Tottenham - L'anachronique Harry Kane, le meilleur des joueurs sans trophée

Malheureusement pour lui, Harry Kane ne joue pas en NBA. A Los Angeles, quand LeBron James bat le record de points inscrits dans la Ligue, le match s'arrête, Kareem Abdul-Jabbar débarque sur le parquet pour une photo souvenir, la NBA alimente le monde entier de la légende qui s'écrit sous nos yeux, le match ne devient plus qu'un prétexte et plus personne ne se souvient que les Lakers ont perdu ce soir-là. Devenu meilleur buteur de l'histoire des Spurs (de Tottenham, pas de San Antonio), Kane, lui, a eu droit à une bannière sur les écrans du stade ("Félicitations Harry"). Et c'est tout.

Voilà qui dit tout entre un sport américain qui glorifie les performances individuelles et les statistiques quand le football préfère célébrer les succès collectifs. Or, aujourd'hui, la colonne palmarès d'Harry Kane reste désespérément vide et sa sortie de route en Ligue des champions a bien plus fait parler que son record de buts. Aujourd'hui, Kane est un extra-terrestre, un cas presque anachronique.

A l'heure où les superstars ont tendance à se regrouper dans les mêmes clubs pour confisquer les trophées, lui reste fidèle à son club de toujours (hormis quelques prêts sans histoire), celui qui le faisait rêver dans sa jeunesse, quitte à mettre à mal son héritage et abîmer la trace qu'il laissera au moment de raccrocher. Aujourd'hui, l'Anglais est le meilleur joueur du monde à n'avoir jamais rien gagné, même pas une petite League Cup, et c'est à se demander comment un joueur de son calibre, toujours présent dans le classement du Ballon d'Or depuis 2017, a bien pu en arriver là à l'aube de ses 30 ans.

D'abord parce que Tottenham a beau ne plus rien gagner depuis 15 ans, il a les reins assez solides pour conserver qui il souhaite. Telle est la magie de la Premier League où les clubs n'ont nul besoin de performer pour remplir leur coffre-fort. La seule fois où Kane a voulu mettre les voiles, à l'été 2021, les Spurs ont mis des barbelés suffisamment dissuasifs pour qu'il se ravise. Depuis, Kane continue de planter comme une machine avec club et sélection en passant à côté des honneurs de fin de saison.

Dans l'histoire de la Premier League, seuls Alan Shearer et Wayne Rooney ont marqué plus de buts que lui désormais. Deux hommes qu'il n'aura pas du mal à dépasser si les blessures l'épargnent. Deux hommes qui ont laissé des traces bien différentes dans l'histoire de leur sport. Pour avoir choisi son club de cœur, Newcastle, au moment où tout le Royaume se jetait à ses pieds, Shearer en est resté à un titre de champion acquis avant son retentissant transfert, du côté de Blackburn.

Rooney, lui, a rapidement laissé son club, Everton, pour signer à Manchester United (qui ont longtemps rêvé de Shearer avant de cibler Kane depuis 2019 au moins). Cinq fois vainqueur de Premier League, lauréat de la Ligue des champions, de la Cup, de la League Cup et de tous les trophées imaginables en club, Rooney est devenu une légende absolue du plus grand club anglais du XXIe siècle. "Il n'y a pas un seul jour où je repense à ma carrière et où je me dis que j'aurais dû aller à Manchester United pour gagner des trophées. Pas une seule fois", confiait pourtant Alan Shearer à la BBC.

Comment se mesure le succès d'une carrière ? Les triomphes collectifs avant les exploits personnels. Shearer reste toutefois dans la postérité pour son record de buts plus que pour son titre de champion. Mais la carrière de Rooney est incomparable avec celle de ceux qui l'entourent au classement des meilleurs scoreurs de Premier League. Parce qu'il a tout gagné avec MU. Les Red Devils reviendront à la charge cet été, comme à chaque trêve, pour faire la cour au prince Harry de Tottenham.

"Dire qu'il va terminer sa carrière là-bas et jouer pour ce type de performance… Je ne comprends tout simplement pas. Il doit aller là où il pense qu'il peut gagner des trophées", l'a exhorté cette semaine Rio Ferdinand. Même son de cloche chez Thierry Henry : "Il doit partir, a jugé cette semaine le meilleur joueur de l'histoire d'Arsenal. Si j'étais lui, je ne pourrais pas dormir la nuit si, à la fin de ma carrière, je ne pouvais mettre en avant que mes buts." Et pourtant, Thierry Henry est un immense fan de la NBA…