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Leicester, l'hymne à la joie

Philippe Auclair

Mis à jour 05/10/2019 à 10:28 GMT+2

PREMIER LEAGUE – Trois ans après avoir réussi l'exploit du siècle en remportant le Championnat d'Angleterre, Leicester revit. Le club, actuellement troisième de Premier League, a retrouvé de l'allant. Grâce à Brendan Rodgers. Et à un environnement soudé, qui fait plaisir à voir. Et dont certains "géants" devraient s'inspirer.

Wilfred Ndidi félicité par Jamie Vardy à Leicester

Crédit: Getty Images

Certains mea culpa sont plus faciles à faire que d'autres, et c'est le cas de celui-ci. J'avoue que la nomination de Brendan Rodgers à Leicester m'avait pris de court, et que j'étais très loin d'imaginer que nous en serions où nous en sommes un peu plus de sept mois plus tard : à parler des champions de 2016 comme de candidats des plus sérieux à une place dans le Top 4 en fin de saison. Avec raison : hormis les deux ogres qu'on sait, aucune équipe n'a accumulé autant de points que les Foxes depuis que Brendan remplaça Claude. Je ne m'attendais certainement pas à ça - ce qui me fait me poser la question : pourquoi ne m'y attendais-je pas ? M'étais-je tout bêtement trompé ? Ou n'aurais-je pas plutôt été injuste ?
Avec le recul, je me rends bien compte de ce que mes doutes avaient d'irrationnel - en ce qu'ils étaient mûs par l'émotion au moins autant que par la réflexion, même s'ils n'avaient rien d'illogiques en eux-mêmes. Tout d'abord, Claude Puel, quoi qu'on lui reproche, avait subi un sort identique à celui des deux autres entraîneurs qui avaient servi ce club depuis son titre historique; son licenciement suivait un scénario déjà mis en scène, dont on peut résumer la trame ainsi : les joueurs - enfin, certains joueurs - voulaient la peau de leur manager, et l'avaient eue, une fois de plus.
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Wilfred Ndidi of Leicester City celebrates with teammates after scoring his team's fifth goal during the Premier League match between Leicester City and Newcastle United at The King Power Stadium on September 29, 2019 in Leicester, United Kingdom. (Photo

Crédit: Getty Images

L'aura qui entourait Claudio Ranieri ne l'avait pas empêché d'être victime d'une fronde de champions à qui leur sacre avait fait tourner la tête. Ouste ! Le coucou qui s'était glissé dans le nid de l'Italien, Craig Shakespeare, avait subi le même sort. Il avait redressé le cap, atteint les quarts de finale de la Ligue des Champions (où Leicester flanqua une frousse magistrale à l'Atlético de Simeone), puis se vit montrer la porte lorsque les mêmes mutins décidèrent qu'ils en avaient fait assez pour lui.

Puel n'y est pas pour rien

Puel, à qui il avait été fait appel avec l'objectif de rafraîchir un vestiaire encombré de gloires vieillissantes et, dans le cas de certains, malveillantes envers qui quiconque ne reconnaissait pas leur statut de héros, réussit en partie dans sa mission. Il ne fit pas que sauver le club de la relégation qui menaçait. De la même façon que le travail de Nigel Pearson avait mis en place les fondations sur lesquelles Claudio Ranieri allait bâtir sa campagne victorieuse, celui de Puel fournit la base sur laquelle Rodgers s'appuie toujours pour lancer son ambitieux projet.
Cela ne fait pas de mal de le rappeler : le Français avait purgé le groupe de quelques semeurs de trouble notoires, lancé de nombreux jeunes dans le grand bain, et encouragé quelques acquisitions dont le club qui le limogea en février dernier n'a pas vraiment eu à se plaindre : James Maddison, Çaglar Söyüncü, Ricardo Pereira et - sous forme de prêt - Youri Tielemans. Une nouvelle révolte eut raison de lui, tout autant (et c'est là une conviction dont je ne me suis pas départi) que la qualité du jeu proposé par son équipe, en aucun cas aussi lent et médiocre que ce qu'on a pu affirmer alors.
Les circonstances du départ de Rodgers du Celtic avaient ajouté au sentiment de malaise qui entoura la succession de Puel. Les Bhoys étaient alors sur le chemin d'un troisième triplé championnat - coupe d'Ecosse - coupe de la League d'Ecosse consécutif, un exploit sans précédent dans l'histoire du football écossais. Parlez aux supporters du Celtic aujourd'hui : la plaie ne s'est pas refermée. Ils ont toujours le sentiment d'avoir été trahis par un homme qui n'avait jamais hésité à jouer et à surjouer la carte de son attachement viscéral au club qui est aussi le porte-drapeau de la communauté catholique nord-irlandaise dont il est issu.
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Brendan Rodgers

