonger encore ? Combien de temps va durer cet intervalle sans ingratitude ? Les déserts sont remplis de prophètes.
A Nice, je suis au paradis
Nice est la ville de métropole la plus éloignée de Paris (c’est-à-dire de la France jacobine). Jouer à Nice en ce moment c’est donc être à la fois au centre et à la périphérie du football français. C’est se tenir tels des dieux sur l’Olympe; à la fois dedans et dehors, au-dessus de la mêlée. Or, si les divinités avaient le don de la parole, et vivaient au milieu des hommes, il y longtemps que les fidèles ici-bas auraient abattu tous les prêtres. De même si, par la grâce de quelques oracles, ils ne se rappelaient pas de temps à autres aux bons souvenirs des mortels, il y longtemps aussi que les hommes auraient tous opté pour la démesure. Partant, il n’y a que dans le silence du travail et de la retraite divine que l’artiste est admirable.
Le seul recours, au fond, c’est d’être Zidane : faire l’objet de toutes les prières et, depuis son exil madrilène, n’y accéder ensuite qu’avec parcimonie. Il faut être Zidane c’est-à-dire un héros mutique devenu roi de ses humeurs et, comble de la sagesse, capable de rester en silence tout en prenant la parole. On a déjà vu des statues pleurer des larmes de sang et parfois même accomplir des miracles. On a vu des Sphinx se faire lyncher pour des énigmes trop mystérieuses. La malédiction qui guette Ben Arfa serait de sortir de son exil et tâcher de répondre, une par une, à toutes les folles prières des dévots. Car aussi loin que peut aller la superstition des foules, on n’a jamais entendu le marbre parler.
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