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Wimbledon, le gang des "fous"

Bruno Constant

Mis à jour 15/03/2017 à 12:47 GMT+1

L’AFC Wimbledon est en passe de prendre sa revanche sur MK Dons, ancêtre délocalisé de l’ancien Wimbledon FC qu’il devance au classement et reçoit ce mardi. Mais connaissez-vous l’histoire du "Crazy Gang" de Wimbledon ?

AFC Wimbledon

Crédit: AFP

Il y a peut-être une justice dans le football. Après s’être fait voler leur club – le Wimbledon FC, délocalisé à Milton Keynes et renommé MK Dons par les dirigeants -, les supporters-fondateurs de l’AFC Wimbledon tiennent leur revanche. Promu en League One (D3) cette saison mais défait sur le terrain du désormais rival lors de la phase aller en décembre (0-1), l’AFC (13e) devance désormais le MK Dons (17e) qu’il accueille ce mardi.
Kingsmeadow, situé à quelques encablures du centre d’entraînement de Fulham, a remplacé l’enfer de Plough Lane démoli en 2002, l’année de la création du nouveau club par les supporters, mais dont la reconstruction a été autorisée par le maire de Londres et devrait voir le jour en 2019. La dernière étape du combat romantique d’un club dirigé de façon démocratique et dans les règles après avoir remonté une à une toutes les divisions de la pyramide du football anglais. Très loin de l’image du Crazy Gang – le gang des fous – comme il était surnommé dans les années 80. Il y avait Dave Beasant, le gardien, connu pour ses dégagements au pied qui atterrissaient dans les trente derniers mètres adverses, Walter Downes, dit "Wally", milieu de terrain, la grande gueule, capable de vous démolir rien qu'avec sa langue acide, Alan Cork, le "sensible", les Terry - Gibson et Phelan -, Dennis Wise, Andy Thorn, Lawrie Sanchez mais surtout Vinnie Jones et John Fashanu, les mauvais garçons, pour rester poli.
Donnez-le au boucher !
Onze ans avant son sacre à Wembley, Wimbledon sortait à peine du monde amateur, tout juste promu en D4. L’équipe était entraînée par Dave Bassett, un ancien joueur du club. "A nice guy (gentil garçon) en dehors mais un horrible connard sur le terrain", disait-on. Ce dernier décida de passer à un jeu direct qui partait généralement d’un long dégagement du gardien pour trouver ses attaquants. "Pourquoi faire vingt-cinq passes pour aller de l'autre côté si l'important est d’aller de l'autre côté ?", se justifiait Bassett, dont l'équipe tournait à dix-huit tirs, douze corners et autant de longues touches par match ! "L'idée était de foutre le bordel dans leur camp", souriait-il. "Nous n'arrosions pas la pelouse. Nous ne l'utilisions pas. Nous utilisions les airs", s'amusait Sam Hammam, l'ancien président libanais du club.
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AFC Wimbledon

Crédit: Eurosport

Et ça marche ! Le club accède à la D3 en 1983, en D2 l'année suivante puis en D1 en 1986 ! "Ce qui en faisait ch… plus d'un !", s'amuse, aujourd’hui, Downes. "Les autres équipes ne nous aimaient pas, affirme Sanchez. Ils n'aimaient pas nos infrastructures, ils n'aimaient pas notre façon de jouer." "Ils avaient un style unique, admet Gary Lineker. Ce n'était pas seulement un jeu direct avec de longs ballons, c’était incroyablement physique et très violent, parfois." Une caricature féroce du kick and rush.
"Si vous êtes dans la tranchée et que vous voyez un gars avec son fusil pointé sur vous, le doigt sur la gâchette, que faites-vous ? Vous tirez le premier !", lance Vinnie Jones, recordman de l'avertissement le plus rapide en Premier League, après seulement… trois secondes de jeu ! Fashanu lui donna le surnom du butcher (le boucher). "Donnez-le au boucher !", criait-il sur le terrain. "On en rigolait mais les autres équipes étaient effrayées", s'amuse Thorn. "Mettez-le dans le mixer, s’exclame Jones. Certains (adversaires) riaient : "Mettez le dans le mixer ? C'est quoi cette merde ?" Mais quand le ballon était en l'air, et que vous voyiez arriver un mec à gauche et un mec à droite. Bam ! On appelait ça le mixer."

