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Roma : une révolution en surface permanente mais des maux bien plus complexes

Johann Crochet

Mis à jour 11/03/2019 à 08:50 GMT+1

SERIE A - Claudio Ranieri vient de remplacer Eusebio Di Francesco à la tête de la Roma au cœur d’une saison chaotique, provoquant aussi le départ du directeur sportif Monchi. Mais ces changements en surface peinent à masquer les véritables problèmes structurels de ce club. Ranieri, septième technicien de l’ère américaine à Rome, se voit confier une mission à très court terme, faute de mieux.

La curva della Roma

Crédit: Getty Images

Quand on reproduit les erreurs d’une année sur l’autre, on peut toujours feindre l’étonnement quand les mêmes problèmes se répètent. A Rome, depuis l’arrivée des nouveaux investisseurs américains en 2011, on a toujours soigné la forme tout en oubliant de se pencher sur le fond. Tout n’est pas à jeter. Le club évolue régulièrement en Ligue des champions, atteignant même une demi-finale, et a terminé cinq fois sur le podium en championnat. Une donnée qu’il faut aussi calibrer et remettre en perspective, tant la chute des deux clubs de Milan a aussi facilité cette performance nationale.
La Roma est un club très spécial. Sans doute celui où il est le plus difficile de gagner des trophées en Italie, dans le cheptel de ceux qui ont l’ambition d’y arriver. Ce club n’a rien d’un club du Nord de l’Italie et n’est pas complètement un club du Sud. L’arrivée du propriétaire James Pallotta devait permettre de procéder à un détachement sentimental et émotionnel des choses. Impliqué dans les Boston Celtics, fan de sports américains - de leur consommation et de leur gestion -, le nouveau président devait apporter une goutte de normalité dans un océan d’irrationalité. S’il a réussi à faire grandir le club dans tout ce qui ne concerne pas l’aspect sportif (communication, marketing, rayonnement, sponsoring), la vérité du terrain offre une grille d’analyse plus complexe.
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James Pallotta, le propriétaire de la Roma

Crédit: Getty Images

Une stratégie sportive assumée mais sans ligne directrice

Qu’ont en commun Luis Enrique, Zdenek Zeman et Luciano Spalletti ? Absolument rien. Et pourtant, ces trois entraîneurs se sont assis sur le banc de la Roma au cours des huit dernières saisons. L’actuel sélectionneur de l’Espagne est arrivé en juin 2011, à 41 ans, afin de révolutionner le club avec une philosophie de jeu barcelonaise. La greffe n’a pas pris. Le technicien tchèque de 65 ans a effectué un deuxième passage raté chez les Giallorossi, lui, l’adepte du pressing tout terrain et de la verticalisation à outrance. Luciano Spalletti a lui aussi tenté le coup du comeback mais sans succès, sans que l’on sache vraiment ce qu’il a essayé de mettre en place sur le terrain.
Le problème aujourd’hui de la Roma est qu’elle a un peu tout tenté depuis 2011, sans avoir le succès escompté sur une durée supérieure à 18 mois : un ancien du club rompu à l'environnement si particulier de ce club (Di Francesco), un jeune étranger aux préceptes très forts pour un choc culturel (Luis Enrique), un habitué de Serie A (Spalletti), un technicien affirmé déjà passé par le club (Zeman) ou encore un étranger pragmatique sur une pente ascendante (Garcia). Dans la liste, des néophytes et des anciens, des adeptes de la possession et d’autres d’une forte verticalisation, des mordus de pressing intense et d’autres d’une position basse d’attente... Une navigation à vue, entre coups de cœur et réflexes sécuritaires.
Les entraîneurs passés par la Roma ont dû s’adapter à la stratégie choisie par James Pallotta. Le propriétaire américain a rapidement demandé à ses hommes de dégager des liquidités à travers le mercato, en instaurant la stratégie dite de trading de joueurs. C’est à dire : acheter des joueurs à fort potentiel, développer leurs talents, en faire profiter sportivement l’équipe première puis les revendre aux plus offrants. Et répéter cette méthode en boucle pendant quelques saisons. C’est un choix risqué, car si le club rate un ou deux recrutements consécutifs, le danger de la régression sportive est réel. A leurs niveaux, l’Udinese et l’AS Monaco peuvent en témoigner.
Ce qui ne devait durer qu’un temps s’allonge dans la durée. Le club est toujours aujourd’hui dans cette stratégie de développement. Et la raison est simple. Le propriétaire américain est arrivé avec la perspective de construire un nouveau stade. Une enceinte qui appartiendrait à la Roma et lui permettrait de dégager de nouvelles liquidités. La Juve a par exemple augmenté ses recettes de billetterie de plus de 400% grâce à son Allianz Stadium. Sans compter les autres revenus liés à l’exploitation de ce nouveau stade. Oui, mais voilà, à Rome, les choses sont parfois un peu plus compliquées qu’ailleurs. Ce projet de stade, révélé alors que Rudi Garcia venait d’être nommé à la tête de l’équipe (2014), n’est toujours pas sorti de terre. Pire, la première pierre n’a toujours pas été posée après de multiples reports liés à des guerres politiques locales (sans compter un changement de majorité à la mairie) et des affaires de soupçons de corruption impliquant le constructeur de l’enceinte. Les dirigeants espèrent désormais une ouverture en 2022. Plus de cinq ans de retard par rapport aux premières attentes.

