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Liverpool - Arsenal - Xhaka, coupable idéal ou comment tirer des leçons de tout et n'importe quoi

Philippe Auclair

Mis à jour 11/04/2023 à 09:44 GMT+2

Dans sa nouvelle chronique, Philippe Auclair revient sur la dictature des enseignements et des leçons à tirer après chaque match de football. L'Angleterre a ainsi jugé qu'Arsenal avait perdu pied à Anfield le week-end dernier quand Granit Xhaka avait provoqué Alexander Trent Alexander-Arnold. Cette dictature du narratif fausse le jugement pour notre chroniqueur de la Premier League.

Granit Xhaka of Arsenal is confronted by Trent Alexander-Arnold and Ibrahima Konate during the Premier League match between Liverpool and Arsenal at Anfield on April 09, 2023 in Liverpool, England

Crédit: Getty Images

Les journalistes britanniques ne détestent rien de plus qu'un but décisif inscrit dans les dernières secondes d'un match. C'est qu'à la différence de ce qu'on attend de leurs collègues du continent, ils ont pour ordre d'expédier leurs compte-rendus "on the whistle", autrement dit, dès que le coup de sifflet final a retenti. Alors, mettez-vous à la place de ceux qui étaient à Barcelone le 26 mai 1999. 91e minute, but de Teddy Sheringham, 1-1. 93e minute, but d'Ole-Gunnar Solskjaer, 2-1, Manchester United, jusque-là ballotté par le Bayern, est champion d'Europe. Tout, ou presque, est à ré-écrire.
Et mettez-vous à la place de ceux qui étaient à Anfield ce dimanche, et imaginez qu'après l'arrêt à bout portant d'Aaron Ramsdale sur le coup de poitrine d'Ibrahima Konaté au bout du bout d'un match étourdissant, Gabriel Martinelli ajuste mieux sa passe pour Bukayo Saka, et que celui-ci, face à Alisson, ne tremble pas. Qu'aurait-on écrit alors? Certainement pas ce qu'on entendit d'abord dans la bouche des consultants de Sky Sports et qu'on lut ensuite dans toute la presse anglaise. Mais Gabriel Martinelli, fatigué par une heure et demie d'efforts incessants, mit une fraction de seconde de trop pour frapper son ballon. Il n'y eut pas de miracle pour Arsenal dans ce match au scénario insensé.
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Arsenal a concédé le nul à Liverpool

Crédit: Getty Images

"Scénario". Tout est là. Dans nos esprits, tout match de football doit suivre le fil d'un narratif. Le sport doit fonctionner en vertu d'un ordre établi, mais établi par ceux qui le regardent et le commentent, pas par ceux qui l'exécutent. Ceux-là demeurent fondamentalement des improvisateurs, qui ont répété leurs gestes techniques et leurs enchaînements avec le même soin que les grands musiciens de jazz répètent leurs gammes, pour pouvoir, justement, mieux improviser. En football, on a des consignes à respecter, pas une partition à suivre au pied de la note.

Xhaka aurait réveillé Anfield

Cela ne signifie pas qu'un match puisse échapper à toute logique. Cela signifie seulement que nous avons beaucoup de mal à accepter que la logique ne soit que l'une des dimensions par lesquelles l'appréhender. Une nouvelle preuve en a été donnée ce dimanche lorsque, sur le moment comme après coup, on a voulu voir en un simple fait de jeu une explication, pour ne pas dire "the explication" du brutal retournement de situation qui affecta une rencontre jusqu'alors totalement maîtrisée par Arsenal.
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Granit Xhaka et Trent Alexander-Arnold