Crédit: Getty Images

Ne pas sous-estimer Rodgers

Et, enfin, il y a la personnalité de Rodgers, parfois comparée en Grande-Bretagne à celle de David Brent, le personnage incarné par Ricky Gervais dans The Office. Quiconque connait la série télévisée sait qu'il ne s'agit là pas vraiment d'un compliment. Rodgers, dirons-nous, et je m'en tiendrai là, ne fait pas dans l'auto-dérision. Il est parfois difficile de prendre vraiment au sérieux les gens qui le font pour deux. La conséquence, pour Rodgers - que cette perception soit juste a ou pas - est qu'on tend à sous-estimer ses qualités et son parcours de technicien; et je m'inclus dans ce 'on'.
Même en laissant de côté son sans-faute au Celtic, géant dans une cour de nains, ce n'est pas un manager de catégorie 'B' qui aurait pu accomplir ce qu'il a accompli à Watford (sauvé de la relégation), Swansea (promotion en Premier League, puis maintien) et Liverpool, qu'il fut à deux matchs ratés contre Chelsea et Crystal Palace de mener au titre, avec un effectif bien moins rutilant que celui dont dispose Jürgen Klopp, Luis Suarez excepté. Et toujours en jouant un football entreprenant, et néanmoins réfléchi ("je veux que mes joueurs aient aussi mal au cerveau qu'aux jambes après les entraînements", dit-il), qui est en passe de trouver son expression la plus équilibrée et la plus séduisante à Leicester.
Je me trouvais récemment à Bruxelles, où un technicien belge proche de Youri Tielemans me raconta comment le joueur qu'il avait vu grandir à Anderlecht avait refusé des offres pourtant plus rémunératrices de deux clubs du Top 6 de PL pour demeurer à Leicester. Le jeune milieu de terrain prenait tout simplement tant de plaisir à vivre dans ce club et à jouer dans cette équipe que la question d'un départ ne se posait même pas pour lui. "Leicester, c'est gai", comme on dit en Belgique. Pourquoi aller ailleurs ?

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Jamie Vardy celebrates scoring Leicester's first goal during the Premier League match against Bournemouth at The King Power Stadium on August 31, 2019.

Crédit: Getty Images

Allant, panache, vista et équilibre

La ville ne respire pourtant pas la joie de vivre, si l'on s'en tient à son architecture ou à sa santé économique. Elle n'est pas déprimée comme certaines autres métropoles pudiquement qualifiées de 'post-industrielles', certes. Elle vivote. Mais son côté glamour ne saute pas aux yeux.
Tout change néanmoins lorsqu'on arrive au King Power Stadium les jours de match. Ce qu'on y ressent est autre. C'est une forme de joie qui est bien rare dans le football du 21e siècle, une certaine légèreté d'être qui se sent aussi bien dans les tribunes que sur l'aire de jeu et qui, paradoxalement, a aussi ses racines dans une tragédie, la disparition du propriétaire du club, l'homme d'affaires thailandais Vichai Srivaddhanaprabha, dans un accident d'hélicoptère survenu juste en dehors du stade. 'Vichai', comme tous l'appelaient, était immensément populaire auprès des joueurs et des supporters du club, qui le considéraient comme l'un des leurs. Son fils Aiyawatt, dit 'Top', l'est tout autant depuis qu'il devint président de Leicester à la suite du décès de son père, se montrant aussi disponible et généreux que ce dernier.
On doit se méfier des portraits à l'eau de rose, évidemment; comme Balzac le rappelait un peu plus brutalement, on ne devient pas richissime sans se montrer impitoyable quand cela est nécessaire, et parfois quand ce ne l'est pas. Mais ce qu'on ne peut nier, c'est qu'il existe une cohésion tout à fait inhabituelle dans la pyramide de Leicester, depuis la base des supporters jusqu'au sommet, le multimilliardaire qui contrôle leur club. Oui, Leicester se porte bien, et c'est comme si ce qu'on voyait sur la pelouse était la traduction de ce bien-être des plus inhabituels.
Leicester a de l'allant, du panache, de la vista, mais aussi un équilibre dont Manchester United et Arsenal, par exemple, peuvent être envieux. On s'attarde sur la forme retrouvée de Jamie Vardy. On se demande comment Ricardo Pereira - l'ancien de l'OGC Nice, le meilleur arrière droit de Premier League ? - a pu échapper à des clubs plus prestigieux. On admire Ben Chilwell, appelé à devenir l'arrière gauche de la sélection anglaise pour les dix ans à venir. On se régale de l'inventivité et de la justesse technique de James Maddison. On est épaté par la charnière centrale formée de Jonny Evans et de Caglar Soyuncu. On l'est encore plus par Brendan Rodgers, qui, dit-on, prend soin de tous dans son nouveau club, des réceptionnistes aux scouts, et est en train de modeler le club à son image, une image qui est bien différente de celle qu'il projetait autrefois, notamment à Liverpool.
Et pour tout cela, pour ce que Leicester apporte de plaisir et de joie, j'espère bien ne pas avoir faire un mea cupa d'un tout autre genre à la fin de cette saison.
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