La volonté d’être un grand club sans en assumer l’exigence

Pour comprendre la difficulté de gagner à Rome, il faut se plonger dans l’identité de cette ville et par conséquence, de ses habitants et de ses supporters. Avec une incidence importante sur la vie du club et le quotidien des joueurs. Federico Fellini a parfaitement dépeint la Cité éternelle dans "La Dolce Vita", un classique du cinéma italien. Rome est une ville spéciale où l’on vit la nuit, où l’on aime profiter du bon temps, où l’on aime élever la voix et s’emporter à la moindre discussion. Voir, se faire voir et se faire entendre. La vie y est douce et agréable. Le climat est généreux, la mer n’est pas loin et les romains savent aussi se contenter de ce qu’ils ont, même s’ils aspirent à mieux. Le propre de l’Homme. Ils savent profiter des choses simples que leur offre cette ville. Mais plus qu’une douceur de vivre, cette ville laisse le sentiment d’une douce folie. L’empreinte du passé glorieux n’est jamais très loin, les caractères sont affirmés et les rêves nombreux. Les joueurs de la Roma sont un mélange de tout cela. Ils baignent dans cette atmosphère toute l’année et plongent chaque jour un peu plus dans l’excès et dans l’irrationnel. Mais à Rome, la roche tarpéienne n’est pas loin du Capitole, et la déchéance ne suit jamais de très loin les honneurs. Cela explique notamment pourquoi il doit éternellement tout recommencer au bout de 18 mois. Et l’arrivée des propriétaires américains n’a pas permis d’inverser le cours de cette fatalité.
Dans les périodes de succès, les joueurs sont transportés dans cette douce folie, comme dans un monde à part, qui n’existe pas. Mais le quotidien d’un club de foot, d’un grand club de foot comme aspire à l’être la Roma, doit être différent. Il doit être fait d’enthousiasme, bien sûr, mais aussi d’exigence, de volonté de mieux faire, de se remettre en question et se surpasser pour aller décrocher les plus beaux trophées. Le sentiment est que cela n’existe pas à la Roma. Les volontés et les rêves d’un grand club, mais le quotidien d’un simple bon club.
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Les fans de la Roma

Crédit: Getty Images

Di Francesco, Ranieri ou un autre : pas d’évolution si pas de révolution en profondeur

La Roma a donc consommé sept entraîneurs et deux directeurs sportifs depuis 2011. Les changements ont aussi concerné l’organigramme du club avec des passages plus ou moins brefs à des postes hiérarchiquement élevés de personnalités sans grand charisme. Pour contrer l’ADN de la Roma, il faut de la poigne. De l’autorité naturelle. Quelqu’un avec la volonté de bouleverser les habitudes et de renverser la table. Ce n’est sans doute pas un hasard si le dernier technicien à avoir remporté le scudetto à la Roma est Fabio Capello, capable de se mettre en rage après une victoire ou de marteler, chaque semaine, chaque jour et chaque heure qu’une saison se joue en 38 journées et que le match qui arrive est toujours le plus important de la saison, même quand on affronte le dernier du classement. Luis Enrique, Rudi Garcia, Luciano Spalletti et Eusebio Di Francesco sont tous de bons entraîneurs, mais ils n’ont sans doute pas ce charisme, cet ascendant psychologique chez les joueurs, qui leur permet de jouer sur la peur et l’incertitude quand cela est nécessaire et sur le respect et la confiance au quotidien. Tout entraîneur de la Roma peut avoir les meilleures idées du monde, s’il n’a pas cet ingrédient, il semble impossible de le voir remporter un trophée majeur.
Des changements structurels pourraient également être bénéfiques. James Pallotta vit aux Etats-Unis et est loin du quotidien de la Roma. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’implique pas dans son club car les réunions sont nombreuses avec ses hommes de confiance à Rome, mais l’impact est évidemment plus faible. Comme dans toute entreprise, quand le "boss" est là, les souris ont un peu moins envie de danser. S’il y a peu de chances pour que la situation change à ce niveau, il lui faudra peut-être placer un homme à poigne sur place, permettant ainsi d’avoir une gestion plus efficace et plus froide qu’Italo Zanzi et Mauro Baldissonni dont leur principal trait de caractère a été et est la bonhommie. Et il est encore trop tôt pour juger de l’influence du nouveau CEO, Guido Fienga, nommé fin janvier.
Alors que la Roma vient de se séparer de son entraîneur et de son directeur sportif, ainsi que de son responsable des kinés et d’un de ses médecins (la quarantaine de blessures musculaires depuis le début de la saison a aussi laissé des traces), elle doit sauver sa saison avec le pompier Claudio Ranieri. Romain et romanista, le technicien de 67 ans a une mission de trois mois devant lui pour permettre au club de se qualifier pour la prochaine Ligue des champions. Avant une énième révolution. Toute la question est de savoir s’il s’agira encore d’une énième innovation de façade ou de quelque chose de plus profond. De cette décision dépendra l’avenir de la Roma.
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