Des toilettes bouchées avec du papier, du sel dans le thé

L'intimidation commençait bien avant le match. "Le stade était moche, le vestiaire horriblement minuscule et froid", se souvient Lineker. "On bouchait les toilettes avec du papier, raconte Phelan. On s'assurait que le vestiaire était glacial. On mettait du sel dans le thé, qu'il soit horrible." "Il y avait de la merde qui sortait du siphon des douches", poursuit Jones. "C'était tout un cercle psychologique pour qu'ils se disent : "On ne veut pas être là aujourd'hui" ", ajoute Phelan. Welcome to Plough Lane ! En D4, il n'y avait ni caméras, ni quatrième arbitre et les coups pleuvaient. Et parfois même avant d'entrer sur la pelouse, dans le tunnel, lorsque Vinnie Jones s'amusait à éteindre la lumière pour filer quelques beignes en douce.
"Faites en sorte de les regarder droit dans les yeux", lançait leur entraîneur, Bassett. "C'était comme une meute de loups attendant leur déjeuner", glisse Phelan. "Il y a eu quelques coups, nous étions un morceau de merde sur vos chaussures, glisse Jones. Et, lorsque l'un disait "calmez-vous", bam ! Il en prenait un autre ! Si vous veniez nous provoquer, c'était feu d'artifices !" L’ancien Gunner Martin Keown raconta un jour qu’il avait vu Vinnie Jones donner des coups de tête dans la porte des toilettes et Fashanu faire ses gestes d’arts martiaux juste avant d’entrer sur la pelouse. "C'était une bande de voyous", conclut-il. "On adorait le fait que tout le monde nous appelait le Crazy Gang", sourit Jones. "Nous étions les seigneurs de la guerre car, le samedi, à 15 heures, chaque match était une guerre, affirme Fashanu. Nous étions votre pire week-end !" "Vous pouviez être intimidés. Particulièrement si les choses tournaient mal", lâche Lineker.
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Vinnie Jones

Crédit: From Official Website

Fashanu plus taré encore que Vinnie Jones

Certains joueurs ne sortaient pas indemne de cette brutalité animale. Steve Bruce, l'actuel manager de Hull City, doit son nez cassé au gang de Wimbledon. Le genou de Gary Stevens (Tottenham) ne s'est jamais réellement remis du tacle de Vinnie Jones. Carrière terminée. Ce dernier s'est également chargé des parties intimes de Paul Gascoigne dont la photo reste célèbre. Mais John Fashanu, dit "Fash", était bien pire encore. Un vrai taré, dont la spécialité était le coup de coude au visage dans les duels aériens. Le même geste qui a valu trois matches de suspension à Zlatan Ibrahimovic, sanctionné après coup par la Fédération anglaise, et que Fashanu exécutait au moins une fois par match. Mais, à l’époque, il n’y avait pas autant de caméra de télévision…
Gary Mabbutt de Tottenham a même failli perdre un œil. "Certaines équipes ne venaient pas ici pour faire un résultat mais simplement avec pour objectif de repartir sans blessés, glisse Gibson. Imaginez l'avantage que cela nous donnait. Mais nous avons parfois dépassé les limites." "Sommes-nous allés trop loin ?", s’interroge Vinnie Jones. "Personne n'est mort sur le terrain, rétorque Fashanu, presque offensé par la question. La fierté détruite ? Oui, peut-être. Et alors ? ça fait partie du jeu." Ou plutôt du jeu de Wimbledon. "Nous devions le faire pour survivre", s'excuse presque Jones.
Cette violence sévissait également à l'intérieur du groupe. Lorsque les journalistes se rendaient au centre d'entraînement, il n’était pas rare pour eux de voir des joueurs rouler dans une voiture avec l'un de leurs coéquipiers attaché sur le toit ! John Hartson a vu ses vêtements brûler. Jones a mis le feu à la voiture de Cork. "Dave Bassett était le leader du gang", ajoute Dennis Wise. Lorsqu'il quitta le club pour Watford en 1987, ce fut une révolution, tout le monde voulait partir avec lui. Il fut remplacé par Bobby Gould (1987-1990). Pas un ange non plus. Ce dernier inventa le "circle" (le cercle) : si deux joueurs avaient un problème, ils le réglaient aux poings devant tous les autres, réunis en cercle. Et Gould y donnait de sa personne.
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John Fashanu

