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Paris sportifs – Premier League, complicités dangereuses et financement scandaleux

Philippe Auclair

Mis à jour 30/06/2023 à 15:53 GMT+2

Fulham et Burnley ont officialisé ce mercredi leurs nouveaux sponsors. Comme d'autres clubs de Premier League avant eux, les deux clubs feront la promotion de bookmakers illégaux. Les clubs anglais n'en finissent plus d'accepter l'argent d'opérateurs très obscurs qui dominent le marché asiatique. Philippe Auclair revient sur ses relations troubles et dangereuses.

Fulham sponsorisé par W88

Crédit: Getty Images

Le 'Livre Blanc' du gouvernement britannique sur les paris sportifs, attendu depuis des lustres, enfin publié au printemps, était passé par là. La Premier league allait tourner le dos, 'volontairement' à l'une de ses sources de financement les plus problématiques : les bookmakers. Pas tout de suite, mais bientôt, à partir de 2026. Pas 'problématiques', en fait, car les euphémismes, ça suffit. 'Scandaleuses', oui.
Car les clubs de Premier League ne font pas seulement affaire avec les bookmakers légaux, qui sont pourtant treize à la douzaine au Royaume-Uni. Leur regard porte plus loin, vers Singapour, Macao, Hong-Kong, Kuala Lumpur, Bangkok, Manille et, surtout, Guangzhou, Shanghai et Beijing, vers l'Asie du Sud-est et la Chine, cet Eldorado du jeu.
Il est pourtant illégal de parier sur le football dans tous ces pays extrême-orientaux. Malheur à ceux qui se font pincer, qu'ils soient simples parieurs ou agents. A Singapour, par exemple, qui mise quelques dollars sur le résultat d'un match de Premier League risque une peine de prison pouvant aller jusqu'à quatre ans de réclusion.
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Illan Meslier, le gardien français de Leeds United.

Crédit: Getty Images

Des grands noms font la promotion de bookmakers illégaux

En Chine, chaque année, des milliers d'intermédiaires payés à la commission par les syndicats criminels qui contrôlent les paris en ligne dans cette partie du monde sont mis à l'amende ou embastillés. Cachés derrière de multiples sociétés-écrans, leurs dollars bien en sécurité dans les comptes bancaires qu'ils ont ouverts dans des paradis fiscaux, les patrons, eux, ne risquent rien.
Cela n'empêche pas les grands noms du football anglais d'accepter l'argent des opérateurs qui dominent le marché asiatique. Ce mercredi 28 juin, deux clubs de Premier League ont annoncé quasi-simultanément que leurs maillots seraient floqués du logo de deux de ces bookmakers illégaux. Fulham donnera visibilité et crédibilité à la marque SBOTOP, sponsor principal de Leeds United depuis 2020; et Burnley, fraîchement promu, sera associé à W88, ancien partenaire de Wolverhampton, Crystal Palace, Aston Villa et, tiens?, Fulham, ce récidiviste des complicités douteuses.
Les supporters de ces deux clubs ont réagi furieusement à ces annonces, comme ceux d'Aston Villa l'avaient fait il y a quelques jours, lorsque le club d'Unai Emery avait essayé de faire avaler la pilule d'un contrat de sponsoring de trois ans (!) avec l'opérateur malaisien BK8 en essayant de faire passer son nouveau partenaire pour une organisation caritative dans un communiqué de presse qui touchait au surréel.

L'argent, toujours l'argent

On peut se demander comment et pourquoi des clubs qui, même s'ils finissaient bons derniers du championnat d'Angleterre, toucheraient davantage en droits TV que Séville, vainqueur de Ligue Europa et qualifié pour la Ligue des Champions, continuent de prêter, ou plutôt de vendre leurs noms à des associés aussi douteux. La réponse à cette question ne surprendra personne. D'argent, ces clubs n'en ont jamais assez, et les bookmakers asiatiques qui les contactent via quelques agents spécialisés tout aussi douteux qu'eux-mêmes en proposent davantage que quelque autre candidat à une place de choix sur le devant ou les manches de leurs maillots. Le premium se chiffre en millions.
Ces opérateurs illégaux s'en moquent, car le jeu en vaut largement la chandelle pour eux. Leurs chiffres d'affaires sont si colossaux - pensez milliards, pas millions - que les sommes engagées ne représentent qu'une portion insignifiante de leurs bénéfices. Ils savent qu'aucune autre compétition sportive n'est suivie avec autant d'intérêt que la Premier League dans leurs marchés-cible. Et comme il leur est interdit de mettre en place des partenariats de ce type en Espagne, en France ou en Allemagne, où ces opérateurs illégaux ne peuvent obtenir de licence, ont-ils vraiment le choix, d'ailleurs?
L'Angleterre leur suffit amplement, cette Angleterre si accommodante qu'elle distribue les licences à la louche sans regarder de trop près qui exactement se cache derrière ces drôles de noms. Tant que les cases idoines sont cochées, l'autorité de tutelle britannique des jeux d'argent, la UK Gambling Commission, tamponne le permis sans se montrer trop curieux.
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Leeds United's Brazilian-born Spanish striker Rodrigo celebrates scoring the opening goal during the English Premier League football match between West Ham United and Leeds United at the London Stadium, in London on May 21, 2023.

Crédit: Getty Images

Crime organisé

Le tour de passe-passe est enfantin. Ces bookmakers illégaux, dont tout laisse penser qu'ils sont contrôlés au bout du compte par le crime organisé, les triades de Macao et de Hong-Kong entre autres, ne font pas la demande eux-mêmes, mais passent par quelques officines spécialisées, toutes basées dans des 'possessions de la Couronne' telles qu'Aurigny ou l'île de Man, le noeud de vipères de cette industrie, qui, elles, se chargent de faire homologuer la marque désirée auprès des autorités dites 'compétentes'.
La plus active de ces officines, TGP Europe, basée à Douglas, capitale de l'île de Man, a ainsi pu acquérir des licences pour les nouveaux partenaires asiatiques de Crystal Palace (Kaiyun), Fulham (SBOTOP) et Aston Villa (BK8), comme ils l'avaient fait pour ceux de Manchester City (8XBet) et de Nottingham Forest (6686) l'an dernier, permettant ainsi à ces clubs de prétendre faire affaire avec un opérateur britannique plutôt qu'avec des bookmakers illégaux dont ils ignorent tout, ou veulent tout ignorer, jusqu'aux noms de leurs propriétaires.
Parlant de propriétaires, il se trouve que celui de TGP fut au moins un temps Alvin Chau, l'un des rois des casinos de Macao, membre présumé de la triade 14k, qui fut condamné à 18 ans de prison en janvier dernier pour une série de crimes tous liés aux paris illégaux.
Ceci aurait pu donner matière à réflexion aux clubs de Premier League, à la Premier League et à la UK Gambling Commission, et peut-être les rendre plus hésitants au moment de signer leur prochain contrat de sponsoring ou de tamponner la prochaine attribution de licence. Il n'en fut rien. Il n'en sera rien, au moins jusqu'en 2026, quand, c'est promis, c'est juré, le championnat anglais se sèvrera de lui-même de son addiction aux dollars venus d'Extrême-Orient.
En attendant, pourquoi pas une dernière visite au buffet auquel la Premier League se sert si goulûment, depuis si longtemps, histoire de se remplir une fois de plus la panse ?
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