Crédit: Getty Images

Ce fait de jeu, c'est la brève confrontation qui opposa Granit Xhaka à Trent Alexander-Arnold cinq minutes avant la pause, un incident qui, s'il avait impliqué quelque autre joueur que le milieu de terrain suisse (et l'arrière droit anglais), n'aurait certainement pas inspiré les commentaires qu'on put lire ce lundi matin dans les médias britanniques, sous la plume de Paul Joyce du Times, par exemple.
En réagissant à la poussette dans le dos d'Alexander-Arnold, allant front contre front, Xhaka avait piqué au vif l'ours qui dormait, nous expliqua-t-on. La chose à ne pas faire ! Surtout ne pas réveiller Anfield ! Poussé par un public qui avait enfin une raison de sortir d'une torpeur qui n'a rien d'inhabituel dans un stade souvent des plus calmes, Liverpool retrouva son énergie et son football.
On revit soudain la machine infernale qui avait fait exploser Manchester United 7-0 il y a un mois et qui, sans une performance exceptionnelle d'Aaron Ramsdale dans le but des Gunners - et un nouveau raté de Mohammed Salah depuis le point de pénalty -, aurait pu, dû faire aussi exploser Arsenal. Tout cela, nous dit-on le plus sérieusement du monde, était un peu, beaucoup la faute du suspect habituel, Granit Xhaka, qui ne changera décidément jamais.
Xhaka, pourtant, a changé, dans son attitude sur le terrain comme dans son positionnement. L'avertissement qu'il reçut pour avoir réagi - stupidement, ça, personne ne le niera - était son quatrième en trente matches disputés cette saison, soit trois de moins que Scott McTominay, alors que l'Ecossais de Manchester United comptabilise moins de la moitié du temps de jeu du capitaine de la Nati. Et un de moins que Harry Kane.
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Granit Xhaka (Arsenal)

Crédit: Getty Images

Et Arteta dans tout ça ?

Mais puisque nous sommes les esclaves de narratifs pré-établis, dans lequel chacun doit s'en tenir au rôle qui lui a été dévolu, le coup de sang de Xhaka fut aussi interprété comme un "retour au naturel", et l'illustration de ce que cet Arsenal a encore et toujours des failles pour ce qui est de sa discipline. L'air est connu, et date du temps où les joueurs d'Arsène Wenger faisaient collection de cartons rouges. Il est usé jusqu'à la corde, n'a plus aucun sens, mais qu'importe.
Il est frappant que des observateurs aussi fins que Gary Neville et Jamie Carragher, qui se partageaient l'analyse du match pour Sky ce dimanche, aient immédiatement choisi de monter en épingle le face-à-face - littéral - entre Xhaka et Alexander-Arnold, auquel il est tout de même curieux qu'on n'ait rien reproché. C'était comme s'il fallait surtout ne pas laisser passer l'occasion de retrouver un narratif avec lequel commentateurs et auditeurs seraient familiers. Ou Neville et Carragher sauraient-ils quelque chose que nous ne comprendrons jamais nous-mêmes, eux qui ont foulé cette pelouse d'Anfield lorsque les tribunes s'enflammaient?
De fait, Mohammed Salah réduisit l'écart deux minutes plus tard. De fait, Liverpool domina vingt-cinq des trente premières minutes de la seconde période. Mais - on l'a déjà oublié -, ce sont les Gunners qui créèrent le danger lors des dix minutes suivantes, passant tout près du 3-1 en deux occasions, avant que Mikel Arteta ne fasse le choix de passer à une défense à cinq en remplaçant Martin Odegaard par Jakob Kiwior à la 80ème minute, invitant ainsi les Reds à presser encore plus fort, encore plus haut.
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Mikel Arteta, Manager of Arsenal, reacts during the Premier League match between Arsenal FC and Leeds United at Emirates Stadium on April 01, 2023 in London, England.

Crédit: Getty Images

Peut-être que Neville et Carragher savent quelque chose à quoi le commun des mortels ne peut qu'assentir sans pouvoir le partager. Mais peut-être sont-ils eux aussi aveuglés par les narratifs qu'on plaque sur le football dans notre désir d'apprivoiser son chaos. Ni l'un ni l'autre ne s'attardèrent sur le changement tactique de Mikel Arteta, dont l'impact se fit pourtant immédiatement sentir, et pas en bien. Mais c'est ainsi. Il faut tirer des 'leçons', des 'enseignements' de tout. Il faut s'en tenir au script. Xhaka, Xhaka, Xhaka. Le fameux narratif, au bout du compte, n'explique rien. Il est un tyran, et les tyrans n'ont pas pour habitude de s'imposer par la raison.
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