Crédit: AFP

Certains ont fini par admettre que l’équipe allait trop loin, en dehors du terrain bien sûr. "C'était effrayant, admet Cork. Certains étaient enfermés dans le coffre de la voiture, traînés sur le terrain, dans la neige, ou ne devaient pas manger pendant deux jours. Tout cela a changé les caractères. C'était une école difficile."
J'ai vu des joueurs physiquement détruits et pleurer à cause de ces abus
"Nous étions beaucoup de cas sociaux, des rejetés, explique Vinnie Jones. Si vous ne pouviez pas supporter les blagues, les abus, vous étiez out. C’est aussi simple que ça." "Certains n'ont pas réussi ou ont craqué", ajoute Fashanu. John Scales, timide et calme, restait de longues minutes dans sa voiture avant de se rendre à l'entraînement, terrorisé par toute cette brutalité. "Le crazy gangm'aurait englouti", admet-il. "C'était un droit sombre, socialement et émotionnellement, lâche Phelan. J'ai vu des joueurs physiquement détruits et pleurer à cause de ces abus." "Pour gagner le respect, vous avez besoin d'un élément de peur, assène Fashanu. Nous étions des jeunes hommes qui avaient beaucoup de colère. Wimbledon était le père et la mère que je n’avais pas." L’attaquant, né d’un père nigérian et d’une mère guyanaise, a été élevé à Barnado, un centre pour orphelins. "Nous étions comme une famille", glisse Jones.
Si ce dernier fut longtemps le symbole dégradant du crazy gang, le plus fou de tous était John Fashanu. Egocentrique, toujours le téléphone à l’oreille, le dernier et le plus gros qui soit. Il circulait en voiture avec chauffeur. Un jour, un joueur osa se mesurer à lui. "Il s'enferma avec lui dans le vestiaire. Je n'ai jamais rien vu de tel. Il jeta le mec comme une poupée de chiffon. Il balançait les bancs et le mollet du gars fut découpé en morceaux. Vingt ou trente points de suture ! Fash pouvait être hilarant, un mec très drôle, mais, lorsqu'il était énervé, il était très dur." Et c’est Vinnie Jones qui le dit ! Alors imaginez... Fâché avec Lawrie Sanchez, l’autre attaquant de l’équipe, Fashanu, les deux hommes ne se sont pas parlés ni congratulés après chacun de leurs buts pendant six ans !
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AFC Wimbledon fans

Crédit: Eurosport

Douze testicules de mouton à avaler contre deux joueurs de MU

Les dirigeants laissaient faire. On ne peut pas dire non plus qu’ils montraient l’exemple. A commencer par leur président, Sam Hammam. Un jour, le manager, Bould, lui réclama deux joueurs de Manchester United. Pour satisfaire sa demande, Hammam l'obligea à avaler douze… testicules de mouton. L’homme d’affaires libanais n'hésitait pas à inclure des clauses spéciales dans les contrats comme manger de la cervelle de chameau ou obliger cette "bande de fous", comme il disait, à assister à un opéra s'ils concédaient quatre buts ou plus. On est, ici, très loin des pizzas offertes par Claudio Ranieri à ses joueurs en cas de clean sheet lors de la saison du titre de Leicester. "Je ne connaissais rien au football. Je ne savais pas comment me comporter. Mais personne ne savait comment se comporter au club", se défendait Hammam.
Cette drôle d’équipée sauvage a pourtant écrit l’une des plus incroyables pages de l’histoire de la Cup : se hisser en finale à Wembley en 1988 et battre le grand Liverpool de Dalglish, champion en titre, grâce à un but de Lawrie Sanchez. "Cela a été le pire moment de ma vie, glisse Fashanu, car mon pire ennemi avait marqué ce but. Mais il fallait que j’embrasse ce connard !" Ce succès marquait à la fois l’apothéose du Crazy Gang et sa fin. Vinnie Jones signa à Leeds l’année suivante, Dennis Wise à Chelsea en 1990, d’autres suivirent et le déménagement du club à Selhurst Park finit d’achever l’âme, bien que détestable, de cette incroyable épopée. A l’AFC Wimbledon, désormais, d’en écrire une nouvelle. Avec la manière, si possible.
Bruno Constant fut le correspondant de L'Equipe en Angleterre de 2007 à 2016. Il collabore aujourd'hui avec RTL, Europe 1 et Rfi en tant que spécialiste du football anglais et vous livre chaque sa semaine sa chronique sur la culture foot de Sa Majesté.
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