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A l'AS Rome, ses méthodes n'avaient pas marché

Johann Crochet

Publié 20/05/2014 à 09:46 GMT+2

Luis Enrique n'est resté qu'un an à l'AS Rome, en 2011-2012. A l'époque, notre blogueur Johan Crochet nous expliquait les raisons de son échec. Retour en arrière.

Luis Enrique a vécu une saison difficile à l'AS Rome en 2011-2012

Crédit: Panoramic

Luis Enrique n’aura tenu qu’un an dans la douce folie romaine. Un an pendant lequel le technicien espagnol aura, à n’en pas douter, beaucoup appris. Mais il n’est pas le seul. Les tifosi romanisti auront appris la patience, les joueurs, de nouvelles méthodes d’entraînement, et le foot italien, qu’un projet novateur sur le papier n’est pas gage de réussite. De la préparation à Riscone di Brunico en juillet aux derniers matches du mois de mai, retour sur une saison chaotique et sur le départ d’un entraîneur qui aura fait l’unanimité.

L’éthique d’un homme digne

Le mot "projet" est arrivé en même temps que les nouveaux propriétaires à la Roma. Ce projet a comporté – et comporte toujours puisque le départ de Luis Enrique ne remet pas la stratégie globale en cause – trois volets. Le premier est sportif, évidemment. Le second est économique avec le développement de la marque "AS Roma", tandis que le dernier, pas le moins important, concerne l’éthique et les comportements à adopter au sein d’un club qui veut plaire à tout le monde et se montrer irréprochable. Luis Enrique correspondait parfaitement aux deux volets concernant le travail sur le terrain.
La discipline a toujours été une chose très importante aux yeux de Luis Enrique. Attention, pas la discipline à la Capello qui interdit la Playstation à l’hôtel, le téléphone dans le vestiaire ou l’utilisation du room service. Non, l’entraîneur espagnol a insisté sur plusieurs éléments d’une banalité sans nom, mais qui ont pourtant du mal à être respectés aujourd’hui avec ces joueurs tout-puissants. Osvaldo et Daniele De Rossi en ont fait les frais : le premier a été suspendu une semaine après avoir giflé Lamela dans une embrouille de vestiaire post-défaite à Udine, tandis que le second, intouchable et Capitan Futuro, a terminé en tribune à Bergame pour un retard de quelques minutes à la réunion technique d’avant match.
Car c’est l’un des autres aspects du management de Luis Enrique. Le CV ne compte pas. Que le joueur soit champion du monde ou débutant, les exigences sont les mêmes. Les performances alignées à l’entraînement déterminent les choix de composition de Luis Enrique le week-end suivant. Et peu importe si cela chamboule les compositions et si le manque d’automatisme s’en ressent. Un mal pour un bien en quelque sorte. Et Totti a été le premier à goûter à ce nouveau management : sa chambre à Trigoria (centre d’entraînement de la Roma) lui a été retirée, sa demande de participation à la conférence de presse de rentrée avec le nouveau président et le nouvel entraîneur n’a pas été acceptée et son statut ne lui a pas permis d’être titulaire lors du match aller d’Europa League à Bratislava. Coup dur pour Totti et explications viriles avec Luis Enrique avant que tout rentre dans l’ordre. Au fond de lui, Totti a vite su qu’il devrait s’adapter, et l’Espagnol s’est vite rendu compte que sans Totti sur le terrain, l’animation offensive était catastrophique.
Dernier point majeur du renouveau de la Roma et du changement de comportement, le respect des arbitres. En Italie, accuser les arbitres quand la défaite est au bout est une banalité qui en devient inquiétante. Conte et Allegri ont passé leur temps à se chercher sur le sujet lors des trois derniers mois de Série A. Un duel à l’ancienne qui m’a rapidement procuré des nausées. Au sein de la Roma, les joueurs ont reçu la consigne de ne jamais rejeter la faute sur les arbitres. Même ligne de conduite chez les dirigeants et l’entraîneur. Une attitude rafraîchissante. Après Roma-Catane, et alors qu’il savait déjà qu’il partirait, et suite à un pénalty évident refusé à Bojan, Luis Enrique a été fidèle à ses principes : "arbitre est le métier le plus difficile du monde" et a refusé de commenter l’épisode. Il a préféré endosser toute la responsabilité de ce nouveau résultat décevant (2-2) car Luis Enrique a, non seulement toujours protégé ses joueurs, mais toujours assumé ses responsabilités face à des prestations insatisfaisantes.
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Luis Enrique lors son passage à la Roma

Crédit: AFP

Les réponses tactiques d’un novice

Et du point de vue des résultats, Luis Enrique a eu de nombreuses occasions pour prendre les responsabilités des échecs sur son dos. Avec seulement 53 points en 37 journées, le constat est terrible. Quinze victoires pour quatorze défaites. 57 buts marqués et 52 encaissés. Soit la 7e plus mauvaise défense du championnat. Les Giallorossi ont encaissé trois buts ou plus lors de cinq matches de championnat.
Luis Enrique a tenté d’imposer un style fait de conversation de balle, "à la catalane" même s’il s’est toujours refusé à pareille comparaison, comme pour mieux s’enlever de la pression et ne pas décevoir les gens. Mais cette tactique a rapidement été comprise par les entraîneurs adverses qui ont préparé des dispositifs tactiques pour mieux contrer les Romains. S’en sont suivis tout au long de la saison, des buts encaissés sur des contre-attaques ultra rapides, menées sur les côtés avant de se conclure dans l’axe, profitant ainsi des boulevards laissés par des latéraux obnubilés par l’idée d’apporter un surnombre offensif pour faire sauter les verrous. Luis Enrique a fait un constat très rapide : celui que les entraîneurs adverses étaient autrement mieux préparés en Italie qu’ailleurs, et où la culture tactique surdéveloppée entraînait des dispositifs adaptés aux adversaires. Quand les autres techniciens ripostaient, Luis Enrique ne parvenait pas à changer de tactique.
Autre élément important de la gestion sportive de Luis Enrique, le turn-over. Il a été présent lors des onze mois de gouvernance. Les charnières ont changé, les latéraux aussi, le trio d’attaque également. Taddei, milieu offensif de formation s’est retrouvé arrière gauche, arrière droit mais jamais à son poste. À sa décharge, les blessures et les suspensions ont parfois imposé ce turn-over mais parfois non. Un manque de continuité évident et des automatismes inexistants.

Les responsabilités d’un club

Certains tifosi, les plus impatients, ont donc parfois réclamé la tête de Luis Enrique quand une défaite humiliante venait conclure une semaine personnelle compliquée. C’est qu’à Rome, le travail est un luxe et la situation économique très délicate. Mais l’entraîneur est loin d’être le seul responsable.
Les joueurs n’ont pas été à la hauteur. Certains ont fait des petits caprices de star, d’autres ont préféré mettre des coups à des adversaires plutôt que se montrer décisifs (Lamela, Osvaldo), et le mercato a été globalement très décevant : José Angel ne s’est pas adapté, Kjaer s’est écroulé, Lamela est encore jeune, Stekelenburg est tout sauf rassurant, Osvaldo "veut avoir l’attitude d’une rock-star mais joue comme une danseuse" (entendu à Rome la semaine dernière) et des joueurs ont plongé physiquement en fin de saison comme Gago, Heinze et Pjanic.
Les dirigeants sont coupables de ce mercato en grande partie raté et Sabatini (directeur sportif) prend sur lui le manque d’ajustement réalisé au mercato hivernal, notamment sur le plan défensif. Après tout, Luis Enrique a aussi composé avec les joueurs qu’il a eu à disposition, il ne faut jamais l’oublier quand on fait le bilan.
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Luis Enrique n'aura tenu qu'un an sur le banc de l'AS Rome

Crédit: AFP

L’unanimité autour du changement

Cette décision de Luis Enrique de quitter la Roma au bout d’un an seulement a quelque chose d’intrigant. Tout d’abord car aucun entraîneur n’a réalisé de miracle à la Roma dès sa première saison. Capello a ainsi terminé 6e en 1999-2000 tandis que Spalletti avait conclu sa première année à la 5e position (2005-2006).
Et puis, l’homme et l’entraîneur a toujours fait l’unanimité. Franco Baldini, très réputé en Italie (sauf dans le carnet noir de Moggi), a été jusqu’à mettre son poste en jeu pour défendre Luis Enrique. Arrigo Sacchi a couvert d’éloges l’entraîneur espagnol. Voici une de ses déclarations : "Je suis content de les voir jouer ainsi. Le jeu de la Roma ouvre de nouveaux horizons à notre conscience. De plus, quand vous pratiquez ce genre de jeu, les jeunes percent et Luis Enrique est en train de combler beaucoup de lacunes dans le foot italien". Roberto Baggio a étudié les entraînements de l’Espagnol et s’est montré très enthousiaste. Marco Di Vaio a expliqué qu’il avait rarement vu une équipe aussi impressionnante. Totti et De Rossi ont toujours défendu leur entraîneur. Déclaration de circonstance me direz-vous ? Il n’en est rien, cela ne s’était pas produit avec les anciens entraîneurs et l’attachement à Luis Enrique était sincère.
Alors pourquoi a-t-il décidé de jeter l’éponge aussi rapidement ? C’est troublant. On le dit fatigué, en état de stress permanent car la pression est difficile à supporter. Impossible de l’imaginer depuis la France mais cette pression constante est proche de la névrose. La Roma est suivie par des dizaines de radios locales, des dizaines de sites qui envoient leurs rédacteurs chaque jour à Trigoria et cherchent à créer du buzz. Tout cela est compliqué à gérer.
Luis Enrique préfère évoquer un autre élément. Celui d’avoir "l’impression de ne pas pouvoir donner 100% de soi-même pour faire progresser l’équipe." Certains y verront un manque de courage face à l’adversité. D’autres, comme moi, penseront que c’est le signe d’une rare dignité. Car Luis Enrique est ainsi fait. Un entraîneur pour le moment pas complètement formé mais un homme très digne. Et contrairement à Roberto Pruzzo, ancien bomber de la Roma, qui pense qu’il n’y a pas d’espace pour l’affection dans le foot, j’ose prétendre que le foot n’est qu’une affaire de sentiments et que la Roma perd une partie de sa "nouvelle âme" avec le départ de l’homme Luis Enrique…
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